Il est universellement admis que les meilleures théories ne peuvent donner de réponses réelles que si elles sont appliquées par des hommes honnêtes. Mais ces « hommes honnêtes », les Togolais en cherchent depuis le début de ce processus de réconciliation. Ceux qui, pour des intérêts inavoués, ont inventé cette « réconciliation à la togolaise », usent de subterfuges et de dilatoires pour la brandir aux yeux de l’opinion nationale et internationale, comme si le peuple togolais vit le meilleur processus au monde. Ceux qui sont porteur de ce processus et le Haut-commissariat à la réconciliation et au renforcement de l’unité nationale (HCRRUN), continuent d’avancer bien qu’étant conscients de l’impossible réconciliation entre les Togolais dans un contexte où le peuple reste toujours à la merci des bourreaux qui jouissent d’une impunité insolente. Aujourd’hui, il apparaît clairement que le HCRRUN banalise, pire, sabote le travail effectué par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR).
A l’heure de la réparation des victimes, avec les « indemnisations symboliques », selon les termes du HCRRUN, tout semble se savoir sur ce processus dit de réconciliation qui, en réalité, n’en est pas un. Surtout avec l’étape de la purification du Togo décrétée par le gouvernement du 3 au 9 juillet 2017, portée par l’institution d’Awa Nana-Daboya, les langues commencent par se délier. Ceux qu’on dit favorables au processus et qui seraient associés depuis le début, semblent émettre des réserves.
Ces derniers n’hésitent pas aujourd’hui à dénoncer les manquements qui entourent le processus de réconciliation au Togo. Quant à la cérémonie de purification, tout Togolais reconnaît aujourd’hui qu’il ne peut y avoir une véritable purification du Togo que lorsque les esprits seront apaisés. Et pour que cela arrive, il faut un véritable acte de contrition des auteurs des violences qui ont coûté la vie à des milliers de filles et fils du pays. La réconciliation ne saurait être une opération commando où on obligerait les Togolais et/ou victimes à se réconcilier avec leurs bourreaux qui continuent de les menacer, de les tuer ou de les priver de leur liberté. Dans ce contexte, la cérémonie de purification à laquelle on tente d’associer les grandes religions du Togo ne peut qu’aboutir au piètre spectacle auquel on assiste aujourd’hui.
Division entre les prêtres vodou
Les dessous de cette manipulation, pompeusement appelée « purification du Togo » ont été dévoilés le mardi 4 juillet dernier sur la Télévision togolaise (TVT), dans une « émission spéciale » sur le lancement des cérémonies. Il y a une guerre entre la Fédération des prêtres vodou du Togo, dirigée par Togbui Atchinou qui est également le Président national de la Fédération des prêtres traditionnels du Togo, et la Confédération des prêtres vodou du Togo dont le premier responsable n’est autre que Togbui Nyagblodzro. Dans l’émission sur la TVT mardi dernier, Hounongan Atchinou déclarait qu’il n’a pas été invité par le HCRRUN pour ces cérémonies de purification, mais que c’est plutôt le préfet du Zio qui l’a invité pour ces cérémonies dans cette préfecture.
A l’en croire, en tant que président national des prêtres traditionnels du Togo, c’est lui qui est habilité à prendre le devant de ces cérémonies et associer les prêtres vodou sur toute l’étendue du territoire pour le compte de la religion traditionnelle. Mais contre toute attente, c’est Togbui Nyagblodzro qui a été approché par l’institution d’Awa Nana. « Après ces cérémonies, tout le Togo sera pacifié », a déclaré Togbui Nyagblodzro lundi dernier dans le journal de 20 heures. Une déclaration qui fait sourire les observateurs avertis qui suivent de près ce processus. On veut bien le croire, seulement c’est le Togo. Les deux prêtres vodou cités plus haut ne s’entendent pas pour plusieurs raisons. Comment ceux sont incapables de faire la paix peuvent purifier le Togo? Voilà une triste réalité de la comédie servie par le HCRRUN.
Les chrétiens ne se sentent pas prêts
« Nous ne nous associerons pas à cette cérémonie de purification », a déclaré un révérend pasteur (dont nous taisons volontairement le nom), lors d’une rencontre avec la presse la semaine dernière. Cette position explique le regard que portent les chrétiens sur le processus de réconciliation conduit par le régime RPT/UNIR, en complicité avec le HCRRUN. Une position qu’épouse le Conseil chrétien du Togo.
