Infatigable et bosseur, Robert Dussey construit une diplomatie qui s’appuie sur une forte présence de Togolais dans les organisations internationales. Méthodique, ce philosophe rigoureux et ouvert est vite devenu pragmatique au contact de la réalité tout en restant profondément humaniste. Mais l’ombre de la politique fait vite oublier que le ministre des affaires étrangères du Togo est avant tout un intellectuel chevronné et un écrivain percutant.
Plus son pays s’enlise dans la crise politique qui le secoue depuis bientôt huit mois, plus il bouge ici et là. Pas seulement pour colmater les brèches diplomatiquesm mais aussi pour expliquer la crise aux dirigeants du monde qui le perçoivent à distance si ce n’est aux travers des opinions de presse. A peine finit-il un long séjour en Namibie (du 15 au 18 mars) où il obtient une annulation réciproque de visas et plusieurs accords entre les deux pays qu’il est déjà à Kigali. Le 21 mars, c’est le sommet extraordinaire de l’Union africaine (Ua) consacré à la Zone de libre-échange. Un accord que le Togo n’hésite pas à signer compte tenu des intérêts économiques qu’il peut en tirer.
Depuis, le ministre multiplie périples et tournées avec le même défi. Maintenir le rythme de retour des investisseurs déclenché depuis les dernières années tout en expliquant la crise politique pour rassurer les principaux partenaires. Mais aussi et sans doute pour cet homme de réseaux, passer de subtils messages pour calmer les inquiétudes.
Un philosophe rattrapé par la diplomatie
On ne le sait pas assez, mais avant de se mêler, par la force des choses à la politique, Robert Dussey est un universitaire qui, malgré son délicat portefeuille, n’a pas fini de donner des cours. Notamment avec des étudiants en master qu’il reçoit dans la grande salle du ministère.
Philosophe et enseignant, presque rien ne prédisposait à la politique cet ancien religieux franciscain si ce n’est sa pertinence à aborder des sujets trop « politisants » dans ses ouvrages. Penser la réconciliation au Togo lui a permis de révéler combien, bien qu’il vive loin de sa patrie, il suit de près les subtilités et secrets de la crise socio-historique qui le mine.
Il se sera vite passionné pour la construction de la paix en Afrique. Œuvre à laquelle s’attèle depuis des décennies dans la Communauté catholique Sant’Egidio, à laquelle il appartient. Mais sa principale passion reste la réflexion qui l’amène à la philosophie mais aussi le pousse à écrire l’un de ses premiers grands essais en 2002 : Pour une paix durable en Afrique : plaidoyer pour une conscience africaine des conflits armés, ouvrage qui titille chez l’auteur une prédisposition au service public et d’une certaine manière aussi, à la politique, pourquoi pas.
Après avoir été au cœur des discussions qui ont contribué à rapprocher l’opposant historique, Gilchrist Olympio de Faure Gnassingbé dans l’objectif de désamorcer une tension permanente qui empêchait la réconciliation, il deviendra conseiller du président togolais. Un poste qu’il aura occupé pendant 8 ans tout en se consacrant à l’écriture.
L’Afrique malade de ses hommes politiques : Inconscience, irresponsabilité, ignorance ou innocence ?, aux Editions Picollec en 2008 alimentera fantasmes et récriminations dans l’entourage présidentiel et dans d’autres palais tropicaux. Puis en 2011, Une comédie sous les tropiques, aux Editions l’Harmattan. Chacun de ses ouvrages est l’expression des méditations, lectures, perceptions et autres idées que le futur ministre se fait de l’Afrique. Cette période dense et intense a construit au fil des années une personnalité cultivée et percutante et aura, au final, forgé chez Robert Dussey une discrétion active. Des traits qui justifient la diplomatie d’humanité et d’efficacité à laquelle il s’efforce, depuis 2015.
