Quelques heures après la privatisation rocambolesque de la holding Togocom, le chef de l’Etat a présidé la signature de deux accords avec Dangote Industries Limited. Il s’agit de l’implantation d’une nouvelle cimenterie à partir du clinker togolais et nigérian et du développement d’une filière de transformation du phosphate en engrais. Un curieux accord entre l’« expert financier » du palais de Lomé II et son ami nigérian, membre du conseil d’administration de la holding Togo Invest censée initier des projets d’Etat.
Pendant que les opérateurs économiques togolais sont réduits aux paperasses dans ce machin de Chambre de Commerce et d’Industrie du Togo (CCIT) et étranglés par la pression fiscale, le chef de l’Etat ne manque pas d’occasion pour faire la part belle aux hommes d’affaires étrangers. Et tout a commencé avec le lancement le 25 mars 2011, du «Togo Presidential Investment Advisory Council – Conseil Présidentiel pour l’Investissement-» (TPIAC). Un think thank économique qui était composé de plusieurs influentes personnalités du monde des affaires et de la finance à savoir, Arnold Ekpe, ex-directeur général d’Ecobank, Anne Lauvergeon, ex-directrice du leader français d’aluminium Areva, Koosum Kalyan du groupe CEO de Petmin en Afrique du Sud, Juergen Schrempp, ancien PDG de Daimler Chrysler, Samuel Jonah, membre du conseil d’administration de la Standards Bank, Alec Erwin, ministre sud-africain des Entreprises publiques, etc. Mais entre-temps, beaucoup de ces gens ont quitté la barque et au cours de plusieurs tractations, les autorités togolaises ont réussi à convaincre Aliko Dangote de faire partie du TPIAC, et par ricochet, de Togo Invest Corporation créée par décret présidentiel du 14 novembre 2012. « Togo Invest a pour actionnaire unique l’Etat togolais et sera chargée de nouer des partenariats public-privés pour la construction d’un chemin de fer, d’un réseau routier viable, d’un terminal minéralier ainsi que d’autres infrastructures qui accéléreront le développement économique et social le long du corridor. Une centrale thermique et un réseau de télécommunication à larges bandes, intégré au chemin de fer viendront compléter le dispositif », avait indiqué le communiqué du premier conseil d’administration de Togo Invest Corporation tenu le 29 mai 2013. Mais plus de six ans plus tard, la kyrielle de projets pour lesquels s’était enthousiasmé à l’époque le chef de l’Etat en ces termes : « Ce projet, nous le savons ambitieux pour notre pays. Certains diront qu’il est fou (..) parce que pendant ces quinze dernières années, nous avons été habitués à ne plus rêver, à ne plus avoir d’ambition. Mais, nous croyons qu’avec l’aide des uns et des autres, nous pouvons réaliser ce projet », sont comme le rêve dans le ventre d’un chien. D’ailleurs, comment peut-on avoir les résultats escomptés si cette holding est gérée et opère de la même manière que les autres sociétés étatiques asphyxiées par la mauvaise gouvernance ? A preuve, l’unique fait d’arme de Togo Invest, c’est le rachat, dans des conditions opaques, de la totalité des actions de Shell afin d’enrichir les éternels pilleurs de la République.
Présidé par Barry Moussa Barqué, « le plus transparent devant Allah », le Conseil d’Administration de Togo Invest comprend également Sir Sam Jonah (Ghana), Claude Peyrot (France), Alhaji Aliko Dangote (Nigeria), Thulani Gcabashe (Afrique du Sud), Ignace Clomegah (Togo) et Seth Kokou Gozan (Togo). Depuis lors, le richissime homme d’affaires nigérian est devenu un habitué du Togo et sait vendre des rêves, même s’il faut verser régulièrement dans la démagogie. Par exemple, à la sortie d’une audience que Faure Gnassingbé lui avait accordée le 17 décembre 2013, M. Dangote avait annoncé l’investissement de sa multinationale dans « la transformation des matières premières au Togo transformation suivie ou non d’exportation ». Il avait en outre indiqué qu’il comptait également injecter au Togo, des ressources dans la production énergétique, à travers un PPP (Partenariat Public-Privé). L’objectif étant de doter le pays d’une seconde centrale de 200 MW, à côté de celle de Contour Global qui jouit d’une puissance de 100 MW, un projet qui serait piloté par « Togo Invest Corporation ». Pour pasticher l’écrivain français d’inspiration catholique, Gilbert Cesbron, on dira que « La démagogie est un mal bien africain. Ce jeu sinistre, qui nous avilit et nous ruine, requiert, d’un côté des menteurs et, de l’autre, des dupes ». Au lieu de la « transformation des matières premières » et de la « centrale thermique » dans le cadre de Togo Invest, Aliko Dangote a plutôt inondé les marchés togolais du ciment produit au Nigeria. Certes, du ciment un moins cher que celui fabriqué ici, mais personne n’oublie le désordre qu’orchestrent ses véhicules sur les routes togolaises.
