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Secret de Palais: la conception du pouvoir selon Faure Gnassingbé

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Dans cette interview inédite accordée à la chaîne locale New World TV, le Président Faure Gnassingbé revient sur les sujets brûlants de l’actualité togolaise. De la lutte contre les attaques terroristes à l’agriculture, en passant par les élections, les mesures sociales, la promotion du genre et la politique extérieure, rien n’a été laissé de côté dans cet entretien. Cette rare entrevue accordée à un média local a été un moment marquant de la commémoration des 63 ans d’indépendance du Togo. Nos confrères de Togo First reviennent sur les instants les plus marquants de ce moment de télévision.

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Monsieur le Président, après avoir assisté au grand défilé militaire du 27 avril, où les forces de défense et de sécurité ont présenté leur équipement pour protéger la nation contre les ennemis, notamment les djihadistes, pourriez-vous nous informer sur la situation actuelle au front ? À quoi exactement les Togolais doivent-ils s’attendre ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Vous savez que j’ai pour habitude de commencer mes discours en félicitant et en encourageant les forces de l’ordre, car je suis convaincu que sans la paix et la sécurité, aucun pays ne peut se développer, du moins pas le nôtre.

Cependant, je suis bien conscient que cette paix et cette sécurité sont précaires et que nous ne sommes pas à l’abri de menaces extérieures. Nous avons déjà envoyé des militaires en mission de maintien de la paix dans la sous-région, nous savons donc parfaitement ce qui s’y passe. Malheureusement, nous sommes la cible d’agressions terroristes menées par deux groupes : l’État islamique au Grand Sahara et le groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. Ces deux organisations terroristes ont déjà attaqué d’autres pays de la sous-région du Sahel avant de s’en prendre au nôtre.

Il s’agit d’une véritable guerre, car vous connaissez la nature pacifique des Togolais. Nous avons toujours voulu vivre en harmonie avec nos voisins et accueillir les étrangers avec hospitalité et gentillesse. Mais nous avons également une obligation : celle de défendre notre pays. Nous avons déjà payé un lourd tribut, avec environ quarante hommes des forces de défense et de sécurité tués, ainsi que des victimes civiles qui viennent s’ajouter à une centaine de victimes civiles. Il ne faut pas sous-estimer la gravité de ces attaques meurtrières et destructrices qui plongent des familles dans le deuil. Nous ne pouvons pas baisser la garde ni nous laisser endormir car même si ces attaques sont sporadiques, elles sont toujours aussi dangereuses et imprévisibles.

Que faut-il faire ?

Faure Gnassingbé (FEG) :Face à cette situation, il est de notre responsabilité de mettre en place une stratégie en trois parties pour assurer la sécurité et la paix sur notre territoire, mais également pour protéger nos intérêts dans la sous-région et faire face aux conséquences de ces attaques sur nos concitoyens et nos activités économiques.

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Nous allons aborder le chapitre économique. La conjoncture demeure marquée par l’inflation, la tendance des prix des denrées de première nécessité est toujours à la hausse sur les marchés. Les Togolais continuent de serrer indûment les ceintures. Le gouvernement prend certes des mesures, mais il n’y a vraiment pas d’amélioration significative. Jusqu’à quand cela durera-t-il, monsieur le Président ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Tout d’abord, je ne vous apprends rien en disant que l’augmentation des prix est un phénomène mondial, amplifié par la succession de crises après la pandémie de Covid-19. Cette hausse des prix est principalement due à une inflation importée aux deux tiers, bien que les produits locaux représentent environ 33% de cette inflation. Face à un choc imprévu de cette ampleur, l’une des réponses classiques des États est de recourir aux subventions, ce que nous avons fait pour les augmentations de salaires ainsi que pour les produits pétroliers et gaziers. Cependant, cela représente un coût exorbitant d’environ une centaine de milliards, ce qui n’est pas durable et ne peut être répété chaque année.

La deuxième solution est de produire autant que possible ce que nous consommons, afin de réduire notre dépendance aux importations, notamment en matière de produits alimentaires. C’est pourquoi nous avons relancé et renforcé notre intérêt pour l’agriculture à l’école.

Je peux donc dire aux Togolais que la solution à une bonne partie de ce phénomène se trouve ici même sur le sol togolais. Nous créons les conditions pour que l’agriculture ne soit plus un métier pénible et souvent dévalorisé, mais plutôt une entreprise attrayante. Si les agriculteurs changent de statut social pour devenir des entrepreneurs, cela rendra le métier plus attractif et permettra peut-être même de voir apparaître des agriculteurs togolais multi millionnaires ou milliardaires, ce qui serait un exemple pour la jeunesse. Nous devons donc profiter de cette crise pour saisir les opportunités qui se présentent, notamment dans le secteur agricole.

