Depuis l’élection présidentielle de 2020, perdue dans les urnes par Faure Gnassingbé, selon les participants et une grande partie des électeurs, le régime togolais a entamé un processus méticuleux. Objectif, rendre aphones les partis politiques, restreindre le champ d’action des organisations de la société civile et mettre les médias au pas, dans la perspective de l’élection présidentielle de 2025. En un mot, neutraliser toutes les voix critiques.
On monte d’un cran en février 2020, lorsque Covid-19 débarque sur le continent. Alors que la frayeur se répand sur toute l’Afrique, certains se frottent les mains, cyniquement. Effet collatéral du Corona virus, cette pandémie se présente comme une opportunité pour les régimes dictatoriaux. Lomé interdit les activités publiques des partis politiques, dès l’annonce du premier cas dans le pays au mois de mars de la même année.
Qu’il s’agisse d’une simple conférence de presse, d’une réunion entre leaders politiques ou d’une manifestation dans le but de contester une action gouvernementale, la sanction de l’interdiction administrative frappe brutalement, quand ce ne sont pas les forces de l’ordre qui viennent déloger les gens manu militari. Et cette violation des droits se poursuit à ce jour. Catastrophe pour les uns, cette pandémie est une sacrée aubaine pour les régimes comme celui du Togo.
Assuré maintenant d’avoir neutralisé ses contradicteurs politiques par l’abus de pouvoir, et fier de claironner qu’il n’y a plus d’opposition au Togo, le pouvoir de Faure Gnassingbé se trouve une nouvelle cible. Il s’attaque désormais à la société civile. Et cela se fait de la manière la plus vile, rappelant les brutalités de ce régime, exactement comme au temps du parti-unique des années 70-90.
Alors que le Togo s’apprête à rouvrir en mai ses frontières terrestres, dès janvier 2022, le chef de l’Etat prend en toute discrétion un décret aux graves conséquences sur la vie associative. En effet, le décret 2022-002 PR vient renforcer l’arsenal juridique régissant la vie des organisations de la société civile opérant sur le territoire national. Un véritable tour de vis, alors que la législation en vigueur est déjà très restrictive.
D’une manière générale, ce décret vient considérablement limiter la jouissance de la liberté d’association que permettent pourtant la loi et la Constitution. Et cela se fait sans que la Cour constitutionnelle ne retoque le décret en relevant son inconstitutionnalité. Conséquence d’un présidentialisme excessif qui étouffe toutes les autres institutions de la République et ne leur laisse qu’un champ d’action réduit à la portion congrue.
La première incongruité est que ce décret impose un caractère « apolitique » aux organisations de la société civile (OSC), au sens de ne pas aborder les questions relatives aux politiques publiques, encore moins de porter des critiques. C’est énorme !
Ensuite, sous couvert de lutte contre le financement du terrorisme apparu en novembre 2021 dans le nord du pays, le décret impose aux OSC, un accord du gouvernement avant tout bénéfice de subvention financière de la part de partenaires extérieurs. Une manière évidente
de priver de ressources les associations qui critiquent l’Etat. On assèche leurs finances, pour les empêcher d’agir. La lutte contre le terrorisme devient ainsi un prétexte pour affaiblir et rendre inefficaces les organisations de la société civile qui pointent les travers du régime.
Plus grave encore, le décret donne explicitement au gouvernement le droit de décider de la dissolution d’une organisation de la société civile. Et cela peut se faire du jour au lendemain, unilatéralement et sans aucune obligation de motiver la décision. Un pouvoir absolu qui met une épée de Damoclès sur la tête de ces organisations, contraintes ainsi de s’autocensurer pour exister.
De facto, le champ d’action des organisations de la société civile se trouve restreint et leur manière même d’intervenir dans la sphère publique est biaisée, car étroitement surveillées par les pouvoirs publics. Les OSC ne peuvent donc plus légalement aborder certaines thématiques. Ainsi, les problématiques de droits humains et de libertés, de démocratie et de gouvernance économique, bref de tout ce qui touche de près ou de loin à la politique est proscrit des domaines d’activité des organisations de la société civile. Rien que ça !
En agissant ainsi contre les libertés d’association, le régime se met en totale contradiction avec ses propres lois et la Constitution. Il renie aussi les textes des organisations sous-régionales auxquels il a pourtant librement souscrit et il viole les conventions internationales qu’il a ratifiées.
Des textes iniques sont donc ainsi pris, comme ce décret, juste pour se prévaloir d’une légalité lorsque la décision de privation de jouissance de liberté frappe telle ou telle association. Le régime se désintéresse complètement de la légitimité de ses actions, et même tout simplement de sa propre légitimité. Il se sent dispensé de reddition de compte.
En définitive, il s’agit d’un recul majeur dans le processus de construction d’un Etat moderne, démocratique et ouvert. Ce que le régime assume d’ailleurs de manière totalement décomplexée. Il se le permet, car il est assuré d’avoir le contrôle et la maîtrise des unités opérationnelles de l’appareil militaire. Instrument national que malheureusement certains officiers supérieurs mettent au service d’un clan.
Cette volonté réaffirmée de restriction de l’espace civique pose un vrai problème. En effet, cela enlève toute possibilité de contrôle citoyen de l’action gouvernementale et annihile toutes les initiatives pouvant contribuer à l’amélioration des politiques publiques. C’est le propre d’une dictature.
Quand on neutralise les partis politiques de l’opposition en les privant de leurs activités, même en période électorale, et qu’en plus on confine la société civile en marge des questions politiques, alors le régime tétanise la vitalité de la société. Cette dernière se fige dans un surplace qui empêche toute réelle avancée.
Le régime togolais a beau claironner qu’il se modernise et qu’il est démocratique, il ne trompe personne. Il peut même se prévaloir d’être grand défenseur du panafricaniste en surfant sur l’air du temps, comme le proclame sa diplomatie activiste à grand renfort de conférences. Une réalité reste toutefois intangible. Au Togo, le pouvoir demeure une dictature qui confisque le pouvoir d’Etat depuis 56 ans. Après les partis politiques et la société civile, et précédemment les journalistes, quelle sera la prochaine cible du régime ?
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais
Avec Togoactualité.com
Source : Togoweb.net