Samedi passé, le peuple togolais, décidé à se libérer du joug de la dictature héréditaire des Gnassingbé, se signalait encore par une mobilisation monstre dans les rues de Lomé et dans plein d’autres localités du territoire. Et cela, malgré les manœuvres d’intimidation déployées par les forces de défense et de sécurité. Pendant ce temps, le dossier du Togo était évoqué par les Chefs d’Etat et de gouvernement réunis au sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) à Abuja au Nigeria, en lieu et place de Lomé. Et ce sommet est assorti d’une décision forte qui pourrait concourir à décanter la situation au Togo…
Samedi animé pour le Togo. C’est ainsi qu’il convient de résumer la journée du 16 décembre 2017. Le Togo était sous le feu des projecteurs aussi bien sur le plan interne qu’à l’extérieur. Au plan interne, cette journée connaissait encore une mobilisation forte des populations tant à Lomé qu’à l’intérieur du pays. Les organisateurs parlent d’un million de Togolais qui étaient dans les rues de la capitale. Avec la mobilisation dans les différentes localités de l’intérieur du pays, c’est peut-être le tiers au moins de la population togolaise qui était sorti pour réclamer l’alternance au pouvoir.
Pendant ce temps, à des centaines de kilomètres de la capitale togolaise, se tenait à Abuja au Nigeria le sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), le 52e du genre. Faut-il le rappeler, ce sommet devrait être organisé à Lomé. Mais à l’instar de bien d’autres rencontres dont le sommet Israël-Afrique, la Conférence ministérielle de la Francophonie, il a été annulé à cause de la situation politique et son organisation confiée à Abuja. C’est l’une des premières fois que le Président de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’instance sous-régionale n’a pas l’honneur d’organiser ce sommet de mi-mandat. Et justement à ce rendez-vous de la capitale politique nigériane, le dossier togolais s’est invité dans les discussions entre les dirigeants des pays ouest-africains.
La Conférence a planché sur le dossier togolais
On s’y attendait, la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO a planché sur la situation politique au Togo. Voici l’extrait du communiqué final ayant sanctionné les travaux concernant le dossier togolais.
« La Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement exprime sa préoccupation face aux tensions politiques persistantes en République Togolaise suite aux manifestations publiques organisées par des partis politiques réclamant des réformes constitutionnelles et institutionnelles.
La Conférence condamne fermement toutes les formes de violences et de débordements qui se traduisent par des pertes en vies humaines, des blessés et des dégâts matériels.
La Conférence se félicite des mesures d’apaisement et de décrispation adoptées par le gouvernement afin de créer un environnement propice à l’ouverture du dialogue national visant à la mise en œuvre consensuelle des réformes politiques souhaitées.
Dans cette dynamique, la Conférence se félicite des initiatives déployées par la CEDEAO, en particulier les efforts louables menés par leurs Excellences Alpha Condé, Président de la République de Guinée et Président de l’Union Africaine, et Nana Akufo-Addo, Président de la République du Ghana, en vue de favoriser le rapprochement des partis politiques togolais et promouvoir le dialogue pour une issue pacifique à la crise.
La Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement lance un appel aux acteurs politiques togolais à s’engager pleinement et dans les plus brefs délais, dans un dialogue politique dans un esprit de compromis pour parvenir à une approche partagée dans la mise en œuvre des réformes politiques dans le respect de l’ordre constitutionnel et des institutions démocratiques.
La Conférence réaffirme sa disponibilité à continuer de suivre et d’accompagner le Togo et les acteurs politiques togolais dans le processus de dialogue et de réformes engagé par le gouvernement togolais ».
Marcel de Souza remplacé à la tête de la Commission
C’est l’une des décisions fortes de ce sommet. Le Béninois Marcel de Souza, qui occupait le poste de Président de la Commission de la CEDEAO depuis avril 2016, s’est vu nommer un remplaçant. Il s’agit du ministre ivoirien de l’Industrie et des Mines Jean-Claude Brou. Une nomination qui a réjoui le Président ivoirien. « Je me réjouis de la nomination de J.C Brou, Ministre de l’Industrie et des Mines de CI, en qualité de président de la Commission de la CEDEAO », a écrit Alassane Ouattara sur son compte Twitter dès l’annonce de la nouvelle. Une mesure qui pourrait booster la résolution du dossier togolais.
Si la déclaration finale de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement sur la situation politique togolaise brille par sa timidité, les dirigeants ouest-africains s’étant contentés d’exprimer leur préoccupation alors que le peuple togolais attendait d’eux des décisions fermes – Faure Gnassingbé aurait certainement pesé dans la balance, puisque c’est lui qui a dirigé le sommet en tant que Président de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement -, des observateurs avertis entrevoient néanmoins en ce remplacement de Marcel de Souza à la tête de la Commission une décision forte, une sorte d’affranchissement de la CEDEAO pour mieux agir dans le dossier togolais. C’est le cas de Pape Ibrahima Kane, spécialiste des organisations régionales au sein de la Fondation Open Society Initiative for West Africa (Osiwa), qui l’appréhende comme une bonne nouvelle et l’opportunité d’une politique plus ferme vis-à-vis du Togo.
« Une des particularités de la CEDEAO, c’est sa capacité à gérer les crises dans la région. Or, il se trouve qu’il y a une crise qui perdure et pour laquelle la CEDEAO n’arrive pas vraiment à trouver le bon créneau pour la gérer, c’est la crise togolaise. Le Président de la Commission de la CEDEAO( Marcel de Souza, Ndlr) a pour ainsi dire un intérêt, puisque son épouse est la sœur de l’actuel président du Togo. Donc sa capacité à pouvoir gérer cette situation paraît difficile parce qu’on ne peut pas être juge et partie », relève le chercheur, et d’ajouter : « Et donc le fait de changer de Président de la Commission, ça donne beaucoup de coudées franches à la CEDEAO pour s’investir maintenant dans la recherche d’une solution (…) Il faudrait vraiment qu’on voie le bout du tunnel ».
Une chose est sûre, c’est un soutien de taille que Faure Gnassingbé perd avec le remplacement de son beau-frère à la tête de la Commission de la CEDEAO qui se trouve être le bras agissant même de l’institution sous-régionale, loin de la Présidence de la Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement qui n’est qu’un poste honorifique. Et la venue de l’Ivoirien pourrait donner plus de marge de manœuvre à la CEDEAO sur le cas togolais, surtout que le Président ivoirien serait de la ligne de la fermeté à l’égard de Lomé…
Tino Kossi
Source : Liberté
27Avril.com