Le spectacle lamentable que donne l’opposition, surtout Jean-Pierre Fabre et Agbeyome Kodjo, devrait nous faire réfléchir sur le rôle des opposants originaires du Sud qui, pour moi en tout cas, à cause de leurs égocentrismes, sont responsables de notre incapacité à vaincre la dictature militaro-civile et offrir le changement aux populations togolaises.
Agbeyome Kodjo et Mgr Kpodzro se livrent à un jeu de mise à mort de Jean-Pierre Fabre. Le président de l’ANC aussi se bat pour conserver à tout prix l’empire de son leadership sur l’opposition.
On pourrait jouir du spectacle de ces joutes sanglantes si les deux camps ne faisaient pas accroire que l’objectif ultime de leurs combats est le renversement de Faure Gnassingbe, le 22 février prochain. Mais, peut-on vraiment s’en étonner ?
En janvier 2010, quand l’UFC était au bord de l’effondrement moral et politique, je rendis visite à Gilchrist Olympio. J’accompagnais Eloi Koussawo et Aimé Gogué. Eloi et moi avions déjà fait un tour chez Gogué pour comprendre un peu ce qui ne tournait pas rond au sein de l’UFC et pourquoi les lieutenants du patriarche ont décidé de lui faire un sort. Gogué dit qu’il n’entrave que pouic dans l’affaire. C’est alors qu’on décida ensemble d’aller en savoir plus chez le patriarche lui-même, sis à la villa de la chance à Casablanca.
On le retrouva vers 11 heures vautré dans un fauteuil, à côté un verre de vin Petrus sur une petite table à trois pieds. C’est ma première fois de le voir de si près.
Lors de la conversation, Eloi et Gogué tournaient autour du pot et essayaient timidement de tirer les verres du nez au patriarche. Ils le connaissaient mieux que moi, ayant travaillé avec lui (J’avais 15 ans quand tout cela avait commencé et n’avait aucune année de militantisme actif pendant les années de braise). Le chef du parti Addi, Aimé Gogué est d’ailleurs l’un des rares leaders à faire automatiquement allégeance à l’UFC et reconnaître le leadership de Gil. J’étais gêné aux entournures par autant de respect. Avec mon insouciance et mon impertinence, je dégainai et lui posai une question sur Jean-Pierre Fabre, pourquoi il s’employait à le détruire malgré la fidélité de ce dernier par le passé.
Gilchrist Olympio répondit sur un ton qui en dit long sur le mépris qu’il voue à son ancien secrétaire général. Puis, il embrancha sur un discours philosophico-politique autour de l’histoire et de la notion de chef. Il prenait la dissidence de Fabre pour un refus d’obéissance et un manque de respect. Ce qui intérieurement me faisait rigoler franchement.
Mais au cours de son speech, un rare moment de lucidité, il évoque l’histoire des Ewés (partant des Guins aussi), la division voire l’anarchisme qui les caractérise, et le manque d’unité autour d’un leadership. Le tien, en l’occurrence. Il rappela un historien Ewé du Ghana, auteur d’un essai sur l’impossibilité de ce peuple à s’unir et à faire quoi que ce soit dans l’histoire. Ça pourrait paraître caricatural mais les faits sont têtus en ce qui concerne les Ewés et les Guins du Togo.
Il suffit de jeter un coup d’œil aux partis d’opposition pour comprendre que le leadership en milieu Ewé est par trop atomisé. C’est aussi semblable chez les Guins. Ces derniers vivent sur un tout petit espace, mais ont plusieurs royautés et font semblant de fêter l’unité autour de la prise de la pierre sacrée. Le président national de l’UFC donnait en exemple l’Addi, un parti implanté au Nord, qui avait accepté son leadership- tout comme pendant des années plus tard, le PSR d’Abi Tchesa et de Wolou consentait à la domination de l’ANC.
Gilchrist Olympio n’a pas réussi à rassembler autour de lui et il était amer. En 1998, il était désespérément seul pour revendiquer sa victoire à la présidentielle, d’autant plus que d’autres opposants, dans l’ombre, lui savonnaient allègrement la planche. Cette division continue par déglinguer la lutte.
Dans son livre, Togo : le prix de la démocratie, Dany Ayida met en évidence que Gilchrist lui-même était le plus grand diviseur commun de l’opposition, il avait une capacité extraordinaire à détruire ce qu’il estimait petit et pouvant prétendre à sa succession. Au vrai : le patriarche était doué pour défaire les projets qui ne venaient pas de lui, était obsédé à étouffer la contestation.
Pourtant, le leadership de Gilchrist s’imposait. Il reposait sur sa légitimité incontestable de fils de Sylvanus Olympio, un charisme supérieur, et quelque peu sur les moyens financiers.
Il lui manquait peut-être le soutien d’un ordre social supérieur à ce dont les autres pourraient se prévaloir, un corpus théorique et/ou stratégique, une praxis indiscutables, et une capacité de violence et /ou de nuisance effrayant les éventuels contestataires. Des qualités que son père Sylvanus avait. Et si certains leaders du Sud contestaient le leadership de Sylvanus Olympio, il les contournait autrement par un discours national qui s’imposait à tous les Togolais du Nord au Sud.
Agbeyome et Fabre ne rassemblent aucun de ces caractères. C’est de bonne guerre qu’ils se battent à mort pour la deuxième place derrière quelqu’un comme Faure Gnassingbe, qui leur ressemblerait beaucoup par sa vacuité insoutenable, s’il ne disposait pas, lui, d’une armée- que dis-je d’une milice – et des moyens de l’Etat pour s’imposer dans son camp.
Fabre et Agbeyome Kodjo constituent l’échec du leadership originaire du Sud, et peut-être du phénomène partisan.
Une chance pour renaître des cendres après le 22 février. Abandonner le schéma des thaumaturgies, qui se sont révélées d’une rare médiocrité, et faire en sorte que les masses populaires s’approprient elles-mêmes le combat.
Tony Féda
Note: Titre modifié
Source : Togoweb.net