« Je ne peux admirer le courage de celui qui méprise la vie ». Dans le Journal des Faux-monnayeurs, André GIDE évalue les aventures humaines, les choix politiques, la conduite des affaires de la cité et écrase de son regard ceux qui ne s’adossent point aux valeurs, ou qui ne savent pas chérir l’humain-patron. Tous ceux qui défont l’humanité sèment le dégoût. Ils ne méritent rien des gratifications sociales pour se faire une place dans l’histoire.
Pour mener les hommes dans la cité, il y a des principes inviolables lorsqu’on veut répondre à leurs attentes : le projet et la culture du mérite. Sur ces deux bases, on peut réinventer le vivre-ensemble, le citoyen, l’avenir. La concomitance de ce binôme, projet et mérite, dans sa rigueur d’application produit la détonation heureuse du bondissement spectaculaire de la cité entière.
Il ne s’agit pas d’exhiber un manuscrit produit par un conglomérat d’opportunistes avides de gain que le chef, dans sa valeur intrinsèque, n’intègre ni dans la représentation qu’il a de l’Etat, ni dans les actes d’exemplarité à instruire toute la République. On a vu au Togo ce machin de propagande, Le Livre vert, un décor politique qui anime superflu d’un homme aux meurs travesties pendant trente-huit ans sans un soupçon de culte du mérite.
Le pire, en cette période autre en ses mœurs, est que les troubadours de la succession dynastique ont si longtemps vanté les qualités humaines et intellectuelles du fils, prince héritier dont l’évaluation est un sinistre nauséeux dans la conscience collective. Faure a bien agrandi nos cimetières où se reposent des milliers d’adultes et d’enfants victimes de la violence étatique et de l’inanition. Un régime qui s’évertue à créer des miliciens, qui les entretient au frais de la richesse nationale ne peut se prévaloir d’une culture civique et d’une culture de mérite. L’état piteux de nos écoles, de nos hangars de fortune et les effectifs des bateaux négriers dans nos classes n’indiquent aucun projet politique de l’héritier dynastique. Tout le bataclan qui tient lieu de centres de santé et hospitaliers renforce l’inhumanité de plus d’un demi-siècle de la gouvernance des crimes et délits.
Quel type de Togolais peut-on espérer créer de ce brouillamini politique de père en fils ?
Par quelles stratégies et sous quelles rigueurs doit-on retrouver, enfanter un nouveau type de Togolais dans une République aimante et aimée ?
1) L’étoffe de la gouvernance
Pour éduquer des hommes, il faut l’avoir été proprement soi-même, savoir apprécier l’héritage acquis, ce que fut l’itinéraire, l’envergure du génie de sa propre formation et vouloir transmettre les valeurs impérissables qu’elle comporte. Nous sommes des valeurs au travers de la qualité de la formation et nous nous voyons dans le miroir de la dignité des répondants que nous apportons aux problèmes qui nous sollicitent. Ainsi, nous devenons des créateurs des valeurs également.
C’est pourquoi, mener les hommes n’est pas un jeu. Conduire une cité exige l’intelligence et le talent. Bredouiller dans la médiocrité pour prétendre gouverner, c’est monstrueux. Ceux qui font péricliter les républiques dans le gouffre du désespoir ne sont que des prétentieux avides de titre sans le mérite.
Dans La Françafrique, le plus long scandale de la République, François -Xavier VERSCHAVE s’étonne de ce que les autorités françaises aient placé Eyadéma à la tête de la République togolaise avec l’audace d’un soutien inconditionnel au regard de ses qualités intellectuelles, morales, éthiques de l’ordre de moins l’infini. Il peint le parcours du «Timonier national» avec une documentation plurielle pour mieux cerner le vide qu’il représente.
La Conférence Nationale Souveraine est venue confirmer le poids inexistant de l’homme avec un chapelet glacial de ses horreurs. De Kazaboua à Agombio en passant par ses assassinats ciblés, ses frasques inédites, le relevé de ses prouesses à rebours arrache des larmes à toute la République et l’endeuille. L’ambition dont on n’a ni les moyens, ni le génie nous fait patauger dans des crimes.
Les trente-huit longues et épouvantables années de règne de l’homme de Pya correspondent à une seule thématique politique: la guerre civile. Il s’est évertué à en créer les conditions d’une armée ethnique en creusant la fracture Nord-Sud suscitée par la France, ennemie du mouvement des indépendances.
La seconde chose qui reste dans l’esprit des Togolais de cet homme, c’est l’orchestration d’une prostitution de luxe par l’animation populaire où il faisait danser le Togo à sa gloire et chacun des dirigeants puisait à satiété sur les lignes des danseuses pour des escapades libidinales. Tous ceux qui sont d’une faiblesse notoire pensent que l’argent suffit à la notoriété, qu’on peut s’en servir pour tout acheter. Il voulait acheter l’estime nationale avec la manne phosphatière. Il ne l’a jamais obtenue et même à titre posthume
Il a embourbé le type togolais dans la division, l’adversité régionaliste, et l’a perverti dans le vice et la corruption. Il lui a fait perdre tout son sérieux.
C’est l’éducation aux valeurs qui font progresser les peuples. Si celui qui se donne un habillage de leader est dans un dessèchement drastique en valeurs, que peut-il susciter dans la durée? « Qui a ses aises dans le vice, trouvera agitation dans la vertu» nous apprend Henri MICHAUX dans ses Tranches de savoir.
