« Je n’ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur » – Winston Churchill
La crise au Togo est sans aucun doute rentrée dans sa phase la plus difficile pour les protagonistes et peut-être la plus dangereuse pour le peuple. Trois fait majeurs méritent toute notre attention. Ils présenteront pour le peuple togolais en lutte des conséquences désastreuses s’ils ne sont conjurés par une vigoureuse stratégie.
D’une part, M. Faure Gnassingbé a passé le témoin de la présidence de la CEDEAO à son successeur nigérian M. Buhari pour un an à compter du 4 juin 2018. Il s’agit pour le pouvoir dictatorial d’un événement assez inquiétant. De nombreuses mesures drastiques sont prises pour en atténuer l’effet. Tant ce strapontin « doré » permit à M. Gnassingbé de tenir à distance ses pairs de la communauté en anesthésiant toute velléité de résolution de la crise par l’application du protocole additionnel de la CEDEAO qui jure avec la pratique du régime autocratique au Togo. De plus, l’autocrate togolais a pu compter sur l’active complicité familiale de l’ancien président de la commission, son beau-frère M. Marcel De Souza, pour opposer une résistance à toute évolution démocratique au Togo.
D’autre part, conformément aux recommandations des chefs d’État lors du sommet du 14 avril 2018, la Commission de la CEDEAO s’est fortement impliquée dans la crise à compter du 2 juin 2018. Deux réunions bilatérales ont été organisées pour l’élaboration d’un projet de feuille de route à soumettre aux facilitateurs comme balise du prochain round de dialogue devant déboucher sur un accord avant le prochain sommet de la communauté fin juin 2018 à Abudja au Nigeria. On est ostensiblement loin de la résolution du sommet de Lomé du 14 avril 2018 qui préconisait des « recommandations » en vue d’une sortie de crise. En visant plutôt une feuille de route, la commission de la CEDEAO a pris l’option de la continuation du dialogue avec des effets dommageables pour la lutte.
Enfin dans le cadre d’un même entretien accordé au journal jeune Afrique du 3 juin 2018, M. Ouattara, président de la Côte d’Ivoire commente la crise en cours au Togo et n’exclut plus la possibilité de se représenter pour un ….troisième mandat en remettant « les compteurs à zéro ». L’événement n’est pas anodin et participe d’une stratégie en vue de sauver le régime de Lomé 2, pièce importante dans le schéma français de recolonisation de l’Afrique dont M. Ouattara est le défenseur le plus actif.
L’implication de la Commission comme tentative de sclérose de la présidence Muhammadu Buhari.
Il est impossible de renverser une dictature par le dialogue. La Commission de la CEDEAO en est bien consciente C’est bien pour noyer les revendications légitimes du peuple togolais à l’alternance et au changement qu’elle s’emploie à mener les acteurs dans la direction du dialogue. Une fois encore le régime a besoin de temps. Il n’a plus la possibilité de se l’offrir lui-même depuis que M. Gnassingbé n’est plus président en exercice de la communauté. La Commission de la CEDEAO arrive en suppléance. Le ministre de la fonction publique M. Bawara, point focal du régime, peut dire sa satisfaction de voir la conduite des opérations incomber désormais à la communauté.
