On peut directement poser la question avec une relative brutalité. Les forces françaises, vont-elles quitter le Niger ? La dégradation de la situation sécuritaire qui prévaut au Niger, malgré la présence du contingent français et des forces spéciales américaines, est similaire à celle du Mali et du Burkina.
De même, les contextes d’application des règles démocratiques ne sont pas très éloignés les uns des autres. Et surtout, les gouvernances se ressemblent en matière de corruption, de restriction de l’espace civique et d’affaiblissement de l’Etat de droit. D’une manière générale, ces trois pays ont des profils démocratique et sécuritaire qui se rapprochent.
De même qu’au Mali et au Burkina, ces éléments ont été présentés par les nouvelles autorités issues du coup d’Etat au Niger comme les facteurs ayant conduit à l’interruption brutale de l’ordre constitutionnel. C’est également le cas en Guinée, en dehors de la dimension sécuritaire.
Dans les cas du Mali et du Burkina notamment, les coups d’Etat sont accompagnés d’affirmation de souveraineté. La conséquence immédiate est le délitement des relations entre l’Etat français et les nouvelles autorités, ces dernières s’appuyant largement sur les mouvements africanistes. L’ex-puissance coloniale étant surtout perçue par la jeunesse comme soutien aux présidents déchus dont la gouvernance est décriée.
Le cas du Niger suscite de singulières interrogations. D’une part, ce pays est le repli de la force française Barkhane après son départ du Mali, environ 1.500 soldats y stationnent présentement. D’autre part, selon différentes sources, le Niger fournit entre 12% et 35% de l’uranium dont la France a besoin pour faire tourner ses réacteurs nucléaires.
Dans un article publié en juillet 2022, le journal français « Libération », citant CheckNews, indique que 34,7% de l’uranium importé par la France en 2020 provenaient du Niger, selon les chiffres du Comité Technique Euratom (CET).De plus, il faut savoir que les sites d’extraction d’uranium, comme celui d’Arlit, sont protégés contre les menaces terroristes par les forces spéciales françaises.
On le sait, l’uranium est un minerai stratégique pour la France, dans les domaines de la production d’électricité et de dissuasion nucléaire. On peut donc s’interroger sur les conditions dans lesquelles la France pourrait consentir le départ de ses troupes, si les nouvelles autorités nigériennes l’exigeaient, sachant que les russes sont à l’affût.
Le bombardement de la Libye, a-t-il ouvert la voie à la Russie dans le Sahel ?Au final, après le Mali et le Burkina, les militaires français pourraient quitter le Niger. Si le cas se produisait, on pourrait conclure que le bombardement de la Libye par la volonté du président Nicolas Sarkozy, et l’apparition du terrorisme, ont précipité une dégradation brutale de l’influence de l’Etat français dans les pays du Sahel. Après le Mali, où les forces françaises ont effectivement été remplacées par le groupe paramilitaire russe Wagner, et le Burkina où l’influence de la Russie est devenue une réalité, le Niger serait-il le troisième pays du Sahel à basculer dans le giron russe ?Les choses se déroulent finalement comme si le bombardement de la Libye avait ouvert la voie à l’arrivée de la Russie dans le Sahel. Une projection qui n’avait certainement pas été envisagée au moment où la décision de casser la Libye était prise à l’Elysée.
Au regard de cette succession de coups d’Etat, dans les autres capitales de la sous-région les présidences observent les événements avec une grande inquiétude. Après le Sahel, on s’interroge sur ce que deviendrait la position de la France dans les pays côtiers.Quel avenir pour la France en Afrique de l’Ouest ?Il y a un changement notable qui s’opère dans la perpétration des coups d’Etat. Précédemment, ces interventions militaires dans la politique intérieure étaient essentiellement l’initiative de l’Etat français, parfois avec l’implication des armées locales. On résolvait alors les problèmes politiques avec des solutions militaires. Les armées africaines ont compris le principe.
