« Il leur dit : « Jetez le filet à droite du bateau et vous trouverez. » Ils le jetèrent donc et ils n’avaient plus la force de le tirer, tant il était plein de poissons » – Jean XXI.6 (Bible de Jérusalem)
La crise au Togo prend une nouvelle coloration depuis le sommet de la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (C.E.D.E.A.O.) tenu à Lomé le samedi 14 avril 2018. Le communiqué final de la réunion désigne explicitement deux facilitateurs, les présidents Condé de la Guinée et Akufo Addo du Ghana chargés de proposer des recommandations de sortie de crise pour le sommet de juin 2018 en s’appuyant sur la commission de l’organisation.
Le sommet a donc pris acte de l’échec du dialogue tel qu’il a été amorcé le 19 février entre le pouvoir togolais et la C14. Il demeure néanmoins plusieurs motifs d’espérance. La crise au Togo n’était pas à l’ordre du jour du sommet de Lomé. Contre la volonté du pouvoir togolais, les chefs d’État se sont saisis de la question pour imposer un vrai mandat, confié à deux médiateurs. Les présidents Condé et Addo ont désormais dans le cadre d’un mandat clair le pouvoir de définir les axes de résolution de la crise, de les imposer au besoin aux protagonistes et de prendre des sanctions adaptées en cas de manquements. M. Faure n’a pas hésité récemment à prendre des sanctions contre la Guinée-Bissau. Il n’est pas douteux que les médiateurs de la crise au Togo prendront leur responsabilité dans le cadre d’une présidence tournante qui échoira probablement au président Buhari du Nigeria. L’enjeu se situe évidemment dans la nature des recommandations que proposera la nouvelle médiation. La question réside dans la confiance que le peuple togolais peut accorder à la C.E.D.E.A.O. dont la plupart des chefs sont francophones et organisés en syndicat principalement tourné vers la défense des intérêts de Paris. Ils apparaissent comme des chevaux de Troie de la France, identifiée à juste titre comme le soutien le plus sûr du régime dictatorial au Togo qu’elle a enfanté et biberonné de père en fils depuis plus de 50 ans. La tenue même d’un sommet extraordinaire à Lomé dans le contexte politique actuel, la présence de tous les chefs d’États francophones, l’absence remarquable des présidents anglophones du Ghana et du Nigeria indiquent la ligne de partage des alliés du peuple et de la dictature.
Cette évolution intervenue dans un contexte de regain de violence contre les manifestations indûment interdites ne saurait masquer les interrogations sur la gestion de la lutte par la coalition des 14. Il faut prendre en compte cette donnée objective et orienter l’action vers le véritable responsable de la crise au Togo. Il serait temps pour la C14 de cesser de louvoyer en focalisant la revendication sur M. Faure et son régime. Il faut avec courage faire face à la France dont le régime de Lomé 2 n’est que le relais local chargé de de maintenir par la force et le crime la pérennité d’un comptoir colonial en plein XXI ème siècle. Quelles sont les positions des partis politiques coalisés sur Paris et son ingérence au Togo ? Que pense la C14 du Franc CFA ? Quelle est la position de la C14 sur les bases militaires en Afrique et surtout les accords secrets de coopération militaire ? Quelle indépendance envisage-t-elle pour le Togo dans une Afrique en construction ? Le Togo a plus un problème de relation avec l’étranger et principalement avec la France qu’un problème d’alternance dans la poursuite d’un système mortifère et génocidaire. La C14 doit nous éclairer sur sa position sur les contradictions principales qui déterminent la résolution des contradictions secondes de l’alternance et de la bonne gouvernance. A l’exception notable de M. Atchadam, la C14 est aphone sur ces questions essentielles et jette ainsi le trouble sur ses véritables intentions. S’agit-il juste pour M. Fabre et consorts de proposer au peuple assoiffé de liberté, le remplacement dans les mêmes structures d’un régime pour un autre au service du maître de Paris ? L’opposition togolaise postule-t-elle simplement une alternance libérale ou se pose-t-elle en une véritable opposition de rupture que le peuple appelle de ses vœux ? En définitive la C14 doit situer la nation sur le choix entre l’alternance qui ne résout que la forme de la question et une véritable alternative qui postule l’éradication du mal à sa racine. Il convient d’aller en eaux profondes pour le bien véritable du peuple. Il en va de la crédibilité même de la C14 et de la lutte pour l’émancipation du peuple togolais.