Selon son représentant présent dans l’émission sur la TVT mardi dernier, ce Conseil n’est pas prêt pour accompagner ces cérémonies. A l’en croire, il faut que les bourreaux demandent d’abord pardon au peuple. Une réconciliation unidirectionnelle est vouée à l’échec. On ne peut donc pas demander aux Togolais de se réconcilier, en donnant de l’argent aux victimes. Il faut que les bourreaux fassent acte de contrition et donnent les garanties de non répétition des actes. La position des églises Evangélique et Méthodiste a été claire : « La réconciliation ne peut aboutir à la paix que lorsque tous s’engagent dans une démarche de conversion des cœurs. Contrairement à l’imaginaire populaire qui assimile le processus actuel de réconciliation engagé par l’Etat à une simple opération de réparation financière, l’EEPT et l’EMT croient que toute réconciliation coûte cher en émotion et en sentiment : elle se fait, en effet, dans la douleur, à travers les actes de contrition et de pardon des acteurs impliqués, à savoir prioritairement l’offenseur et l’offensé. Bien conduite, la démarche en cours permettra à l’offenseur et l’offensé de cheminer à nouveau ensemble, comme nous l’illustre l’épisode biblique de la résolution du conflit entre Jacob et son frère Esaü : « Ésaü courut à la rencontre de Jacob; il l’étreignit, se jeta à son cou et l’embrassa,… Et ils pleurèrent. ….Ésaü dit (à Jacob): Partons, mettons-nous en route; j’irai devant toi » Genèse 33 :1-14 ».
Le Révérend Père Martial Tsikata a donné la position de l’Eglise Catholique au cours de l’émission sur la TVT. Il ne s’agit pas de décréter une semaine ou un jour pour faire ces cérémonies, à travers des prières et des messes. Pour lui, l’église Catholique a déjà prié pour le Togo le 14 avril dernier, lors du Chemin de Croix en prélude à la fête de Pâques. Et l’église continue de le faire tous les jours, a-t-il poursuivi, à travers des messes et des assemblées des fidèles. Il est clair, au regard de tout ceci, que les chrétiens manifestent ouvertement leurs distances vis-à-vis de ces cérémonies criées sur tous les toits par les initiateurs et leurs complices.
Les musulmans peu impliqués
A part les responsables de l’Union musulmane du Togo (UMT) qui sont très proches du régime, et qui constituent presque des béquilles du pouvoir en place, les autres adeptes de cette religion assistent indifférents au folklore qui se déroule dans le pays. D’ailleurs, ils partagent aussi la position des chrétiens qui posent la condition d’une véritable contrition de ceux qui ont fait du mal à ce peuple.
Les signes ne trompent pas. Les prêtres vodou sont divisés, les chrétiens ne sont pas prêts, puisque les coupables ne se voient pas dans ce processus de réconciliation, les musulmans restent sceptiques. On peut sans risque de se tromper affirmer la fameuse purification a véritablement du plomb dans l’aile. Il est clair que les initiateurs s’entêtent et organisent des simulacres pour montrer au monde entier que le Togo se réconcilie, afin de pouvoir bénéficier des largesses des partenaires. Mais la réalité est que le peuple togolais ne sera jamais réconcilié dans les conditions actuelles, marquées par la répétition des actes qui conduisent aujourd’hui à ce processus.
Une purification dans le sang
Et le sang qui continue de mouiller la Terre de nos Aïeux ? Une question qui se retrouve légitimement sur les lèvres des Togolais qui assistent presque chaque jour que Dieu fait, à la barbarie entretenue par des hommes de mains du régime RPT/UNIR qui les remercie sans se sourciller. Au Togo, on est en présence d’une sorte de « syndicat de crime » qui jouit d’une impunité qui lui confère une certaine invincibilité. Qui pour arrêter le crime ? Visiblement personne. Pire, on demande aux Togolais d’embrasser ceux qui les tuent, leurs bourreaux. Pour un oui ou pour un non, on tire sur les Togolais comme des moutons, malgré le « plus jamais ça » prononcé dans l’un des foyers des atrocités qu’a connues le pays. Si les populations elles-mêmes prennent l’initiative de dénoncer l’impunité dont elles sont victimes, le régime lâche à leurs trousses des individus qui ont peu de scrupule pour les étouffer.
Ces gens sont visiblement prêts à rééditer les mêmes atrocités, puisque vu la manière dont le processus de décentralisation est conduit, sans perdre de vue la façon dont les questions des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales sont traitées par ce régime, l’on ne peut que craindre le lendemain pour ce pays. Or, ce sont ces éléments qui constituent les garanties de non répétition des violences sur les populations. La réconciliation de façade que fait le RPT/UNIR montre à tous ses limites. Les signes de son cuisant échec se sont encore révélés dans cette histoire de purification du Togo du sang versé par les filles et fils au cours des périodes de 1958 à 2005.
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