Prison de Lomé: Kpatcha Gnassingbé n’en peut plus

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Lutte d’hégémonie sur l’héritage, rivalité familiale ou réelle tentative d’atteinte à la sureté de la République ? La question attendra longtemps une réponse objective, la seule certitude est que le différend entre celui qui incarne la monarchie des Gnassingbé et son demi-frère Kpatcha Gnassingbé a tourné à un affrontement armé qui envoie finalement l’ancien ministre de la défense sous les verrous pour 20 ans. Il y séjourne depuis 11 ans. Entre mille et une demandes de grâce présidentielle, combat juridique et santé difficile, l’ancien député de la Kozah est finalement cloué au sol. A moins d’une évacuation pour des soins adéquats, son pronostic vital est atteint, il souffre d’un ulcère veineux. Ce mal est une conséquence de plusieurs autres maux mal soignés et les symptômes sont bien visibles aux deux pieds. Le détenu est souvent obligé de bander ses deux membres même si c’est l’image du pied le plus affecté qui circule sur les réseaux sociaux. Toujours dans sa cellule de deux mètres sur trois au premier étage de la tristement célèbre prison civile de Lomé, à le voir, on n’a pas besoin d’être un spécialiste pour tirer une conclusion. Kpatcha Gnassingbé, conformément à la volonté de son demi-frère, a amorcé la descente, à moins d’une diligence.

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Tout a commencé en 2009 par une attaque militaire sur le domicile du député au cœur de la nuit du 12 au 13 avril 2009. Pour une ambiance qui ressemblait à un clash entre deux gangs armés, il s’avère par le canal officiel que la force régalienne n’était que dans son devoir de protection de l’État en cherchant à interpeler celui que le président Faure Gnassingbé accuse de tentative d’atteinte à la sureté de l’État. La maison de Monsieur Kpatcha Gnassingbé, député, ancien ministre de la Défense et DG du SAZOF, a été attaquée par l’armée sous les ordres de Félix Kadanga, actuel chef d’Etat-major. Entre fusils d’assaut et armes lourdes, l’échange des tirs a duré plusieurs heures. La maison a été en partie saccagée mais Kpatcha Gnassingbé a réussi à se mettre en lieu sûr. Toutefois, ce ne sera que partie remise, il finira par être envoyé quelques jours après en détention à l’ANR pour deux ans.

En guise de version officielle, le procureur de la République a, dans une déclaration à la télévision nationale, évoqué une tentative d’interpellation qui a mal tourné. Il a laissé entendre que le frère du président était impliqué dans une « tentative d’atteinte à la sûreté de l’État ». Mais pour prendre la main sur celui qu’il considère comme un frère dérangeant, Faure a voulu, dès les premières heures, démontrer qu’il est fort. Il n’est d’ailleurs pas anodin que ce soit la FIR, la Force d’Intervention Rapide, qui ait pris d’assaut la résidence de Kpatcha Gnassingbé. Cette unité d’élite, créée par le Général Eyadema, est fidèle à Faure. Elle est commandée par le très puissant Colonel Abalo Felix Kadanga à l’époque, époux d’une des filles de l’ancien président togolais. Par solidarité familiale, un troisième frère a joué un rôle dans cette nuit de dimanche à lundi : Rock Gnassingbé. Lui, c’était alors le patron de la division des blindés. Kpatcha Gnassingbé affirme que c’est Rock qui lui a sauvé la vie. De cette attaque, il est gardé à l’ANR où il sera sous torture pendant deux ans avec ses codétenus.

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En 2011, suite à « un procès inéquitable », il est condamné pour 20 ans de prison ferme. C’est ainsi qu’il est en train de payer son engagement aux côtés de Faure pour conserver le pouvoir dans le giron des Gnassingbé à la mort de leur géniteur en avril 2005. Pendant qu’il purge sa corvée, un autre serviteur est vite trouvé pour jouer le rôle que Kpatcha s’est attribué en 2005, Bodjona Pascal. Pour un pouvoir politique fidèle aux sacro-saints principes de Machiavel, lui aussi, est remercié en monnaie de singe et donc envoyé en disgrâce après une détention à la prison civile de Tsévié.