Plusieurs faits ont préparé cette orientation. D’abord le débarquement de M. De Souza et son remplacement par l’ivoirien Brou : Il s’agit, rien moins que d’une prise de main de M. Ouattara, soutien le plus sûr du régime de Lomé 2 et cheval de Troie de la position française. M. Ouattara devient de fait un médiateur partial de la crise togolaise. Il est d’autant plus efficace qu’il est tapi dans l’ombre de la facilitation ghanéenne qu’il torpille à loisir en s’appuyant sur la Guinée d’Alpha Condé. Sa récente déclaration est donc un soutien détourné à la position intenable de M. Faure décidé à briguer un 4ème mandat contre tout bon sens et dans un délire dictatorial de remise de compteurs à zéro. Il fallait lui redonner le vernis de « normalité » que les velléités électoralistes de M. condé lui assuraient. M. Faure se retrouve bien seul depuis que le Professeur Condé a finalement jeté l’éponge. Il fallait lui porter secours d’autant que la réaction énergique de M. Issifou du Niger allant jusqu’à emprisonner des jeunes supporters de son troisième mandat risque de fragiliser au point de le ruiner l’espoir ténu entretenu par l’autocrate togolais de briguer un quatrième mandat en 2020. M. Ouattara vient de le faire
Ensuite, dans le cadre d’une présidence tournante, on savait que le président Buhari prendra le relais de M. Gnassingbé et qu’il s’est engagé pour une transition et une alternance pacifiques au Togo. Le Nigeria voit désormais d’un très mauvais œil l’érection au sein de la communauté d’un régime si réfractaire à tout changement. Cette position, appuyée par le Ghana doit être combattue ou du moins fortement canalisée au profit du régime de M. Gnassingbé et de ses nervis. Il fallait donc faire une « razzia » sur la Commission. C’est fait ; M. Kadanga, chef d’état-major des forces armées togolaises est bombardé chef du commandement communautaire ; M. Condé quant à lui est désigné facilitateur bis pour faire pièce à M. Addo et porter la voix de la France en embarrassant le déroulement du dialogue par l’accentuation du dilatoire. Enfin, la feuille de route décidée par la commission constitue la dernière trouvaille contre le « péril anglophone ». M. Buhari serait ainsi contraint de suivre la ligne déjà tracée par la Commission et les facilitateurs en faveur du maintien de la dictature au Togo avec tout au plus quelques concessions marginales. Il est remarquable à cet effet que les deux absents du sommet de Lomé du 14 avril fussent justement les présidents Addo et Buhari. La ligne de partage est donc très claire.
La crise au Togo au centre d’un enjeu géopolitique plus vaste
On passerait à côté de la crise togolaise et de ses implications et prolongements géopolitiques et géostratégiques si on s’en tenait au cadre étroit des frontières togolaises et à la proverbiale médiocrité du régime de Lomé 2. Nous ne comprendrions pas l’acharnement de la France et de ses valets régionaux à maintenir le régime togolais si nous ne situons pas l’importance de Lomé sur l’échiquier de la France dans ses visées de reconquête coloniale. La côte d’Ivoire et le Togo sont les bases arrière d’une politique visant un ensemble plus vaste à conquérir (les pays anglophones et lusophones) ou à reconquérir (les anciennes colonies françaises). L’implication de ces deux pays dans la tentative de renversement de la transition au Burkina Faso en dit long sur leur importance stratégique dans le déploiement de la politique de reconquête de la France. Le poids économique et militaire du Nigeria devient un verrou à faire sauter en même temps que le Ghana voisin. La tentative d’adhésion au forceps du Maroc à la CEDEAO avec le soutien actif de MM. Ouattara et Gnassingbé participent du souci de faire bloc pour atteindre le poids critique opposable au Nigeria et au Ghana. L’extension du mécanisme du franc CFA à toute la zone sera alors possible pour parachever la mainmise de la France sur les ressources de la zone CEDEAO à travers notamment le faux nez marocain. Il devient urgent de sauver le soldat Faure ou à tout le moins sauvegarder un régime si docile et si peu attaché aux intérêts de son peuple.
Pour une intensification de la lutte de libération
Les enjeux sont clairs pour la France et la communauté internationale. Il faut donc oublier l’espoir d’un sauveur extérieur. À moins de le susciter et de le renforcer. Il est temps pour la coalition d’exiger des orientations à la résolution de la crise et surtout d’être proactif. La tendance à s’inscrire dans les sillons tracés par les facilitateurs et la Commission de la CEDEAO traduit une forme d’irresponsabilité de la C14. La Commission propose une feuille de route et donc la poursuite du dilatoire au profit de Lomé 2. Est-ce là le vœu du peuple ? Assurément non. Que propose la C14 ? Rien. M. Fabre se fend d’un communiqué où il n’ose même pas exiger l’accélération du processus qui, dit-il, est « à la discrétion de la commission et des facilitateurs ». Le peuple togolais ne saurait être à la discrétion de qui que ce soit, fut-il chef d’État. Son avenir ne peut continuer ainsi à être joué au dé ! L’appel du Parti National Panafricain jure une fois encore avec la nonchalance du chef de file de l’opposition. Il faut reprendre les marches car un peuple aphone et résigné ne peut attirer ni sympathie ni soutien qui ne vont qu’aux peuples debout et résolus à conquérir leur liberté. L’heure est donc à un surcroît de mobilisation pour parer à toute éventualité. Les recommandations de la CEDEAO risquent de s’inscrire contre les intérêts du peuple et rompre avec la jurisprudence gambienne et bissau-guinéenne en accentuant la singularité togolaise que seul le peuple togolais peut briser. La lutte populaire est invincible.
Jean-Baptiste K.
27Avril.com