Lorsque les subventions sont distribuées de manière uniforme, elles peuvent sembler insuffisantes pour ceux qui en ont le plus besoin, tout en donnant l’impression aux autres qu’elles sont inefficaces.

Certaines mesures visant à atténuer le coût de la vie semblent ne pas avoir eu l’effet escompté, comme les 3 milliards de transferts monétaires directs pour l’achat de fournitures scolaires et les 2,5 milliards de subventions pour l’acquisition de manuels d’écriture et de lecture. Ces deux mesures ont été annoncées, mais ne semblent pas avoir été mises en œuvre. Pouvez-vous nous expliquer ce qui s’est passé ?

Faure Gnassingbé (FEG) : D’abord relativisons. Nous avons dépassé la centaine de milliards pour les mesures qui ont été prises. Donc 5 milliards, on parle de 5 %. Je prête coupable pour les 3 milliards, mais je vais vous expliquer.

Les 3 milliards en question ont été attribués de manière indifférenciée, touchant ainsi tout le monde, même si certains n’en avaient pas besoin. C’était une mesure visant à fournir des fournitures scolaires, notamment des cahiers, mais le gouvernement a eu du mal à décider à qui les donner. Cette situation a généré un débat interne, qui est à l’origine de ma possible culpabilité dans cette affaire.

Cependant, je tiens à préciser que les fonds pour ces 3 milliards sont disponibles et seront utilisés à bon escient. Cela m’amène à réfléchir à une question plus large : comment faire pour que les subventions, comme celles destinées aux produits pétroliers, par exemple, soient distribuées de manière équitable à ceux qui en ont réellement besoin ? C’est un débat important car, lorsqu’elles sont distribuées de manière uniforme, elles peuvent sembler insuffisantes pour ceux qui en ont le plus besoin, tout en donnant l’impression aux autres qu’elles sont inefficaces.

Pour les 2,5 milliards restants, leur distribution est en cours. Malgré les difficultés financières, nous avons lancé un appel d’offres et recruté quatre cabinets pour distribuer des manuels scolaires dans les régions les plus défavorisées, en commençant par la région des savanes. Je peux vous assurer que ces manuels seront distribués, mais il est important de tirer des leçons de cette expérience afin que les élèves puissent en bénéficier plus rapidement à l’avenir.

Il est essentiel de rendre le travail et la vie à la campagne plus attrayants, afin d’inverser la tendance de l’exode rural.

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Vous avez annoncé en début d’année, lors de votre discours à la nation, l’organisation du premier forum national des producteurs du Togo, et vous avez tenu parole. Cela coïncide avec les événements récents dans la région de la Kozah. Pourquoi accordez-vous autant d’importance à l’agriculture ? Est-ce en raison des leçons tirées des bouleversements mondiaux tels que la crise de la Covid-19 ou la guerre entre la Russie et l’Ukraine, comme vous l’avez mentionné précédemment ?

Faure Gnassingbé (FEG) :  L’une des raisons qui nous ont poussés à mettre en avant l’agriculture est le constat que nos compatriotes ne tiraient pas suffisamment profit de notre potentiel agricole, malgré les investissements que nous y avons consacrés et le soutien de nos partenaires. La création d’emplois est également un objectif clé de cette stratégie, qui repose sur la transformation de nos produits agricoles. Nous avons ainsi identifié l’agriculture comme l’un des moteurs de l’économie togolaise, aux côtés des mines. Cependant, pour attirer des investisseurs, il faut un flux continu de production. Nous avons donc pris des mesures pour augmenter significativement la production agricole et fournir des produits de qualité pour les industries de transformation. Il est cependant important de souligner que la politique agricole et les choix des filières ne doivent pas être dictés uniquement par nos partenaires financiers, mais doivent refléter les besoins et les priorités du Togo.

Le gouvernement ne décide pas seul de la politique agricole, mais travaille en collaboration avec les producteurs. Ces derniers doivent être placés au centre de la politique agricole, car nous avons besoin d’eux. Nous avons fait des expériences avec les agriculteurs, mais certaines ont été douloureuses, les laissant se débrouiller seuls. Nous cherchons donc à corriger ces erreurs et à impliquer davantage les producteurs. Nous avons un grand projet d’agropole à Kara, où nous invitons également des investisseurs privés qui ont déjà annoncé leur participation.

