Ça fait plus de trois décennies que ça dure, la lutte contre le régime de dictature Gnassingbé, menée par des Togolais qui se sont constitués en ce que nous appelons l’opposition. L’opposition togolaise, qui a une longue histoire, a connu des hauts et des bas depuis 1990. Beaucoup des pères du processus de démocratisation au Togo, handicapés par l’âge, ne sont plus actifs, ou ont déjà carrément quitté ce monde. Il est vrai que les Togolais et leur opposition n’ont pas eu cette chance que, par exemple, nos voisins de l’est, les Béninois, ont eue avec Mathieu Kérékou qui avait laissé les choses aller leur cours après la conférence nationale tenue en février 1990. Au Togo, Éyadéma, après avoir accepté les décisions de la conférence nationale du bout des lèvres, lança ses tueurs à la trousse des opposants. Il y eut des attentats et des assassinats sur lesquels nous n’allons pas revenir ici. Il y a donc la terreur et le jusqu’au-boutisme du régime d’en face qui considère le pouvoir politique comme quelque chose qu’on acquiert par la force et qui devient un bien personnel, ou même familial, comme exactement dans le cas togolais. Mais depuis 1990 jusqu’en 2024, au cours des différentes péripéties de lutte, à chaque fois où les populations togolaises et l’opposition étaient près de mettre fin à la dictature, des paramètres endogènes à l’opposition elle-même, comme l’égoïsme, l’orgueil, la recherche de la célébrité personnelle, la compromission de certains avec le pouvoir, sont venus mettre fin à l’espoir et réconforter le régime dictatorial qu’on prétend combattre. Toutes ces faiblesses humaines qui ont contribué, pendant trois décennies, à saper le travail de l’opposition au Togo, ont fait en sorte qu’il est aujourd’hui difficile de parler d’une opposition togolaise organisée. Y en a-t-il vraiment encore une?
C’est la question que beaucoup de Togolais se posent aujourd’hui en observant le théâtre qui nous est offert par ce qu’il reste de l’opposition. Depuis surtout la mascarade d’élections législatives du 29 avril 2024, tout est sens dessus dessous. En dehors de Nathaniel Olympio du Parti des Togolais et de quelques rares journaux qui s’expriment de temps en temps, pour rappeler que nous avons encore au Togo un régime de dictature inhumain auquel il faudrait mettre fin, les formations politiques de l’opposition, ayant participé au scrutin de la honte d’avril dernier, semblent être devenus aphones et au bout de leur latin. Il est clair qu’en décidant d’aller siéger, la DMP et l’ADDI, non seulement, acceptent le déroulement des élections frauduleuses et le résultat affecté à l’opposition, mais servent surtout de caution à la modification unilatérale de la constitution togolaise, par Faure Gnassingbé, qui fait passer notre pays, sans referendum, au régime parlementaire, et partant à la 5e république. Leur présence donc à l’assemblée nationale de pacotille, taillée sur mesure pour le dictateur togolais, en dehors des émoluments reçus à la fin de chaque mois, n’apporte aucune plus-value, s’agissant de la lutte contre la dictature.
Et le bon sens aurait voulu que la décision pertinente et courageuse des formations politiques ANC et FDR de boycotter le parlement qui n’en est pas un, décision saluée par beaucoup de Togolais, serve d’occasion à cette opposition extra-parlementaire pour se remobiliser pour la suite du combat engagé depuis 1990. Mais du côté des états-majors des deux partis politiques c’est le silence et l’inaction totale. Sont-ils entrain de mûrir des idées pour nous réserver une belle surprise qui remobiliserait le peuple et révigorerait la lutte? Il n’est jamais trop tard pour bien faire, dit-on. Mais cet optimisme est vite contredit par l’image de division présentée par cette opposition en plusieurs occasions, où une opposition responsable, soudée, et ayant en commun un seul but, aurait pu ou dû parler d’une voix. La division de l’opposition togolaise et l’inimitié entre beaucoup de ses leaders ne datent pas d’aujourd’hui et passent pour être un secret de Polichinelle. Les choses se gâtèrent au vu et au su de tout le monde au lendemain des élections présidentielles de février 2020, où le défunt Agbéyomé Kodjo réclamait à haute voix sa victoire à lui volée par Faure Gnassingbé. Le défunt prélat Philipe Fanoko Kpodzro, entré dans la danse à travers le mouvement créé par ses soins, la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), accusa Jean-Pierre Fabre et sa formation politique, l’Alliance Nationale pour le Changement (ANC), en des termes relativement durs, de refuser de se mettre de son côté pour aider son candidat à arracher le pouvoir. Les responsables de l’ANC se braquèrent et le divorce entre la DMK et l’ANC devint total. Entre-temps la lune de miel au sein du mouvement contrôlé par le prélat prit fin et Madame Brigitte Adjamago et ses amis quittèrent le bateau pour créer une nouvelle dynamique: la Dynamique pour la Majorité du Peuple (DMP).