Une diplomatie de visibilité
Sa discrétion naturelle et presque pathologique ne l’a pas empêché de construire et de renforcer progressivement une forte visibilité pour son pays. Notamment ces dernières années où Lomé est devenu la capitale des grands rendez-vous africains. L’historique sommet sur la sécurité maritime est encore dans les esprits et n’eut été la crise politique, le premier sommet Afrique-Israël se serait déroulé à Lomé. Avec de nombreuses rencontres et sommets internationaux, le Togo prend sa revanche de l’épopée devenue nostalgique de « la Suisse de l’Afrique » où il était la vitrine des grands rendez-vous avant d’être assommé par des crises.
Au-delà du grand lobbying diplomatique qu’il a mis en place, Robert Dussey ne cesse d’élargir l’influence du Togo dans le concert des Nations. Ce philosophe humaniste et introverti, inscrit aussi la promotion des togolais dans les institutions internationales en lettres d’or d’une stratégie pour laquelle il sait compter sur le soutien de Faure Gnassingbé. La liberté d’action que lui accorde le président togolais et la concomitance entre les deux hommes lui ont permis de maintenir avec aisance la vision d’une nouvelle et forte diplomatie que portait Faure Gnassingbé et à laquelle il tient, pour rattraper le temps perdu.
Aujourd’hui plus que jamais, le pays est présent à tous les grands rendez-vous, ce qui fait de la crise que traverse le Togo un coup dur à cette diplomatie qui devient, dans la sous-région, une référence. Image à laquelle la crise politique ne peut pas ne pas nuire. Que ce soit le vote contre la résolution condamnant la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, la proximité avec le Rwanda, l’intérêt pour le renforcement bilatéral avec l’Allemagne, l’ouverture du Togo sur de nouveaux pays (Amérique latine, Europe de l’Est et Asie) ou la mobilisation de nouveaux partenaires stratégiques au détriment du traditionnel pré carré français, la cohérence et la synergie font l’efficacité. Ce qui aura pour impact de rendre la diplomatie togolaise de plus en plus visible.
Renforcer la présence togolaise à l’international
Il n’y aura jamais eu autant de togolais dans des institutions et organisations internationales. La mise en place de la récente commission de la Cedeao en est l’illustration parfaite. Le Togo a réussi là encore à renforcer sa présence au sein de l’organisation sous-régionale. Le Togo aura décroché le département stratégique du commerce, douanes et libre circulation. Une commission d’autant plus importante que le président en exercice de la Cedeao en a fait une priorité. Faure Gnassingbé a d’ailleurs posé pour premier acte de sa présidence, la visite d’une frontière pour montrer combien la libre circulation lui tenait à cœur.
Le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest est aussi, grâce au dynamisme de la diplomatie nationale, aux mains d’un Togolais. Depuis son arrivée au ministère, Robert Dussey en a fait une priorité et la base de sa stratégie.
Après avoir été premier ministre, Gilbert Houngbo est passé brièvement par l’Organisation internationale du travail (Oit) avant de se retrouver au FIDA (Fonds international pour le développement agricole) avec le soutien de son pays et dont il est le président, poste jamais occupé par un togolais. Aujourd’hui, le Togo peut compter sur une forte présence dans les instances de l’Onu. Au secrétariat général de l’organisation, on retrouve Missoh-AkpakiAyéko (affaires juridiques) mais aussi FiaganEtiam (Appui aux missions), Kuwonu Franck (Information publique) ou encore Mme Ekloi-Assogbavi Rachel au département des opérations de maintien de paix. Sans compter la direction du centre pour la paix et le désarmement en Afrique dont le siège se trouve à Lomé et qui est dirigé par un Togolais. Ou encore la direction pays du Programme alimentaire mondial (PAM) à la tête de laquelle se trouve Jibidar Claude à Kinshasa.
Au total, une quarantaine de Togolais font le rayonnement du pays dans ces institutions internationales. Une politique à laquelle tient le gouvernement togolais et qui est le nœud de l’action du ministre pour qui une telle vision ouvre résolument le Togo sur le monde. Pertinent enjeu pour ce parfait mondialiste dont le brillant parcours universitaire aura été vite « smashé » par la politique à laquelle le destin l’aura vite jeté.
Source : www.icilome.com