Scandale: quand les universitaires togolais sont à l’épreuve de la transparence

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Les rares Togolais qui ont encore le courage de regarder la télévision nationale, ont vu l’écran à la couleur bleue du parti au pouvoir se transformer en écran multicolore affichant fiches de paie, chiffres, diagrammes, tableaux le tout accompagné de rodomontades, d’accusations, de menaces et de fatwas de toutes sortes.

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Certains ont dans un premier temps cru que l’assemblée nationale a choisi la voie pédagogique pour expliquer la loi de finances exercice 2021, avant de se raviser. D’autres plus sceptiques ont pensé que pour la première fois, deux ministres universitaires de leur état ont choisi de donner l’exemple en présentant à leurs compatriotes l’état de leurs patrimoines comme l’exige la Constitution togolaise battue et rebattue. Que nenni ! L’Université de Lomé (UL) a choisi la voie de se suicider en direct à la télévision nationale dans une émission de téléréalité où deux universitaires frappés de discrédit total et qui par la force des choses ont été propulsés aux postes ministériels dans le gouvernement made in Victoire Tomégah-Dogbé et qui garde leurs postes de Président de l’université et de Doyen de la Faculté des Sciences et de la Santé pour mener une bataille finale contre des ennemis invisibles.

De quoi parlait-on dans la téléréalité ?

Il était question de revendications salariales, d’augmentations de salaires, de détournements, de plateformes de dénigrement et patati et patata

Tout est parti de la création de l’Université de Kara (UK). Paix à son âme, feu président Gnassingbé Eyadema touché par la grâce a décidé d’ouvrir enfin en 2000 une seconde université publique dans la partie septentrionale du pays à environ 460km de la première créée en 1970 soit trois décennies après. Mais créer une nouvelle université suppose que vous disposez de personnel enseignant mobilisable instantanément. Mais comme ce n’était pas le cas, (on ne forme pas un enseignant d’université comme tout agent de la fonction publique), les enseignants de l’UL ont dû multiplier par deux voire trois leurs charges horaires pour répondre à l’appel du pays. Pour trouver des candidats, les frais de missions ont été multipliés pour rendre attrayante la tâche.

Mais très rapidement, les missions à l’UK devenues intéressantes parce qu’elles permettant d’arrondir les fins de mois difficiles des enseignants chercheurs du Togo se sont révélées un piège à cons. Ils étaient alors fréquents de voir mourir des professeurs et maîtres de conférences dont les ébauches de chantier de domicile étaient inachevées. Lors de leurs inhumations, il fallait y faire un détour pour saluer les plafonds entamés, les poutres dans leurs ferrailles et les puisards entrouverts, fruits de plusieurs années d’études et de sacrifices pour l’enseignement supérieur et la formation des cadres de la nation.

On peut tout dire de l’enseignement supérieur au Togo, ses fervents critiques sont toujours ses produits (des Premiers des ministres aux cadres fiers de leurs compétences en passant par les journalistes dont on se sert pour démolir l’université au Togo aujourd’hui). Les Togolais doivent être fiers de leurs universités.

Donc c’est confrontés aux déboires d’asseoir vaille que vaille et sans préparation les murs de la nouvelle université que les enseignants ont compris que leurs conditions de vie étaient précaires, surtout que déjà les bruits couraient sur l’ouverture d’autres sites universitaires. Faisant fi de leurs bords politiques, ils vont lancer des revendications qui n’ont abouti finalement que dix ans plus tard, c’est-à-dire en 2011. A chaque fois, les gouvernants prenaient prétexte qu’il fallait régler prioritairement les problèmes de bourses d’étudiants. En novembre 2011, le gouvernement togolais et les syndicats des enseignants du supérieur conviennent de deux choses importantes :

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Primo, de la grille salariale des enseignants des universités publiques du Togo. Pour convenir de cette grille, il a fallu compter avec la vision d’un non universitaire, le Ministre François Agbéviadé Galley, à qui l’université togolaise rend hommage ici. Sur ses instructions, une mission fut envoyée au Bénin et au Sénégal pour s’inspirer de leurs expériences et de leurs exemples en matière salariale. Sur la base des expériences de ces deux pays, les contractants ont décidé d’adopter à partir de cette année la nouvelle grille salariale des enseignants du supérieur au Togo. Il faut dire que l’adoption de cette nouvelle grille crée de facto le corps des enseignants du supérieur au Togo. Avant cette date, leur statut était assimilable à celui du corps des professeurs de l’enseignement général. Seules quelques primes octroyées mettaient la différence.

