Presse togolaise : Sur les rotules et à l’image du pays…

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Presse togolaise

Le mardi 3 mai 2022 dernier marquait la 29e célébration de la journée mondiale de la liberté de la presse instituée depuis décembre 1993 par l’Assemblée Générale des Nations Unies. L’événement a été observé au Togo aussi. Mais quel est l’état de cette vertu – liberté de presse – au Togo ? Quid de la santé financière et du bien-être de la presse togolaise ?…Etat des lieux.

Evaluer l’état de la liberté de la presse dans le monde, la défendre et/ou promouvoir…Les objectifs de la célébration de la journée du 3 mai sont on ne peut plus légitimes. Comme de coutume, Reporters sans frontières (RSF) publie son classement de l’état de la liberté de la presse dans le monde, sur la base de cinq (05) indicateurs : contexte politique, cadre légal, contexte économique, contexte socioculturel et sécurité. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la situation n’est pas dorée au Togo à voir l’évolution de notre classement, un euphémisme d’ailleurs.

Liberté de presse, dites-vous ?

74e sur 180 pays évalués et avec 70,41 points en 2021, le Togo, pour l’édition 2022, est classé 100e avec 57,17 points. Vingt-six (26) places de perdues donc. Une véritable dégringolade. «(…) La situation de la liberté de la presse reste dépendante du contexte politique », a dépeint l’organisation mondiale de défense des droits des journalistes, particulièrement préoccupée par leur sécurité, ceux d’investigation dénonçant la corruption notamment.  « Ils peuvent faire l’objet de représailles directes et importantes, comme est venue le rappeler la détention, pendant plusieurs semaines, de deux directeurs de publication en 2021. Les journalistes reçoivent régulièrement des pressions ou des avantages pour adopter une position qui s’aligne sur l’agenda du régime », relève RSF .

L’organisation ne faisait que donner une caricature assez réaliste de la situation de la liberté de presse au Togo. Le pays ne pouvait que régresser, mieux, dégringoler dans ce classement lorsqu’on bidouille le code de la presse pour le corser, crée une brèche pour introduire des peines privatives de liberté pour des délits de presse. Alors que depuis plusieurs années, le Togo se vantait d’avoir le meilleur code de la presse de la sous-région et même de tout le continent africain, parce que dépénalisé, ou plutôt « désemprisonnisé » (exempté de peine de prison). Non content de voir les journalistes pas jetés en prison, le pouvoir a mis le bistouri dans la loi pour la corser. Parallèlement, les réseaux sociaux, pourtant un outil de l’heure, ont été exclus du champ d’application du nouveau code de la presse, une marche véritable à reculons.

L’application de tout cet attirail juridique a été l’arrestation et la détention des directeurs de L’Alternative Ferdinand Ayité et de Fraternité Joël Egah – ce dernier est même décédé récemment – pour avoir offensé (sic) des ministres au cours d’un débat. Une assez belle (sic) illustration de la liberté de presse au Togo. Comme eux, ce sont tous les organes et journalistes critiques qui sont pourfendus et l’objet d’acharnement. L’objectif est de les pousser à l’autocensure, au mutisme carrément, les bâillonner et laisser place à une presse de propagande et d’accompagnement. Pour un oui un non, on suspend les journaux. Le bihebdomadaire L’Alternative, le quotidien Liberté, les hebdomadaires Fraternité et Guardian auront été les plus grandes victimes de ce dessein. Le récépissé de L’Indépendant Express a été carrément retiré.

A côté de toutes les menaces, intimidations de toutes sortes par le biais de la Haute autorité de l’audiovisuel et de la communication (HAAC) et autres acharnements, le régime a cru devoir espionner les journalistes critiques avec le logiciel PEGASUS généralement utilisé pour traquer les terroristes et autres individus dangereux. Ferdinand Ayité, Carlos Ketohou et Luc Abaki sont-ils devenus aussi dangereux pour mériter d’être suivis par ces moyens? Voilà la liberté de presse au Togo.