L’objectif est de créer une chaîne de valeur plus longue, de ne pas seulement exporter des produits comme le soja, mais également de les transformer sur place pour créer des emplois locaux. Nous devons promouvoir la souveraineté alimentaire en produisant ce que nous consommons localement. Nous devons aider les agriculteurs à améliorer leurs revenus et leurs conditions de vie, afin qu’ils puissent également devenir des consommateurs.

Il est essentiel de rendre le travail et la vie à la campagne plus attrayants, afin d’inverser la tendance de l’exode rural. C’est pourquoi nous avons un regain d’intérêt pour l’agriculture.

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En restant sur le sujet de l’agriculture, malgré les ambitions et les perspectives d’avenir, un problème persistant menace le travail des agriculteurs : la transhumance. Existe-t-il une solution pour prévenir les destructions de cultures et les conflits entre éleveurs et paysans liés à cette pratique ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Il existe une solution régionale à la question de la transhumance. C’est la CEDEAO qui est chargée de la coordination de cette pratique qui permet aux éleveurs de faire paître leur bétail vers le sud pendant la saison sèche. Des couloirs ont été définis dans tous les pays côtiers pour réguler cette pratique. Cependant, ces derniers temps, il y a eu beaucoup d’affrontements entre éleveurs et producteurs, un phénomène qui est répandu dans de nombreux pays.

Pour résoudre temporairement ce problème, nous avons opté pour la mise en place de grands parcs où les transhumants seront dirigés. Ces parcs offriront du pâturage et de l’eau pour le bétail. Ce projet créera également des emplois pour les citoyens locaux. Si cette initiative est réussie, le problème de la transhumance sera considérablement réduit. Les conflits qui découlent de cette pratique sont une source de criminalité et perturbent la qualité de vie des populations ainsi que les récoltes.

Cela fait maintenant 63 ans que notre pays a obtenu la souveraineté internationale. Pouvez-vous nous indiquer quelle est la direction que vous avez fixée pour notre nation et où nous en sommes actuellement dans cette vision ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Ma conception du pouvoir n’est pas un guide qui fixe un cap. C’est plutôt une aventure collective. Nous avons mis au point le PND en 2018, mais nous avons dû l’ajuster pour qu’il réponde mieux aux attentes de la population exprimées pendant la campagne électorale [présidentielle]. C’est ainsi que nous avons établi une feuille de route pour répondre aux besoins sociaux de nos concitoyens en matière d’eau, d’électricité, de santé, d’éducation et d’internet haut débit. Nous ne pouvons pas continuer à vivre sans ces éléments essentiels au progrès, comme l’ont fait nos grands-parents, nos parents et nous-mêmes depuis 1963.

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Deuxièmement, il y a la question de l’emploi des jeunes diplômés qui peinent à trouver du travail. Il est vrai que l’État ne peut pas créer des emplois du jour au lendemain. Cependant, il peut créer les conditions favorables pour que les investisseurs s’installent et créent des emplois pérennes et stables. Nous devons faire en sorte que ces emplois ne soient pas précaires comme ceux que l’on trouve dans le secteur informel.

Cette situation doit changer, et nous pouvons y arriver. En effet, l’informel ne profite à personne. Pour mieux servir la population, nous avons mis en place un grand projet qui consiste à fournir une identité à chaque personne. Cela permettra de mieux connaître les besoins de chaque individu, notamment en termes d’efforts de solidarité, d’assurance maladie et d’allocation. Nous pourrons ainsi distribuer les subventions de manière plus ciblée, en évitant que ceux qui n’en ont pas besoin en profitent au détriment de ceux qui en ont réellement besoin. Ce registre social nous permettra de mieux connaître notre population et de mieux la servir.

Je profite également de l’occasion pour dire à la population qu’il est vrai que nous avons le recensement général et le recensement électoral. Il y aura un troisième recensement pour offrir une carte biométrique à chaque Togolais afin que nous puissions être efficaces dans notre politique de protection sociale.

Concernant la promotion de l’égalité des genres, le Togo semble être un bon élève dans l’espace Uemoa. Le gouvernement envisage-t-il de renforcer davantage ces efforts ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Je suis convaincu de l’importance du rôle des femmes dans la vie politique et sociale de notre pays. Les femmes sont souvent les principales actrices du développement local et sont très impliquées dans les projets sociaux. Elles ont démontré leur dynamisme et leur engagement dans la réussite de plusieurs projets. C’est pourquoi j’encourage les femmes à participer davantage aux affaires de la cité, non pas seulement dans le secteur social, mais également dans la gestion politique de nos affaires. Je crois que les femmes apporteraient une valeur ajoutée significative à la gestion de nos communautés.

