«…L’armée, surtout chez nous au Togo, par sa composition, par sa tradition répressive, a perdu tout attribut républicain et constitue aujourd’hui le socle dont le régime de dictature tire sa légitimité. Saura-t-elle profiter de l’air du temps pour ne pas terminer dans la poubelle de l’histoire? C’est la grande question qui se pose aujourd’hui au Togo, dans la diaspora et dans toute l’Afrique francophone…»
Voilà un extrait de ce que nous écrivions le 12 septembre dernier dans le quotidien «Liberté». Et c’est connu de tous que l’armée togolaise, depuis le début de la démocratisation dans notre pays, s’est fait et se fait encore remarquer par son opposition à l’avènement d’un nouvel ordre politique sur la terre de nos aïeux. Et ce serait malhonnête de notre part, si nous ne faisions pas la part des choses pour préciser qu’il s’agit d’une frange de l’armée togolaise qui s’est détachée du gros lot pour faire la loi, créant ainsi une armée dans l’armée. Cette frange radicale de la «grande muette» togolaise, aux allures tribales, s’est fait remarquer par son soutien inconditionnel au régime en place, comme si le pouvoir politique était une question de luttes ethniques entre Togolais.
Le pire dans toutes ces péripéties politiques au Togo depuis le début des années ’90, dont cette frange tribale de l’armée est au centre, c’est la survenue de drames humains, conséquences des violentes répressions des populations, avec leur corollaire de blessés et de morts, d’assassinats ciblés de citoyens, civils comme militaires. Soldats subalternes ou officiers supérieurs furent victimes de ce que beaucoup avaient désigné par épuration ethnique. Les manifestations publiques contre le régime de dictature, initiées par le PNP (Parti National Panafricain) et portées par toute l’opposition, en 2017 et 2018, furent encore une fois l’occasion pour cette armée pas comme les autres, de rappeler à tous ceux qui en doutaient encore, son caractère anti-républicain, en réprimant dans le sang et en organisant une chasse à l’homme à Lomé, dans le fief du PNP à Sokodé, et surtout en contraignant son chef, Salifou Tikpi Atchadam, à prendre le chemin de l’exil. Plusieurs dizaines d’innocents, dont l’arrestation de beaucoup était mue par des raisons ethniques, et qui ne constituent en rien un danger pour la sécurité du régime, croupissent encore en prison. La légendaire immixtion de l’armée togolaise dans la vie politique de notre pays fut malheureusement encore une fois décisive dans l’illégal maintien de Faure Gnassingbé au pouvoir, malgré son rejet par le peuple, à l’issue des dernières élections présidentielles de 2020. Le véritable vainqueur, Messan Agbéyomé Kodjo et son promoteur, Philipe Fanoko Kpodzro, un prélat de presque 95 ans, durent s’exiler pour sauver leur peau.
Ce qui est paradoxal, c’est que cette armée togolaise ne manque pas d’officiers de qualité formés dans des académies militaires de renom. Mais en dehors du fait que nos compatriotes «intello» en uniforme fassent souvent leurs preuves à l’étranger dans des pays en crise pour le maintien de la paix, ils sont la plupart du temps contraints chez eux, au Togo, de s’occuper de tâches qui n’ont rien à voir avec leur formation, et qui consistent souvent à faire réprimer leurs concitoyens dans le compte d’un régime politique, là où une armée normale devrait être apolitique et au service de tous les citoyens. C’est pourquoi nous nous demandons alors pourquoi dépenser tant d’argent pour la formation d’officiers pour une armée qui ne joue pas son rôle régalien, qui est celui de défendre le territoire, mais qui s’acharne plutôt contre ses propres concitoyens, des civils aux mains nues. Et c’est également pourquoi le caractère inutilement pléthorique, et conséquemment budgétivore de l’armée togolaise est souvent souligné par beaucoup d’observateurs togolais comme étrangers.
Aujourd’hui, le énième constat sur le caractère peu républicain de l’armée togolaise étant fait, et vu l’actualité dans l’environnement politique de la sous-région ouest-africaine et africaine ces derniers mois, où des armées nationales font parler d’elles dans le redressement de leurs pays respectifs, la «grande muette» togolaise, pas vraiment muette, devrait faire son examen de conscience quant à son vrai rôle dans la société togolaise. Toutes les victimes militaires qui jalonnent la tumultueuse histoire de notre pays depuis plusieurs décennies, dont la dernière est sans nul doute le Colonel Toussaint Bitala Madjoulba, tous les réfugiés militaires, dont les plus connus sont le Commandant Olivier Amah et Akila Esso Boko, -tous deux de l’ethnie kabyè, s’il vous plaît-, montrent à suffisance que tous ne sont pas d’accord avec la chape de plomb imposée à cette armée togolaise depuis Éyadéma jusqu’à Faure Gnassingbé.
Et comme nous demandions dans le titre de notre propos, l’armée togolaise étant désormais à la croisée des chemins, et qu’il n’est jamais trop tard pour se ressaisir et bien faire, saura-t-elle se rapprocher du peuple pour devenir une armée vraiment républicaine, pour que les générations futures et surtout l’histoire lui reconnaissent un jour des circonstances atténuantes? Ou au contraire, le peuple togolais et «son» armée devraient-ils continuer à se regarder en chiens de faïence? L’avenir nous le dira.
Samari Tchadjobo
Allemagne
Source : 27Avril.com