Sérail: ces 15 prisonniers sacrifiés par le pouvoir de Lomé

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Dans un pays où le Ministre supposé des Droits de l’Homme se moque éperdument de la vie de ses compatriotes, de la promotion de la dignité humaine, et lâche, toute honte bue, qu’il n’y aurait pas de prisonniers politiques au Togo, nous pouvons légitimement avoir raison de nous inquiéter sur le traitement réservé aux citoyens par les gouvernants sur tous les plans et surtout à nos compatriotes qui ont eu le malheur d’atterrir en ces lieux de détention et totalement livrés à leurs tortionnaires. Tous nos malheureux concitoyens embastillés par vagues successives de décembre 2018, avant, pendant et après les fameuses élections législatives, en passant par novembre, décembre 2019 et janvier 2020, sont aujourd’hui au nombre de plusieurs dizaines de Togolais.

À qui profite le crime? Sommes-nous tentés de nous demander. C’est une grande erreur historique de la part de Faure Gnassingbé et de son entourage qui profitent à eux seuls des richesses du pays, de croire, qu’on peut comme ça par la terreur, la peur, la corruption et le mensonge soumettre tout un peuple pour longtemps. Nous avons enquêté et relevé le sort de quelques détenus politiques, la plupart aux dossiers vides, dont les parents, les épouses et les enfants attendent chaque jour la libération de leurs fils, de leurs maris et de leurs géniteurs.

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Nambea Mehiouwa Leyla, c’est le nom de la jeune femme enlevée chez elle à la maison le 18 décembre 2019. Mère de trois filles âgées respectivement de 17, 5 et 2 ans, ne se reprochant rien, elle ne comprend pas pourquoi elle est toujours à la prison civile de Lomé. Son seul délit: avoir connu certains des jeunes arrêtés dans l’affaire dite « Tigre-Révolution ».

Yakoubou Moutawakilou 55 ans, SG du Parti National Panafricain (PNP) à Kpalimé est arrêté le 25 janvier 2020 dans la soirée. Trimbalé entre le SCRIC, le Camp GP (Camp des Gardiens de Préfecture), la DPJ(Direction de la Police Judiciaire)et la prison civile de Tchévié, il est accusé de vouloir convoyer des jeunes du Benin pour semer des troubles à Lomé, et d’appartenir au groupe « Tigre de la révolution ».

Ce qu’il rejette en bloc en renvoyant ses accusateurs à la philosophie de son parti qui est la non-violence et aux messages audio dans son téléphone portable qu’ils détiennent. Depuis le 15 août 2020 il croupit à la prison civile de Lomé, rongé par le chagrin dû par la mort de sa mère qui avait piqué une crise une semaine après son arrestation.

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Aboubakar Tchatikpi dit Janvion, 50 ans, père de famille, transitaire de son état, et membre influent du PNP (Parti National Panafricain). La nuit du 25 janvier 2020, il s’apprêtait à aller au lit quand des gendarmes entrent chez lui par effraction, le molestent avec son épouse, lui mettent les menottes et l’embarquent san oublier d’emporter sa voiture qu’ils gardent jusqu’à ce jour avec eux. Tantôt il lui est reproché d’être tous les jours en contact avec Tikpi Atchadam dont il connaîtrait la cachette, tantôt on l’accuse de connaître le fameux « Taïga » et d’en être un complice. Évidemment toutes ces accusations ne reposent sur aucune preuve, et bien que le malheureux ait à plusieurs reprises répété qu’il ne sait rien de tout ça, après un passage au SRI (actuel SCRIC), à la prison civile de Lomé, il est incarcéré dans une petite villa dans l’enceinte de l’ancienne gendarmerie face à la BTCI avec au moins une cinquantaine d’autres infortunés depuis un an. Enfermés nuit et jour, il leur est impossible de voir la lumière du jour et de recevoir de la visite de leurs proches.

Abdoul-Aziz Goma, 49 ans, Irlandais d’origine togolaise est arrêté le 21 décembre 2018 à Lomé en compagnie d’amis. Pour avoir hébergé et aidé financièrement des ressortissants togolais venus du Ghana, il est accusé de convoyer des jeunes au Togo pour semer des troubles. Bien que la perquisition de sa voiture, de son domicile et de sa cargaison au port, convoyée depuis Manchester, ne livre aucun indice pouvant confirmer les accusations de ses geôliers, il est sévèrement torturé. Donc c’est en citoyen innocent qu’il est trimbalé du SRI à l’ancienne gendarmerie en passant par la prison civile de Lomé. Le parcours semble être le même pour la cinquantaine ou soixantaine de détenus face à la BTCI: SRI (actuel SRIC), tortures de toutes sortes, prison civile de Lomé surpeuplée et insalubre, transfert dans cette villa exigüe gardée nuit et jour.

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Alles Affo Atti, 48 ans, père de 7 enfants, est arrêté le 21 décembre 2018. Après avoir fait le tour de plusieurs lieux de détention, il atterrit dans l’enceinte de l’ancienne gendarmerie, où il séjourne enfermé depuis au moins un an. Depuis son arrestation ou kidnapping, sa Maman malade est laissée à son sort, puisqu’il était le seul à s’en occuper. Et comme si le destin voulait davantage s’acharner sur lui, sa fille de 10 ans meurt il y a quelques mois.