La vie continue, nous sommes en 2019, Faure Gnassingbé a les yeux braqué sur sa présidence à vie, il n’a pas l’intention de tolérer la présence de tout ce qui peut ressembler à une menace. Sur ce, qu’un Kpatcha Gnassingbé meurt en prison est le cadet de ses soucis, la politique et les sentiments ne sont pas de bons alliés. Présentement détenue à la Prison Civile de Lomé (PCL), il est à craindre pour la vie du demi-frère de Faure. Kpatcha Gnassingbé souffre d’un ulcère veineux. Ce mal est bien une complication de l’hypertension mal soignée. La sédentarité, la promiscuité, la chaleur torride et l’insuffisance de soins sont des facteurs aggravants.

Bien avant ce mal, d’autres maux pour lesquelles le conseil de Kpatcha a demandé vainement une évacuation médicale avaient conduit le détenu au pavillon militaire du CHU Tokoin. Cette hospitalisation n’était d’ailleurs pas la seule. L’idéal et présentement, c’est une évacuation pour une prise en charge adéquate. Mais cela ne semble être qu’une vue de l’esprit quand on se souvient des interventions qui se sont déjà succédé pour la libération de Kpatcha Gnassingbé. La diplomatie de l’actuel président du Ghana sera la plus importante ces derniers mois.

De sources introduites, le président Nana Akufo Addo est allée même jusqu’à proposer de garder Kpatcha Gnassingbé au Ghana afin de le garder sous l’œil si son frère a des craintes pour sa libération. Sur cette base, une maison a été équipée à cette fin et la famille de Kpatcha s’y est rendu plusieurs fois pour s’assurer que tout le nécessaire y est. Mais Akufo Addo attendra de midi à 14 heures, peine perdue. D’autres sources ont aussi fait savoir que ces derniers moments, en attendant que bon Dieu lui-même descende, le Pape n’aurait pas croisé les bras, idem, le silence est resté de marbre de la part du plus fort des Gnassingbé.

Déjà en 2015, le conseil avait abondé sur la nécessité de libérer Monsieur Kpatcha pour des motifs médicaux. C’est suite à ces démarches où les avocats ont annoncé que le demi-frère du chef de l’Etat togolais était sérieusement malade et nécessitait une grâce présidentielle pour aller se faire soigner que, au petit matin du mercredi 5 août 2015, une descente des forces armées à la prison fera constater ce qui ressemblait beaucoup plus à un enlèvement. Suite à cette évacuation à huis-clos vers le centre de santé militaire de Tokoin, son conseil laissait entendre : «On a laissé sa santé se dégrader avant de décider de l’évacuer. C’est l’habitude de l’administration pénitentiaire et nous avons toujours ces cas. On ne peut pas se comporter à l’égard d’un citoyen, fut-il condamné pour crime de guerre ou pour crime contre l’humanité, comme ça. Et nous rendrons entièrement responsable le gouvernement de tout ce qui adviendrait à cet honnête citoyen », déclarait Me Raphaël Kpandé-Adzaré avant d’exiger des soins adéquats pour l’ancien député de la Kozah au regard de sa maladie. « A l’heure où nous sommes, je ne sais pas comment se porte Kpatcha Gnassingbé, parce que je ne l’ai pas vu, je ne sais pas dans quel état il était avant d’être admis au pavillon militaire du CHU. Donc je ne peux rien dire et je suis très inquiet », s’alarmait pour sa part Maître Gil-Benoit Afangbedji au même moment.

