A officiellement dix-neuf mois du scrutin présidentiel de 2020, le silence est encore pesant, et l’échiquier politique toujours illisible. Même si les élections législatives prévues pour tenir le 20 décembre prochain ont valeur de grand test, pouvoir comme opposition ne perdent pas de vue la course imminente vers la Marina. Quelles seront les forces en jeu ? Faure Gnassingbé briguera-t-il un quatrième mandat ? L’opposition réussira-t-elle cette fois-ci le pari de l’alternance ? Analyse.
C’est une nouvelle ère qui s’ouvre pour l’histoire politique du Togo. En 2020, sauf cataclysme, les Togolais devront élire leur Président de la République au bout d’un scrutin à deux tours, comme recommandé par la conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO tenue le 31 juillet dernier à Lomé. La recomposition prochaine de la Cour Constitutionnelle, et la limitation du nombre de mandat de ses membres, est un autre paramètre important pour la présidentielle de 2020. Des recommandations qui semblent avoir rebattu les cartes et qui pourraient bien peser dans la balance. Certes, les jeux sont encore loin d’être faits. Mais dans les officines politiques, la température monte, la peur de l’inconnu étant palpable.
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Un ovni dans les starting-blocks
Il est, à ce jour, le seul candidat à se porter officiellement candidat à la présidentielle de 2020. Dr. Aubin Thon, ancien président de Togolese Foundation, vivant aux Etats-Unis, s’intéresse depuis quelques années au développement du Togo avec son association. Santé, éducation, culture, etc., il a pu se faire un petit nom par ses œuvres de développement, même s’il reste encore inconnu pour beaucoup. L’homme a désormais décidé de franchir le cap.
Dr. Aubin Thon a exprimé ses ambitions pour la première fois sur la page Facebook de Togolese Foundation en 2017. « Je déclare mon intention d’être candidat (à la présidentielle de 2020, NDLR). On dit toujours que le développement est un tout. Depuis un certain moment, la Fondation a fait ses exercices dans le domaine social, mais arrivé à un moment, nous nous sommes rendu compte qu’il y a nécessité que la jeunesse togolaise puisse adopter une nouvelle stratégie pour que le travail commencé depuis plusieurs années puisse avoir un accent de développement pour le Togo. La World Togolese Foundation a fait ses expériences et aujourd’hui, nous estimons qu’avec une ouverture politique, c’est de voir en tant que personne, ce que je peux apporter au développement. », écrivait-il.
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Dans la foulée de cette annonce, l’ancien président de Togolese Foundation lance le mouvement politique Nouvelle Vision (NOVI). Ce qu’il pense de la situation politique du pays ? « Il faut une solution économique pour résoudre le problème politique. Le peuple togolais a assez appris de ces moments difficiles traversés depuis août 2017 pour savoir ce qui devrait être sa priorité. Aujourd’hui, à chaque fois qu’un pas sur la scène politique semble être posé pour nous rapprocher plus de la résolution de la crise, le maintien de positions radicales nous en éloigne encore plus », affirme Dr. Aubin Thon.
Ovni dans le paysage politique, la candidature de l’ancien président de Togolese Foundation fait sourire dans certains milieux, si elle n’a déjà fait l’objet de moqueries dans d’autres. Artisan d’une communication essentiellement digitale depuis la diaspora, Dr. Aubin Thon s’annonce en parfait inconnu du landerneau politique, mais convaincu de représenter une diaspora qui veut apporter sa pierre à l’édifice. Absent du terrain, encore très mal connu des populations, président d’un mouvement qui a un grand travail de représentativité sur le territoire national à faire, il passe pour un rookie dont personne ne vend chère la peau dans le marigot politique togolais. La preuve, son annonce pour la présidentielle de 2020 n’a duré que le temps de sa publication et ne suscite aucun débat particulier, si ce n’est quelques commentaires sur sa page Facebook sur laquelle il continue d’exprimer ses idées et son avis sur l’actualité politique au pays. Sa candidature résistera-t-elle à l’épreuve du temps ? Rendez-vous dans quelques mois.
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Faure Gnassingbé ou la stratégie du moindre mot
Sera-t-il candidat ou non à sa propre succession pour un quatrième mandat ? Il est encore difficile, à ce stade, de lire dans le marc de café. Cependant, dans une interview accordée à l’hebdomadaire panafricain « Jeune Afrique » en avril 2015, à la veille du scrutin présidentiel, Faure Gnassingbé a l’ché une phrase que garde précieusement en tête son entourage : « Je n’ai pas l’intention de m’éterniser au pouvoir ».
En treize années de règne, le chef de l’Etat ne cède pas un pouce de terrain, et garde fermement la main sur son avenir politique. Rien à dire. Mais, entre-temps, le 19 août 2017, un homme a commencé à troubler son sommeil : Tikpi Atchadam, président du Parti national panafricain (PNP), celui que personne n’a vu venir, originaire de la Région Centrale, une zone stratégique pour le parti au pouvoir. Les manifestations perlées du PNP auxquelles se sont alliées d’autres formations de l’opposition regroupées dans la Coalition des 14 dont l’Alliance nationale pour le changement (ANC), principal parti de l’opposition togolaise, ont réveillé Lomé II de son profond sommeil. Depuis sa prise de pouvoir en 2005, il n’a jamais été aussi confronté à un challenger qui réussit à organiser des mouvements populaires simultanés dans toutes les régions du pays. Le défi est de taille pour le locataire du Palais de la Marina ; lui, qui, dans une autre interview accordée à l’hebdomadaire panafricain « Jeune Afrique », en pleine crise politique, disait encore : « l’opposition n’a aucune leçon de démocratie à me donner ».
