Prisons togolaises : 70% de détenus n’ont jamais été jugés !

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Alors qu’ils projetaient de porter dans la rue la contestation du quatrième mandat de Faure Gnassingbé, usurpé selon eux, et d’exiger toute la lumière dans le Pétrolegate, du nom de cette affaire de présumé détournement de 500 milliards FCFA survenu…

Alors qu’ils projetaient de porter dans la rue la contestation du quatrième mandat de Faure Gnassingbé, usurpé selon eux, et d’exiger toute la lumière dans le Pétrolegate, du nom de cette affaire de présumé détournement de 500 milliards FCFA survenu dans le cadre de la commande des produits pétroliers au Togo, Gérard Djossou et Brigitte Adjamagbo, leaders de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) ont été arrêtés et accusés de tentative d’atteinte à la sûreté de l’Etat. Placés en détention le 27 novembre 2020, ils ont été libérés le 17 décembre 2020, moins d’un mois plus tard. Ils l’ont échappé belle, comme on dit. Sans doute à cause de leur statut de personnalités politiques qui plus est, de l’opposition qui leur a fait bénéficier d’une hyper médiatisation de leur affaire et d’une bonne défense, solidement menée par Me Darius Atsoo, pas un inconnu du barreau togolais.

Contrairement à eux, ce sont des milliers de personnes qui, envoyées en détention préventive, se retrouveront véritablement en « prison » et à « purger des peines privatives de liberté » auxquelles ils n’ont jamais été condamnés, car n’ayant jamais bénéficié d’un procès équitable ou d’un procès tout court, à l’issue duquel leur sort a été scellé. Une situation qui conforte de nombreuses voix au sein des Organisations de la société civile (Osc) ici et ailleurs de ce que le Togo navigue à plein temps, dans le non-droit et les violations systématiques des droits des détenus. Au Togo, déplorent celles-ci, non sans caricature, le principe est la présomption de culpabilité. Et les chiffres concernant la proportion de la population carcérale n’ayant jamais été jugée au Togo, d’après la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh) qu’il y a eu en 2020 sont renversants, après des visites dans six prisons au Nord-Togo.

La présomption de culpabilité plutôt que la présomption d’innocence ?

« Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie… », prévoient les instruments juridiques internationaux, repris par de nombreux pays dont le Togo. Le principe est en effet affirmé par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789: « tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable… » à l’issue d’un procès équitable. Mais le Togo rame depuis plusieurs années à contre-courant de cette règle, tant et si bien que le principe de la présomption d’innocence s’en trouve non seulement galvaudé mais aussi et surtout vidé de tout son sens. Le taux élevé de détenus non jugés et qui croulent dans les geôles togolaises illustre cette anormalité qui est très vite interprétée par les défenseurs des droits humains, comme une présomption de culpabilité.

Aussi effarant que cela puisse paraître, et alors que la surpopulation carcérale a été identifiée comme faisant le lit à de nombreux maux dont souffrent les détenus, 70% de ceux qui vivent privés de liberté au Togo n’ont jamais bénéficié d’un procès.

Ainsi, sur 100 personnes détenues, seules 30 sont jugées et condamnées. Les autres qui y sont gardées, soit les 70 personnes sont soit des prévenus soit des inculpés. Une statistique d’autant plus alarmante qu’elle traduit la violation flagrante et de façon régulière, du principe de présomption d’innocence.

Alors que le principe, c’est la liberté et l’exception la privation de la liberté, le Togo semble avoir, de facto, inverser les règles. D’après les informations recueillies, le recours à la détention préventive n’est légitime que lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction, et que la détention est nécessaire et proportionnée afin d’empêcher cet individu de prendre la fuite, de commettre une autre infraction, ou d’interférer avec le cours de la justice dans le cadre de procédures en instance ou encore que la sécurité de l’accusé soit menacée.

Or la détention préventive, elle-même, peine à faire l’unanimité dans la mesure où elle consiste à mettre en « prison », un simple accusé qui, en principe devrait bénéficier de la présomption d’innocence. Mais si la pratique résiste partout, le taux de personnes en détention préventive tourne en revanche autour de 30% de la population carcérale. Les statistiques dévoilées par la Cndh permettent de conclure que le juge togolais prononce deux fois plus que ses pairs de par le monde, la détention préventive ; occasionnant des situations aux conséquences jusqu’ici non résolues : le surpeuplement carcéral, la sous ou la mauvaise alimentation, les problèmes d’hygiène en milieu carcéral.

Plus grave, c’est que les durées de la détention préventive sont surréalistes au Togo.

Des durées de détention préventive surréalistes

Si le recours à la détention préventive est quasi-automatique au Togo en violation des pratiques et des textes internationaux qui confirment que le principe reste la liberté, la durée de la détention suscite davantage de controverses et une levée de boucliers.

De fait, elle oscille de 8 à 20 mois, de deux ans à 5 ans voire 6 ans. Six ans d’une vie à attendre un hypothétique procès à l’issue duquel on peut être, du moins en théorie, déclaré « non coupable » des faits pour lesquels on est poursuivi ! Une perspective que les juges togolais écartent de manière assez astucieuse mais non moins cruelle, et qui consiste au final lorsque le procès a lieu, à condamner le détenu au moins à l’équivalent de la durée de sa détention préventive. Ce qui pose un autre problème en termes de bonne administration de la justice. La détention provisoire compromet la garantie d’un procès équitable et remet en cause la présomption d’innocence.

Au final, bien que non condamnées, les personnes détenues sont quasiment amenées à « purger des peines » dont elles n’ont pas écopé.

Se prononçant sur la question, le Sous-Comité pour la prévention de la torture des Nations unies estime que « la durée de la détention avant jugement est telle qu’elle contribue au surpeuplement carcéral, exacerbant ainsi les problèmes existants au niveau des conditions de détention et des relations entre les détenus et le personnel ; elle alourdit aussi le fardeau des tribunaux. Du point de vue de la prévention de la maltraitance, elle suscite de sérieuses préoccupations face à un système déjà surchargé ».

Une raison parmi tant d’autres pour lesquelles la Cndh tire la sonnette d’alarme quant à la nécessité d’envisager des mesures visant à accélérer les procédures d’instruction et de jugement des personnes inculpées. Mais ça, c’est une tout autre histoire.

Source : L’Expression n°007 du 17/06/2021

Source : 27Avril.com