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Le collectif de ses avocats se plaignait donc de sa santé il y a au moins 4 ans, et ils soulignaient qu’il avait les pieds enflés et se déplaçait à l’aide de béquilles. Les avocats ont, à cet effet, dans une lettre, demandé au ministre de la Justice d’user de tout son pouvoir pour lui accorder une liberté provisoire afin de lui permettre d’aller se soigner. A l’époque, il faisait des crises de goutte répétitives, il souffrait de l’hypertension, l’homme avait fréquemment les pieds enflés, il avait une embolie pulmonaire et se déplaçait certaines fois avec des béquilles sur une blessure qui peine à se cicatriser au pied.

Avant cette admission au pavillon militaire, le détenu avaient déjà envoyé plusieurs demandes de grâce présidentielle. « Plus de deux fois, M. Kaptcha Gnassingbé a adressé au président de la République une demande de grâce présidentielle, tel que le reconnaît nos textes et notre Constitution. Donc il n’y a que le président qui peut user de cette prérogative. Mais jusqu’à ce jour, le chef de l’Etat ne s’est pas prononcé là-dessus. Et une nouvelle demande a été adressée à ce dernier. Nous verrons ce que cela va donner». C’était sur ce ton d’espoir évasif que l’eau a continué par couler sous le pont.

Dans ce dossier, la cour de la CEDEAO a reconnu sans ambages l’iniquité du procès et sommé l’État togolais à réparer les préjudices, mais le Palais de la Marina a consenti au dédommagement financier sans que les accusés recouvrent leur liberté. Une situation qui va très sérieusement inquiéter son conseil qui a saisi de nouveau le Groupe de contact des Nations-Unies qui avait entre-temps émis un avis demandant l’élargissement de Kpatcha ainsi que des autres détenus dans cette affaire d’atteinte à la sûreté intérieure de l’État.

Kpatcha Gnassingbé ainsi qu’une vingtaine de personnes avaient été condamné en septembre 2011 à la prison avec déchéance de droit civil. Au cours de ce procès, les accusés avaient fait cas de ce que les aveux avaient été extorqués sous la torture. On lui reproche d’avoir, dans la nuit du 12 au 13 Avril commis des actes jugés comme flagrant délit relatifs à un coup d’État. Faits punis par les articles 4, 187 et 230 du Code Pénal Togolais. Le jeudi 15 Septembre 2011, très tôt le matin, les policiers bouclent les alentours du palais de Justice de Lomé.

La lecture d’un verdict sans appel va durer environ 2 heures. Kpatcha Gnassingbé, demi-frère du Président de la République qui passera 20 ans en prison, Assani Tidjani, mort après quelques années de détention, est aussi condamné à 20 ans de réclusion criminelle avec déchéance civique comme Kpatcha. Au total, 13 prévenus ont été condamnés à des peines lourdes. Les 19 autres, aussi condamnés soient-ils, ils pourront regagner leurs domiciles respectifs. Ils recouvrent donc la liberté car leurs peines ont été déjà purgées par une détention préventive au son de la torture. « C’est une décision politique, le droit n’est pas rendu » a conclu le conseil des condamnés. Ainsi a commencé la traversée du désert pour les avocats et leur client.

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Dégouté par l’injustice qu’il a contribué activement à construire de sa main du haut de ses galons de général, le désormais feu Général Tidjani Assani était le second cerveau supposé de cette prétendue atteinte à la sûreté, ce n’était pas par simple hasard qu’il a été, comme Kpatcha, condamné à la même peine. Comme dernière volonté, feu Général Tidjani a demandé à ne pas être inhumé au Togo. Après que tous les recours aient été épuisés et que la vie ou la mort du député ne repose qu’aux mains du président à vie Faure Gnassingbé, peut-être attend-t-il aussi la dernière volonté de Kpatcha Gnassingbé avant de le libérer.

Abi-Alfa

Source : Le Rendez-Vous No.341 du 02 Août 2019

Source : Togoweb.net