La gouvernance agit sur l’esprit de la collectivité. Les images du leader pénètrent aisément dans la conscience des jeunes, les modèlent, les forgent par le biais des médias. La pédagogie par l’exemple est le grand moyen de la formation des esprits.
L’héritage du fils n’est qu’une aggravation de la corruption, de la rapine, des tueries, de la déchéance éthico-morale des gouvernants et la démolition de la question sociale. Le parjure, le mensonge, les fausses promesses des gouvernants abîment la conscience des citoyens qui n’ont trop souvent que le réflexe des images envahissantes qu’ils reçoivent du sommet.
Pour quelles valeurs Faure a-t-il succédé à son père dans le traficotage de la Constitution et dans des crimes de masse?
Les hommes qui entretiennent des milices à l’intérieur de la République sont des hors-la-loi. Nous n’avons jamais vu Faure GNASSINGBE en ses trois mandats sur le terrain des sinistres et dans le feu de la détresse qui consume çà et là nos populations. Dans L’Etat spectacle de Roger -Gérard SCHWARTZENBERG, il n’y a pas de possibilité de qualifier un leader invisible dans les grands cataclysmes comme une valeur.
C’est la sensibilité qui déclenche nos inspirations les plus nobles, les plus fécondes. L’ « homme simple » est totalement desséché en inspiration et ne peut réinventer le type togolais; il n’en a plus les capacités. Quand le fils ne fait pas mieux que le père, la descendance n’a pas vocation à diffuser des valeurs, elle ne mérite la confiance de personne.
Nous sommes aujourd’hui des citoyens immoraux, violents, avides de gain, experts en abus de confiance parce que la gouvernance a fait son châssis d’évolution, la rapine, l’effraction autoritaire, le mépris des lois et de la personne humaine, le crime économique, le crime de masse…
2) La dynamique citoyenne
L’écroulement des mœurs des républiques en rebut comporte des rescapés ou enfante des esprits clairvoyants qui se positionnent pour un nouvel ordre dans un engagement subversif où les étincelles font le brasier qui préfigure de nouvelles semences de l’espérance collective. Les républiques anormales, celles des violations épouvantables des Droits humains, de la rapine autoritaire et de la spoliation des peuples s’étouffent d’elles-mêmes de ses criminalités, de ses horreurs, de ses cascadeurs de gouvernants, de ses faussaires et de ses fantômes. Elles sont si singulières dans leurs monstruosités qu’elles finissent par provoquer la révolte du citoyen, parce qu’il est à l’étroit dans un espace répressif aux multiples dérives.
Les grandes souffrances qui suppriment tous les petits bonheurs de l’existence sont les aiguillons les meilleurs de l’insurrection de la conscience. Quand le citoyen n’a aucun horizon d’épanouissement, il trouve en lui-même les ressources infaillibles de sa propre inspiration pour se dégager, s’offrir les brèches d’une oxygénation vitale. Il est condamné à l’audace, aux prouesses qui lui ouvrent le champ de l’épanouissement.
En outre, le monde est présent au monde dans une boutique de verre qui forge l’esprit des uns et des autres et ceux qui se voient dans les serres ont plus d’éléments de comparaison pour apprécier ce qui leur arrive.
Les despotes sont leurs propres fossoyeurs. C’est pourquoi dans Oppression et liberté, Simone WEIL écrit à juste titre: « Rien au monde ne peut empêcher l’homme de se sentir né pour la liberté. Jamais quoi qu’il advienne, il ne peut accepter la servitude ; car il pense ».
Inutile de remonter dans les détails l’époque médiévale, rencontrer ses souverains et leur gouvernance qui ont provoqué les pensées démocratiques et les soulèvements populaires. La grande révolution de 1789 est un aboutissement de la longue lutte contre l’oppression. Les sources de la modernité de la gouvernance démocratique sont émises et défendues par ROUSSEAU dans Du Contrat social et par MONTESQUIEU à travers L’Esprit des lois.
Qu’il s’agisse des penseurs ou de simples citoyens, tous ceux qui ne se sentent pas du tout bien dans leur propre société, dans la République dont les pratiques les étouffent se créent une nouvelle dans leur représentation et dans leur engagement. L’« africaille » ou la pagaille politique au Ghana a provoqué un exode massif des Ghanéens comme on l’observe aujourd’hui en Amérique latine et notamment au Venezuela. Il a fallu l’intervention révolutionnaire de RAWLINGS pour rebâtir le type nouveau de citoyen ghanéen sur des bases morales, éthiques, de justice et de l’effort pour servir la mère patrie.
Aussi, en quatre années de règne, SANKARA a-t-il édifié le peuple du Faso en changeant la mentalité du citoyen sur les bases de mérite, du travail, de l’intégrité, de la fierté nationale et de la consommation locale, de la santé pour tous. SANKARA et RAWLINGS ont compris que l’action de terrain, c’est-à-dire, le devoir d’exemplarité du leader est la meilleure forme pédagogique de l’acte politique pour élever la conscience du citoyen.
En cinquante-deux ans de crimes politiques, de crimes de masse, de crimes économiques, de crimes judiciaires, de préférences ethnicistes, le type de citoyen que la dynastie des GNASSINGBE a créé est partout aujourd’hui dans nos rues, dans nos écoles, dans nos services administratifs, dans nos marchés…Nous sommes devenus les gangsters de notre république, de notre société, de pauvres types en mentalité, en pensée, en escroquerie…Nous avons perdu tout notre sérieux.
Source : www.icilome.com