L’errance dans un dialogue stérile avec des conséquences désastreuses
Il faut malgré tout féliciter la C14 pour sa constance et le maintien de l’union des 14 membres venus d’horizons divers, avec des visions programmatiques et tactiques différentes sous la seule volonté du changement exprimée par le peuple. C’est remarquable et inédit dans le paysage politique togolais où les regroupements sont prompts à imploser ou à se saborder et sont en définitive faciles à circonvenir par le régime en place. La C14 tient bon et fait avancer entre récifs et brisants l’esquif de la justice et de la liberté du peuple. La claire compréhension des enjeux jointe à la pression bienveillante et attentive du peuple ont conduit à un tel succès. Il convient de le maintenir et de l’élargir. Cela passe aussi par l’humble reconnaissance des erreurs et la vigilance de ne pas les réitérer dans la nouvelle phase qui s’ouvre.
Le dialogue inter-togolais avec une dictature est une erreur renforcée par la concession implicite de la suspension des marches. Nous ne reviendrons pas sur l’impossibilité fondamentale à obtenir une alternance d’un régime dictatorial par le dialogue. Nous pointerons néanmoins le désastre de l’arrêt des marches. Il est clair à présent que le seul but du dialogue tel que réclamé par le pouvoir est de chloroformer le peuple en enrayant les manifestations. Le pouvoir y a réussi sans rien concéder en retour ou si peu. La reprise des marches et la réaction hystérique des pouvoirs publics à travers leur interdiction illégale indiquent tout à la fois l’efficacité de cette arme non violente et surtout le recul que son arrêt a fait prendre à la lutte au Togo. La disproportion dans la réponse, le déploiement impressionnant d’armes de guerre, la sortie des militaires pour mâter de simples citoyens manifestants, le lourd bilan avec perte de vie humaine, de nombreux blessés et dégâts matériels traduisent le désastre que l’arrêt des marches a créé. Il s’agit d’une erreur tactique de la crédulité d’une frange de la C14. Il faut d’urgence tirer les leçons de cette incompréhensible orientation qui, en temps de moindre détermination du peuple, aurait scellé la fin de la révolution togolaise.
Le nécessaire retour de la fermeté
La C14 a donné beaucoup de gage. Trop sans doute. Au point de se fragiliser. La sécurité des leaders, victimes de voie de fait et même de tentative d’assassinat, est sérieusement menacée. Ceci est la conséquence des atermoiements d’une révolution de basse intensité qui, face à une dictature qui ne comprend que le langage de la force, jette en pâture le peuple et ses hérauts.
La première action correctrice consiste, tel Sisyphe, à reprendre le rocher et à desserrer à nouveau l’étau de l’illégale interdiction des marches. Il faut remobiliser et remettre la pression sur le régime. Il convient de faciliter le travail des médiateurs et ce n’est jamais en revoyant les exigences du peuple à la baisse. Attention à la crainte révérencielle remarquée chez les leaders qui poussent à un respect excessif au détriment des revendications du peuple. Le pouvoir a commis nombre d’erreurs vis-à-vis des médiateurs agacés et souvent frustrés par ses atermoiements dilatoires, ses manquements répétés à la parole donnée et souvent par de véritables « humiliations » diplomatiques. Il faut en tirer profit en remettant fermement sur la table la questions de la satisfaction complète des mesures préalables.
Il faut exiger et obtenir enfin la délocalisation des pourparlers dans un pays tiers. C’est une précaution minimale. Le pouvoir qui a essayé d’attenter à la vie des membres de la C14 ne peut plus assurer la sécurité de protagonistes des futurs pourparlers. L’erreur d’accepter le dialogue au Togo doit être corrigée. Reprendre les pourparlers après le déferlement de la violence c’est aussi exiger la présence autour de la table des vrais protagonistes de la crise. M. Gnassingbé doit être présent. Il n’est plus acceptable qu’il se soustraie à ses responsabilités en se situant au-dessus de la mêlée. C’est absurde et inacceptable. Symétriquement, une poursuite des négociations en dehors de M. Atchadam aux côtés de Madame Adjamagbo et de M. Fabre n’a aucun sens dans le contexte actuel de la lutte. Mettre sur le tapis la question de la place de l’armée dans la république et son implication intempestive et partiale dans la vie de la nation. Il faut, compte tenu des concessions déjà consenties par la C14, maintenir le contenu de la plateforme revendicative du peuple et éviter de (re) tomber dans le piège d’un gouvernement d’union nationale sous la conduite du système RPT / UNIR, chargée de conduire les réformes nécessaires à la libération du peuple togolais.
Les cartes de la sortie de la crise sont largement rebattues. Il faut désormais mettre les meilleurs atouts dans son jeu et les tenir fermement. Adossé à la force inexpugnable du peuple.
Jean-Baptiste K.
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23 avril 2018
27Avril.com