Kpadja Moutadiou, 41 ans, arrêté le 1er décembre 2019 à Lomé. Ayant attendu en vain sa libération, son père meurt de chagrin en septembre 2020 à Daoudè, dans la préfecture d’Assoli.

Ouro-Gouni Mourtala, 41 ans, kidnappé à Sokodé le 02 décembre 2019. Le 11 novembre 2020, son épouse quitte ce monde dans la même ville sans avoir revu son mari.

Ali Amédjoa Aboudoukérim âgé de 36 ans, arrêté le 28 novembre 2019; il ne reverra plus jamais sa mère, décédée de chagrin le 18 janvier 2020.

Traoré Fousséni dit Alfa Soudou, arrêté dans la foulée de cette fameuse affaire dite  » Tigre-révolution »; la santé de son frère aîné malade dont il avait la charge, dépérit de jour en jour.

Agokpa Ézi, 49 ans, arrêté le 04 décembre 2019 et déféré le 06 du même mois de la même année. Sa Maman de 85 ans ne put supporter le choc de l’arrestation de son fils et meurt deux semaines plus tard, le 20 décembre 2019 à Gléï-Nago.

Alassani Awali, arrêté le 25 novembre 2019. Décès de son père le 24 août 2020.

Djimon Massaoudou, arrêté le 03 décembre 2019. Disparition de sa mère le 05 octobre 2020.

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Adadé Henri, chargé de la sécurité au sein du parti politique UDS, est arrêté en décembre 2018 dans la foulée des manifestations de la C14; déféré le 10 décembre de la même année, jugé le 31, il est arbitrairement condamné à 48 mois de prison ferme.

Fadel Ouattara, artiste de la chanson relativement très connu, est arrêté en novembre 2019 et croupit depuis au moins un an, après des passages forcés dans plusieurs centres de détention, dans cette prison pas très classique de l’ancienne gendarmerie face à la BTCI.

« Tous presque nus, on nous amena à la Gendarmerie Nationale en face de la BTCI à Lomé. Arrivés là en pleine nuit, devant une mini-villa clôturée, on nous avait tous fait asseoir le dos contre le mur, les armes bien pointées sur chacun de nous par un certain nombres d’autres agents bien cagoulés qui attendaient juste de recevoir l’ordre pour tirer sur nous. Je voyais ma mort en face. Que faire? Je commençai à prononcer ma dernière prière ».

Voilà une déclaration de Abdoul-Aziz Goma faite à l’intention des associations de défense des droits de l’homme, contenue dans la lettre ouverte envoyée en novembre 2020 à Faure Gnassingbé par l’Association des Victimes de la Torture au Togo (ASVITTO) et le Mouvement Conscience Mandela (MCM) ; une lettre ouverte dont nous avons copie, délivrée et déchargée à la Présidence Togolaise le 19 novembre 2020. Les deux associations de la société civile attirent l’attention du Chef de l’État sur les nombreux cas de torture sur les citoyens arrêtés lors des manifestations politiques, dans l’affaire dite de «Tigre révolution» ou d’«insurrection armée».

L’ASVITTO et le MCM rappellent à Faure Gnassingbé l’engagement pris par le Togo pour le respect de la dignité humaine et contre toutes formes de torture avec la ratification de notre pays de la Convention des Nations Unies contre la torture en 1987 et la création la même année de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH). Dans un communiqué publié le 21 novembre 2020, les deux associations, ASVITTO et MCM insistent sur la décision de la Chambre d’accusation de la Cour d’Appel de Lomé en date du 18 novembre 2020 ayant ordonné au juge en charge du premier cabinet d’instruction du Tribunal de Lomé d’enquêter sur les allégations d’actes de torture et de traitements cruels, inhumains et dégradants; et qui est restée jusqu’à ce jour lettre morte.

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Ce triste tableau, loin d’être exhaustif, du maintien en détention des Togolais et Togolaises, dont la plupart n’a fait que jouir de leurs droits contenus dans notre constitution, à savoir, appartenir au parti politique de leur choix et manifester. Des Togolais sont morts en détention sous la torture. Plusieurs autres sont encore incarcérés dans différents lieux de détention malgré des dossiers vides, sous le contrôle des mêmes tortionnaires.

Les uns condamnés de façon fantaisiste par une justice aux ordres, les autres maintenus en détention sur la base de la loi du plus fort. Peut-on ainsi bâtir une nation? Peut-on ainsi arriver à la cohésion ou à l’unité nationale? Surtout que les prisonniers politiques du régime Gnassingbé sont originaires à plus de 99% d’un seul groupe ethnique de notre pays. Nous interpellons la conscience de Faure Gnassingbé pour qu’il accède aux demandes répétées des organisations de la société civile engagées pour le respect de la vie et de la dignité humaines: la libération de tous ces citoyens brutalement arrachés à leurs familles.

Samari Tchadjobo

Source : Togoweb.net