Mépris pour la presse

Dans les pays civilisés et de vieille tradition démocratique comme aux Etats-Unis où la liberté de la presse relève d’une sacralité, on donne tout son sens à cette journée. En Afrique, dans les pays où la démocratie a trouvé un petit espace pour s’installer, on prend la mesure de cette vertu et des gouvernants n’hésitent pas à la vanter. C’est le cas du Président sénégalais Macky Sall qui a twitté mardi dernier : « Je rends hommage aux journalistes qui contribuent, par leur travail, parfois dans des conditions difficiles, à promouvoir la liberté d’expression. Parce que la liberté de la presse est garante d’une société démocratique et juste, elle est à la base de mon action de tous les jours ». Ça, c’est une vraie reconnaissance du travail des journalistes, et cela fait chaud au cœur.

Au Togo, R.A.S, rien à signaler. Faure Gnassingbé qui a le don et le réflexe de twitter même devant des non-événements dans d’autres pays, n’a pas eu le moindre regard pour la presse de son pays, ne serait-ce que celle qui le caresse quotidiennement dans le sens du poil. « Il n’a pas ce temps », dirait l’autre. Expression de haine à l’égard de la presse togolaise ? D’aucuns ne l’appréhendent plus sous le prisme d’une question, d’autres préfèrent parler de mépris. L’illustration non-négligeable, depuis dix-sept (17) ans qu’il est au trône, il n’a pas daigné accorder d’interview à un seul organe de presse au Togo, même à ces médias et journalistes qui s’époumonent à longueur de journée sur les radios et au risque de rompre leurs cordes vocales, à défendre sa gouvernance indéfendable, la peindre en blanc, nier et fermer les yeux sur l’arbitraire…

A cette occasion, seul le ministre de la Communication et des Médias, Porte-parole du Gouvernement qui a servi quelque chose (sic). « La journée de la liberté de la presse observée ce 03 mai est l’occasion pour nous d’évoquer l’impact de l’ère numérique sur la liberté d’expression, la sécurité des journalistes, l’accès à l’information et à la vie privée. Elle nous permet de réaliser, au-delà des difficultés induites par le Covid-19, que la liberté de la presse n’est pas un donné, mais un construit. Ensemble avec les organisations professionnelles de la presse, nous avons développé des capacités d’écoute et de dialogue qui nous ont permis d’avancer. Je voudrais à cette occasion saluer l’achèvement des négociations de la convention collective sectorielle dont la signature et la mise en œuvre permettront aux journalistes de vivre convenablement de leur métier. Sans occulter nos échecs, nous noterons nos réussites », a tweeté Prof Akodah Ayewouadan.

Que de jolis mots ! De l’accès à l’information, parlons-en justement. Une loi statuant là-dessus existe même au Togo. Mais voilà, le jeudi 28 avril, soit au lendemain de la célébration du 62e anniversaire de l’accession du Togo à la souveraineté nationale et internationale, le gouvernement organisait une conférence de presse sur le discours de circonstance du chef de l’Etat suivi dans la foulée d’annonce de quelques mesures dites d’atténuation de l’impact de la cherté de la vie et de relèvement du pouvoir d’achat. Mais l’accès au lieu et à l’information justement n’était pas ouvert à toute la presse. Seule une quinzaine de médias proches du pouvoir, y compris les officiels, y a été autorisée, et donc avait accès aux informations que devraient partager les officiels du gouvernement dont Prof Akodah Ayewouadan, Christian Trimua des Droits de l’Homme, le Secrétaire Général du Gouvernement Malick Natchaba. Il n’y a visiblement pas meilleure expression de la considération que donnent les gouvernants togolais à la presse dite 4e pouvoir et conçue comme le baromètre de toute démocratie vivante.

A l’agonie

Dans des pays normaux, la presse est soutenue par l’Etat, parce que jouant un rôle de construction de la démocratie reconnu. Autre moyen, c’est la disponibilité de la publicité qui fait essentiellement vivre la presse. Mais au Togo, c’est la croix et la bannière pour les médias.