Secundo, l’Etat ayant prétexté qu’il n’était pas en mesure de concéder l’application immédiate de la nouvelle grille exigée par les enseignants chercheurs, il a donné son accord de concéder 50% de la nouvelle grille. Plus tard en 2016 après moult tractations, il concède 20% et en 2018 15%. L’Etat togolais doit encore 15% aux enseignants chercheurs des universités publiques. De plus, chaque fois que les fonctionnaires obtiennent des augmentations certains apprentis sorciers, gestionnaires d’épicerie s’arrogent le droit de ne pas mettre en œuvre les décisions présidentielles. Les enseignants chercheurs, modestes et patriotes n’ont jamais élevé la voix pour exiger l’application de ces mesures présidentielles.

Les enseignants chercheurs se demandent, où sont-ils allés chercher les chiffres dont ils abreuvent les togolais de bonne foi ? Comment ose-t-on demander aux enseignants formateurs de Premiers ministres, ministres, de députés, de magistrats hautement qualifiés et grassement payés d’accepter le salaire incomplet qu’on leur verse ? A qui profite le crime ? A quoi sert cette opération de diversion?

Quid des détournements ?

Tout Togolais qui passe devant l’Université de Lomé s’émerveille devant le cube bleu de la « présidence » qui se conjugue avec l’asphalte des rues, des échangeurs en construction et des ravalements de façade des immeubles datant de 1970 qui menacent de s’écrouler. On pourrait dire que c’est la face visible de l’opération. Mais une université n’est pas que décoration.

Nos journalistes pour faire œuvre utile et comme le permet les mécanismes de transparences peuvent aussi se rendre dans les salles, les amphithéâtres, surtout les laboratoires. Ils peuvent nous fournir les chiffres du nombre d’étudiants par ordinateur, par microscope, par éprouvette sans compter les autres matériels qui permettent une formation de qualité dans une université. Ils découvriront le niveau d’absurdité atteinte. Nos universités ne sont que des caricatures habillées de coquille qui laissent admiratifs les naïfs et les non-initiés. A quoi sert d’habiller un écolier qui a un joli cartable qui ne contient ni plume, ni règle, ni équerre ou livres ?

Devant la frénésie de la rénovation qui s’est emparée de l’UL, on constate des bizarreries : des travaux d’électrification effectués plusieurs fois, des immeubles démolis aussi vite que livrés, des fissures dans des murs des immeubles qui n’ont pas cinq années d’âge, etc. Le cas le plus emblématique est celui du bloc pédagogique qui est actuellement entièrement démoli parce que n’ayant pas supporté une élévation supplémentaire. Quels sont les coûts ? Les enseignants chercheurs, élite de la nation veulent comprendre, ils sont curieux de savoir. Ils n’accusent personne ! Que leurs interrogations soient portées sur les réseaux sociaux, n’a rien d’illégal ! A moins que…

De qui parle-t-on ?

Des enseignants chercheurs, du président de l’UL et du Doyen de la Faculté de Médecine ! Commençons par les premiers. Ils sont inoffensifs, ils se contentent d’ânonner leurs cours, de publier des articles dans des revues plus ou moins reconnus. Le résultat c’est que les universités publiques sont mal classées au plan international. Bref, ils sont d’illustres inconnus mis à part quelques-uns qui, bénéficiant de relais internationaux, font du pays une cible pour les médias. Ils sont à l’image du pays, sinistré et sans trop d’espoir d’émerger ! Tel pays, telles universités ; telles universités, tels enseignants chercheurs, dit-on !

L’universitaire c’est le dieu Prométhée allant chercher le feu pour le ramener aux siens. L’universitaire togolais n’a ni torche pour chercher le feu dont il ne connait qu’approximativement la destination. On parle de salaire élevé des enseignants chercheurs au Togo. A quoi servirait un enseignant chercheur dont le revenu ne lui permet pas d’aller effectuer des enquêtes de terrain, d’effectuer des prélèvements afin de les soumettre à l’analyse dans le cadre d’une recherche scientifique ou d’effectuer un voyage dans la sous-région pour participer à des colloques.