Depuis que le processus démocratique est enclenché en 1990, et que les promesses faites ne sont pas tenues, au bout de trente ans c’est la désillusion. On assiste désormais à une émancipation des militaires locaux qui prennent maintenant l’initiative de ces coups d’Etat, au nez et à la barbe des services français présents dans les pays, et parfois même dans la chaîne de commandement de l’appareil militaire.
Sur huit pays francophones en Afrique de l’Ouest, quatre ont soudainement basculé sous des régimes militaires après un coup d’Etat, et ce, en seulement 3 ans. Dans chacun de ces pays, les présidents renversés étaient être arrivés au pouvoir dans des conditions généralement qualifiées de démocratiques par l’occident, comme on l’entend à volonté sur le cas du Niger, sauf peut-être pour la Guinée. Tout cela met en lumière la fragilité des contextes politiques où beaucoup de chefs d’Etat édictent leurs propres règles démocratiques selon leurs intérêts du moment.
A ces quatre pays on peut aussi ajouter la Côte d’Ivoire qui a eu de violentes convulsions lorsque le président Alassane Ouattara a forcé le 3e mandat en 2020. Le Sénégal de son côté n’est pas tout à fait sorti des troubles, malgré la renonciation du président Macky Sall à faire un mandat supplémentaire. Quant au Togo, seul pays qui reste hermétiquement fermé à toute évolution démocratique, la situation politique est d’une grande volatilité. Seul le Bénin traverse actuellement une période d’accalmie relative depuis les dernières législatives. En matière de démocratie et de stabilité, le bilan n’est donc pas élogieux pour la sous-région.
Ainsi, la quasi-totalité des pays francophones de l’Afrique de l’Ouest est fragilisé et la démocratie y est grandement en souffrance. Cette situation générale délabrée met en lumière une démarche globale et systématisée dans la conduite des affaires des pays.
En fait, les signaux faibles sont apparus il y a déjà une dizaine d’années. Ils ont été ignorés et snobés par les Etats, puis sont devenus une inquiétante réalité qui déstabilise les pays. Désormais, la conjonction entre les attentes d’une jeunesse revendicatrice et des militaires décomplexés alimente l’inexorable perte d’influence de la France dans la sous-région.
L’Etat français, peut-il limiter les dégâts ?La relation de l’Etat français avec les ex-colonies semble fonctionner actuellement comme un bateau dont le gouvernail est cassé et qui ne peut donc aller que dans une seule direction, même s’il se dirige vers des récifs.
Malgré les déclarations de rupture prononcées par les différents présidents français et malgré la réalité des difficultés sur le terrain, comme au Burkina et au Mali, la politique de l’Etat français en Afrique semble figée et sans nouvelle perspective dans ses fondements. Le risque de contagion dans les pays côtiers est réel, surtout avec la pression des terroristes.
Y a-t-il une appréciation de la situation générale à sa juste valeur, aussi bien dans les palais africains qu’à l’Elysée, afin d’anticiper et de prendre les mesures idoines qui ramèneraient la sérénité et conduirait à des relations normales ? Rien n’est moins sûr.
Une chose est certaine, on assiste en direct à un réel bouleversement dans les relations entre l’Etat français et ses anciennes colonies. Seule une anticipation, de Paris et des capitales africaines, qui réponde aux vraies préoccupations de la population permettrait de limiter les dégâts. On semble en être loin pour le moment. Et il n’est pas sûr que l’intervention militaire en préparation contre les autorités maliennes crée de meilleures conditions de démocratie et de stabilité.
Le processus de démocratisation engagé en 1990 est à bout de souffle. Ce n’est pas la démocratie en elle-même qui est mise en cause, mais la manipulation excessive que les chefs Etats en ont fait pour confisquer le pouvoir, avec la bienveillance des autorités françaises.
En satisfaisant les attentes de la jeunesse, il y a encore des choses à sauver, il revient aux dirigeants de prendre les dispositions qui s’imposent.
Nathaniel Olympio
Président du Parti des Togolais
Source : icilome.com