On ne le dira jamais assez. Dangote aime délivrer aux Togolais les discours que leur servent souvent leurs dirigeants. Discours fondés sur les flatteries issues de l’absolutisme « gnassingbéen ». « Le seul port en eau profonde qu’on peut trouver aujourd’hui en Afrique de l’Ouest est ici à Lomé. Tout ce qu’on peut produire, on peut l’envoyer vers le marché de la CEDEAO qui est plus de 350 millions de personnes, et avec la zone de libre-échange continentale (ZLEC), on aura un marché plus vaste et on pourra attirer plus d’investisseurs locaux et étrangers », avait-il dardé lors du fameux forum économique Togo-UE en juin dernier à Lomé. Et d’ajouter : « Ce que j’aimerais avoir dans le cadre de ce partenariat entre le Togo et l’Union européenne, c’est que le Togo en tant que pays producteur d’un meilleur coton, soit en mesure d’exporter des habits dont on a besoin dans le monde et qui devrait s’adresser à l’Europe, à l’Amérique et c’est en cela qu’on peut avoir une croissance inclusive et les agriculteurs vont dégager des bénéfices en cultivant le coton ». C’est à croire qu’il suffit de recueillir le « meilleur coton » dans les champs de Djikpéléou dans la préfecture de Blitta ou de Tindjassi dans la plaine de Mô pour qu’il se transforme, par enchantement, en habits à exporter !
On en était là quand le milliardaire nigérian signe, le 08 novembre dernier, deux accords de partenariat avec le gouvernement togolais sous la bienveillance de Faure Gnassingbé himself. Il s’agit du développement d’une filière de transformation du phosphate en engrais estimée à 2 milliards de dollars et de la création d’une nouvelle cimenterie dont l’investissement est estimé à 60 millions de dollars et qui devrait permettre de créer 500 emplois directs. Des contrats qui, comme toujours, ont la senteur de l’opacité. Faure Gnassingbé qui entend garantir la transparence de la frauduleuse de 2020 en la finançant sur fonds propres, a besoin de l’argent frais. Et s’il ne faut pas privatiser certaines sociétés, il faut signer des accords avec des hommes d’affaires étrangers de même acabit.
« En transformant notre phosphate, nous allons non seulement créer des emplois, mais nous pourrons également mettre à la disposition de nos agriculteurs des engrais de bonne qualité et à un coût abordable », s’est réjoui le chef de l’Etat à la signature des deux contrats. Quid de la vingtaine de sociétés qui importent et commercialisent les engrais au Togo et, de ce fait, contribuent à la vie économique du pays ? Les a-t-on approchées avant pour leur proposer un tel projet ? Le Togo lui-même ne peut-il pas avoir sa propre usine de fabrication d’engrais en ouvrant le capital aussi bien aux Togolais qu’aux investisseurs étrangers ? En attendant de répondre à ces questions, il faut que le chef de l’Etat et ses amis cessent de faire croire aux Togolais qu’Aliko Dangote les aime tellement qu’il va leur offrir des engrais à des coûts accessibles. Un homme d’affaires est toujours guidé par des gains. En outre, les taxes et la corruption active font que les produits fabriqués sur le territoire togolais reviennent finalement plus chers.
Comme on peut le constater, pour la signature des deux accords avec Dangote, personne ne fait allusion à Togo Invest dont il est l’administrateur. Ce qui pose un problème, selon des spécialistes. « En tant qu’administrateur de Togo Invest qui initie des projets d’Etat, M. Dangote n’a pas le droit de bénéficier de ces contrats. C’est un conflit d’intérêt. Mais sachez que nous sommes au Togo et tout est possible », affirme un économiste. Un autre va un peu plus loin, même s’il apporte un peu de nuance : « Ces sessions de ces derniers jours sont presque des faire-valoir pour emprunter afin d’avoir des sous pour organiser les élections sur fonds propres. Sinon toutes ces transactions présentent des aspects louches. Certes, Togo Invest n’est pas l’entité ayant signé ces contrats, mais elle détient presque le « Fonds souverain » du pays. Et avec la présence de Dangote en son sein, cela présuppose qu’il sait beaucoup de choses sur ces dossiers. Ça s’apparente à un délit d’initié ».
Grâce à ses compagnons, hommes d’affaires étrangers, Faure Gnassingbé a désormais de l’argent pour mettre en branle sa machine électorale et le rêve du 4ème quinquennat. Quant aux hommes d’affaires togolais, réduits à la portion congrue et réunis dans ce truc maçonnique dénommé Synergie des hommes d’affaires de la relance économique (SHARE-Togo), ils n’ont qu’à aller sur le terrain pour battre campagne. Ils devront utiliser le peu qu’ils ont pour participer à l’effort de guerre, mieux à l’effort du maintien de la dynastie. Pour eux, « celui qui mange un peu, ne meurt pas »…
Géraud A.
Source : Liberté
27Avril.com