Voilà la configuration qui était celle de l’opposition togolaise, et qui permettait désormais à Faure Gnassingbé de faire tout ce qu’il voulait pour son maintien au pouvoir, sans craindre d’être contrarié par une quelconque opposition parlant d’une voix. Et ce qui devait arriver arriva. En catimini, sans consulter le peuple, en dehors de cette honteuse comédie qui avait consisté en la soi-disant consultation des chefs traditionnels, le dictateur togolais fait changer la constitution togolaise par une assemblée nationale aux ordres et surtout en fin de mandat. Une nouvelle constitution personnelle de Faure Gnassingbé qui fait passer le Togo à un régime parlementaire et à la 5e république. Il est vrai qu’une opposition unie et solide aurait pu mieux s’organiser, chercher des stratégies pour contourner l’interdiction de manifester du régime de dictature, et appeler le peuple à la résistance. Il va de même pour les fameuses élections législatives. Il existe une frange très importante de l’opposition qui ne croit plus aux élections, tel qu’elles sont organisées au Togo, pour faire partir Faure Gnassingbé du pouvoir, et il y avait plusieurs raisons qui portaient de l’eau au moulin de ceux qui penchaient pour la non-participation: le changement unilatéral et en catimini de la constitution, en pleine campagne électorale, mettant les candidats aux élections législatives devant le fait accompli, ayant fait campagne sous le régime présidentiel, pour finalement voter le jour du scrutin sous le système parlementaire, voulu par le changement de constitution. La division, donc le manque d’entente et de concertation au sein de l’opposition a naturellement pour conséquence inévitable la salade que nous avons aujourd’hui. Malgré les fraudes en direct le jour des élections, malgré le score à la soviétique que le pouvoir s’est attribué, malgré le score humiliant de seulement 5 députés affecté à l’opposition, Madame Brigitte Adjamago de la DMP (Dynamique pour la Majorité du Peuple), Professeur Aimé Gogué et son collègue de l’ADDI décident de sièger, pendant que Messieurs Jean-Pierre Fabre et Paul Dodji Apévon, respectivement de l’ANC et des FDR boycottent le parlement de la honte.
Après la présentation de ce sombre tableau qui est celui de ce qu’il reste de l’opposition togolaise, la question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir ce que sera la suite. Madame Brigitte Kafui Adjamago, un peu perdue sur les sièges du parlement personnel de Faure Gnassingbé et Prof. Aimé Tchabouré Gogué, se vantant d’être le doyen d’âge, ont fait un choix qui ne change en rien le maintien de Faure Gnassingbé, donc de l’arbitraire, des violations des droits de l’homme, des malversations financières, du mépris du Togolais et de la Togolaise, au pouvoir, bien au contraire! Jean-Pierre Fabre et Paul Dodji Apévon ont pris une décision, a priori sage et à juste titre saluée par beaucoup de démocrates togolais. Mais à quoi sert-elle finalement, cette décision, si elle est aujourd’hui synonyme d’immobilisme et de démission? Nathaniel Olympio est aujourd’hui pratiquement le seul, avec certains responsables de la société civile, à prêcher dans le désert pour la fin de la dictature de Faure Gnassingbé. Leurs efforts pourront-ils servir d’exemple afin que la haine entre responsables de l’opposition soit mise de côté, pour enfin penser à la souffrance des populations togolaises, et se mettre ensemble? En France, pour empêcher les extrémistes de droite d’arriver au pouvoir, des partis politiques ont appelé à voter pour des candidats d’autres formations politiques qu’ils ne portaient pas forcément dans leur coeur. Au Togo, pourquoi ne serait-il pas possible de transcender les haines personnelles, les rancoeurs, les rancunes et les divisions, pour mettre fin à la dictature familiale la plus impitoyable d’Afrique de l’ouest et libérer le peuple?
Samari Tchadjobo
Allemagne
Source : 27Avril.com