Il existe un fonds dit d’aide de l’Etat à la presse. Mais il est insignifiant. Avec  75 millions FCFA pour toute la presse à l’effectif pléthorique, les organes les plus chanceux s’en sortent avec deux millions FCFA qui suffit à peine pour payer les salaires des employés durant un mois. Au même moment, la publicité qui devrait leur permettre de s’en sortir est rare comme les larmes du crocodile. Pour y avoir accès auprès des structures étatiques qui en donnent, il faut avoir une ligne éditoriale qui caresse le pouvoir et le    « Jeune Doyen » dans le sens du poil. Même si on ne tire que cinquante (50) exemplaire, on est la bienvenue. Les médias critiques sont soigneusement écartés et les rares sociétés privées qui font des publicités et leur en offrent sont parfois l’objet de représailles, de menaces et d’intimidations, les publicités dans ces colonnes conçues comme une caution à la critique du régime en place. Et parfois prises de peur, certaines font volte-face.

En l’absence de vente, sur le plan de la santé financière, la plupart des journaux qui paraissaient plus ou moins éssoufflés régulièrement ont cessé de le faire. L’Alternative, Liberté, Le Correcteur…ceux qui subsistent encore se comptent sur le bout des doigts. Et Dieu sait les efforts surhumains et autres gymnastiques que font leurs premiers responsables pour trouver les moyens et ainsi assurer cette régularité de parution, payer l’imprimerie, les intrants, les salaires. Nombre de journaux s’efforcent juste d’assurer le quota de parutions nécessaire pour aspirer à l’aide de l’Etat à la presse. Ce n’est pas non plus facile pour les organes audiovisuels. Certains, nous revient-il, cumulent une demi-douzaine de mois d’arriérés de salaire à leurs employés. A ce lot, vient s’ajouter la presse en ligne régie aujourd’hui par la loi. Le thème retenu pour la journée de la liberté de la presse de cette année, c’est « Le journalisme sous l’emprise du numérique » et il se prête bien au Togo pour s’occuper de la presse en ligne. Mais ce nouveau secteur objet de régulation est déjà chancelant.

En effet, l’une des conditions de délivrance de récépissé et donc de reconnaissance d’existence officielle par l’Etat, c’est la disponibilité d’un siège, la transformation du site d’information en société…Autant de formalités déjà onéreuses. Mais une fois terminées et le récépissé délivré, le plus gros souci c’est comment rentabiliser le site pour assurer toutes les charges qui vont avec. Mensuellement, il faut payer le loyer du siège, le wifi pour la mise en ligne des articles…Ce qui fait une quarantaine de mille au moins. A cette dépense, il faudrait ajouter les salaires/rémunérations de collaborateurs, si on en a. Sans compter les taxes et impôts à payer à l’Office togolais des recettes (OTR) à la fin d’année ou encore les frais d’hébergement du site. Mais en termes de rentrées financières, il n’y en a presque pas, si l’on n’a pas la chance d’être invité à des couvertures médiatiques pour glaner des pécunes de déplacement. Pas de publicité, comme dans le cas général de la presse. Voilà la situation et à cette allure, la plupart des sociétés de presse en ligne créées risquent de mettre la clef sous le paillasson.

La santé de la presse togolaise, dans son ensemble, n’est pas enviable. Elle est chancelante, pour les organes qui arrivent à tenir encore et ne font qu’assurer la maintenance. La presse togolaise est sur les rotules et se meurt, dans l’indifférence totale et des gouvernants et des acteurs eux-mêmes. D’aucuns diront qu’elle est simplement à l’image du pays sur le plan politique, en crise perpétuelle, minée par tous les maux du monde…Elle est visiblement l’illustration vivante de la « démocrature » et le miroir parfait de la gouvernance bancale…

Source: L’Alternative

Source : icilome.com