Pour cette année 2023, quel votre message voulez-vous adresser aux acteurs politiques du Togo ainsi qu’à l’ensemble des citoyens du pays ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Je considère qu’il y a eu des périodes d’élections qui ont suscité de l’inquiétude dans notre pays, mais Dieu merci, ces derniers temps, nous avons réussi à organiser des élections pacifiques. Néanmoins, avant chaque élection, il y a souvent un peu d’agitation et de bruit. Nous avons tenté d’éviter cela en organisant un dialogue avec les acteurs de la classe politique. Cependant, il y a toujours des différences d’opinions et des stratégies différentes pour atteindre un même objectif : la conquête du pouvoir. C’est normal qu’il y ait des discussions et des négociations.

Nous avons un cadre électoral qui peut être amélioré, mais nous ne pouvons pas prendre de décisions unilatérales. Le dialogue est la clé pour trouver des solutions. Nous devons être sereins, mener notre campagne et si les acteurs politiques veulent encore des changements, nous sommes prêts à les approuver. Nous ne sommes pas meilleurs ou pires que les autres, mais nous avons un cadre électoral qui fonctionne et qui peut être amélioré si nécessaire.

Plusieurs de vos réussites en matière de politique étrangère ont contribué à renforcer la réputation du Togo sur la scène internationale, notamment dans l’affaire des 49 soldats ivoiriens. Quelle est votre stratégie pour obtenir des succès là où d’autres peinent à trouver des solutions ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Je suis mal à l’aise de parler de succès. Toutefois, je pense que le Togo est bien perçu. Nous sommes un petit pays qui essaie de collaborer avec tout le monde, sans avoir d’agenda caché. Cela crée une image positive pour notre pays. Nous avons réussi à gagner la confiance des deux parties impliquées, le Président Ouattara et le Président Goïta. Cela nous a permis de trouver un compromis qui n’était pas facile à atteindre car la question était délicate et douloureuse.

La confiance mutuelle a joué un rôle déterminant dans la recherche d’une solution. Notre rôle n’était pas exclusif, mais il a été essentiel. Nous avons travaillé sur cette affaire pendant quelques mois avec l’aide de plusieurs personnes. Je tiens à partager ce succès avec toutes ces personnes, car sans leur contribution, cela n’aurait pas été possible.

Que ce soit avec la France ou les Anglais, nous diversifions. Ce qui compte, c’est l’intérêt des Togolais. Et si les intérêts des Togolais dictent certains choix difficiles, nous leur accordons une priorité absolue.

Une dernière question : avant le Mali, vous avez décidé de diversifier les partenaires du Togo, notamment avec la Chine, le Japon, la Russie, la France, les États-Unis et le Commonwealth. Pourquoi avoir opté pour cette stratégie de multilatéralisme ? Est-ce bénéfique pour le Togo ?

Faure Gnassingbé (FEG) : Je crois que c’est payant. D’abord, nous sommes un pays à dimension plutôt modeste, nous sommes travailleurs et nous accueillons tout le monde. Et quand les gens viennent au Togo, ils se sentent bien. Mais en même temps, nous ne sommes pas un grand pays minier, donc ce que nous voulons, nous le cherchons partout et nous le prenons là où nous le trouverons.

Que ce soit avec la France ou les Anglais, nous diversifions. Parce que nous savons que par le travail, par la créativité, nous pourrons trouver des solutions. Et si nous avons un problème ici au Togo, je pense que quelque part dans le monde, quelqu’un a déjà eu le problème et a trouvé une solution. Nous nous inspirons des bonnes pratiques de certains pays africains de la sous-région, nous faisons des benchmarks et nous essayons. C’est un peu cette philosophie qui guide mon action. Et puis le souci d’être indépendant, de ne pas être perçu comme étant irrémédiablement lié à quelqu’un. Ce qui compte, c’est l’intérêt des Togolais. Et si les intérêts des Togolais dictent certains choix difficiles, nous leur accordons une priorité absolue.

C’est la raison pour laquelle nous agissons ainsi, car parfois, notre taille nous offre cette opportunité. En tant que pays possédant des ressources stratégiques, nous sommes souvent convoités par des puissances étrangères, mais nous savons que les plus belles ressources ne sont pas nécessairement les plus grandes.

Interview réalisée par New World TV, transcrite et réécrite par Togo First

Source : Togoweb.net