A l’université, nous avons des :

-missions sans frais : c’est un déplacement qui est pris en charge par les organisateurs tous frais payés (Billet d’avion, hébergement, restauration…). Sont bénéficiaires de ces missions, quelques rares enseignants chercheurs appartenant à des structures internationales de recherches. Souvent on y revient avec des publications sans cadeaux pour les enfants ;

– missions avec frais : ce sont des missions où vous pouvez aller à la charge de l’université tous frais payés. Vous pouvez revenir avec les cadeaux de Noël pour vos enfants ; et

– missions sans rien : Vous êtes invités à une rencontre internationale. Vous y êtes attendu comme personnage vedette. Mais les organisateurs vous demandent de vous prendre en partie ou totalement en charge. Vous ne pouvez pas vous adresser à votre banque, parce que vous êtes sous prêt ; vous vous tournez vers la présidence de votre université qui vous répond gentiment qu’il n’y a pas d’argent !

Si la dernière catégorie est la norme, la deuxième catégorie est gérée de façon non transparente. Nous n’avons jamais de récapitulatifs sur les bénéficiaires, les raisons de leurs missions et les liens avec les centres d’intérêt pour la recherche au Togo. On comprend toutes les frustrations des enseignants chercheurs qui demandent à avoir un pouvoir décent pour aller chercher le feu pour leurs compatriotes.

Parlons du second, le président de l’Université de Lomé. On peut tout lui reprocher mais il est volontariste. Mais son volontarisme est contrarié par sa incapacité à développer une empathie sociale. Pour lui tout est rapport de force. Mais dans une situation où l’universitaire bénéficie d’une liberté de penser et d’agir sacralisée par la tradition et les institutions de la république, on ne peut transformer une université en un collège d’enseignement. Dans tous les actes qu’il pose transparaissent la force, la confrontation et le défi. Mais dans les rapports sociaux le dirigisme ne produit pas de bons résultats. La preuve, les régimes autoritaires ont toujours été décriés puis renversés.

L’autoritarisme marche quand vous êtes sans faute et que vos actions le sont aussi. Malheureusement depuis que l’instance suprême du savoir en Afrique, le Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) l’a cloué au pilori en lui infligeant une suspension, il s’est retrouvé dans une situation sans issue. Au lieu d’appeler à sa démission, la communauté universitaire a joué à l’indifférence le renvoyant dans une situation de désespoir qui transparaît par des menaces de procès et des appels à l’ordre sans suite. En vérité, Pr Dodji Kokoroko se débat comme un pendu au bout de sa corde qui voit ses proches indifférents. C’est un drame personnel qu’il porte. Certains diront, il l’aura voulu ! En s’affichant devant la communauté universitaire comme paré de vertu au moment où une institution aussi auguste comme le CAMES l’a noirci, ses heures étaient comptées. Ses amis et protecteurs, ainsi que la communauté universitaire ne lui ont pas facilité la vie. Ils doivent instamment lui trouver une solution de sortie quelle qu’en soit la taille de la porte ! On ne peut demander à une personne dans pareille situation de se sortir d’affaire. Il faut l’aider au risque de lui donner l’occasion de décrédibiliser davantage l’institution universitaire par les actes comme celui du 26 novembre 2020 qui est loin de l’honorer et de nous honorer : rien n’autorise quelqu’un à gagner plus que celui à qui il doit ses compétences. Vouloir démontrer le contraire relève du délire !

La dernière question que l’on se pose à propos de cette téléréalité, est de savoir ce qui fait courir le Doyen de la Faculté des Sciences de la Santé (FSS). Brillant dans son domaine, nul doute. Mais vouloir scier la branche sur laquelle il est assis, relève de l’inconscience. Lorsqu’il a été question de l’enfermer dans les geôles des SRI pour fraudes, la communauté universitaire a fait bloc pour le protéger de ses propres turpitudes : quand on est enseignant, on assure l’égalité de chances à tous ses élèves. Nous ne voulons pas savoir ce qu’il a pu faire pour se retrouver à justifier ces appels téléphoniques que lui reprochaient les services de l’Etat à l’époque. Sa posture dans cette affaire se comprend parce que les pires au Togo, ce sont les ouvriers de la 25ème heure ! Ils ont tendance à être plus royalistes que le roi. Don Quichotte togolais et redresseur de torts, il faut être sans erreurs. Les recherches de la SRI ne sont que suspendues. Nous espérons qu’il n’aura plus besoin de ses pairs pour le sortir de son mauvais pas dont il en garde la conscience devant l’Eternel.

Allons à la transparence, rien qu’à la transparence, Messieurs !

Dossehvi Agblemagnon

Source : Togoweb.net