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Depuis, Faure Gnassingbé semble réfléchir plus sérieusement aux perspectives électorales, convaincu que « le scénario insurrectionnel burkinabè ne se produira pas au Togo », dans ses confidences à François Soudan, Directeur de la Rédaction de « Jeune Afrique ». UNIR (Union pour la République), le parti au pouvoir, se met en ordre de bataille. Tikpi Atchadam a sans doute redistribué les cartes dans l’arène politique. Premier signal, cinq ans après son lancement, UNIR tient son premier congrès ordinaire à Tsévié, ville située à 35 km de la capitale, Lomé. A la recherche d’un nouveau souffle, mieux, pour organiser la riposte et déployer sa stratégie. Alors qu’on pensait qu’il cèdera la présidence du parti, Faure Gnassingbé a préféré rester le seul capitaine du navire, gardant dans un coin de la tête que le choix d’une autre personne à la présidence du parti UNIR serait considéré comme le choix d’un dauphin qui lancerait les hostilités de part et d’autre en ce qui concerne 2020. Aussitôt après ce congrès constitutif, les choses sont allées tellement vite. Tous les organes du parti ont été lancés. La crise politique, elle, sera permanente jusqu’au sommet des chefs d’Etat de la CEDEAO à Lomé le 31 juillet ; sommet qui vient tout relancer sur la scène politique.
2020, c’est bientôt. En Côte d’Ivoire, comme dans d’autres pays de la sous-région, c’est l’effervescence, le jeu des alliances se dessine, et les tensions montent. Au Togo, l’on semble ne pas avoir idée du temps qui passe.
Le président Alassane Ouattara a déclaré vouloir transmettre le pouvoir en 2020, au terme de deux mandats. En République Démocratique du Congo, Joseph Kabila a choisi son dauphin pour l’élection présidentielle de décembre 2018. Autour de lui, le vent tourne. Faure Gnassingbé en a conscience, mais ne laisse presque rien filtré sur sa candidature ou non à la prochaine élection présidentielle. Du tout ! Son agenda, il le conserve soigneusement. Choisira-t-il son dauphin dans un scénario à la Kabila pour 2020 ? Rempilera-t-il lui-même pour un quatrième mandat ? Tout le monde le sait : Faure Gnassingbé prendra seul sa décision au moment qu’il juge opportun.
C’est donc un Faure Gnassingbé préoccupé par de multiples dossiers qui préside le Togo. D’autant qu’il doit assumer cette t’che dans une solitude inédite. Bien sûr, le président consulte des hommes de confiance de son entourage. Des gens parmi lesquels, un pourrait servir d’alternative en 2020, au cas où il aurait décidé de ne pas se représenter.
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Fabre de nouveau candidat en 2020 ?
Dopé depuis quelques années par son statut de chef de file de l’opposition, Jean-Pierre Fabre est habitué depuis 2010 à la course pour la magistrature suprême. Perdant par deux fois, en 2010 avec l’Union des forces de changement (UFC) et en 2015 avec son parti, l’Alliance nationale pour le changement (ANC), Jean-Pierre Fabre sera probablement, sauf cas de force majeure, candidat en 2020.
Porté en 2010 par le Front républicain pour l’alternance et le changement (FRAC) et en 2015 par Combat pour l’alternance politique en 2015 (CAP 2015), Jean-Pierre Fabre, selon certains de ses proches, garderait un œil sur 2020. Critiqué par ses pairs de l’opposition pour ses erreurs, ses mauvais choix stratégiques, son manque de tact, Ende diplomatie face à beaucoup de situations, le président national de l’ANC garde quand même une côte de popularité.
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Sauf que, avec l’apparition sur la scène de Tikpi Atchadam qui a titillé les sommets et bousculé la hiérarchie au niveau de l’opposition, Jean-Pierre Fabre devra confirmer, à l’issue du prochain scrutin législatif, son statut de chef de file de l’opposition, si le PNP décide de se lancer dans la course pour l’hémicycle. Jean-Pierre Fabre sera-t-il candidat à la présidentielle de 2020 ? Le contraire serait une surprise. Seule inconnue, l’assurance du soutien effectif d’autres formations politiques de l’opposition, comme en 2010 et 2015.
Motivé par les recommandations de la CEDEAO sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles, notamment le mode de scrutin à deux tours, la recomposition de la Cour Constitutionnelle et la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels, l’opposant traditionnel voudra jouer son va-tout en 2020, à 68 ans. Mais avec quelles chances de transformer l’essai cette fois-ci ?
L’énigme Tikpi Atchadam
Officiellement, son parti ne dit rien sur les perspectives électorales. Depuis son exil, ses rares interventions sur les réseaux sociaux n’indiquent rien à cet effet. Mais l’objectif d’un parti politique étant la conquête et l’exercice du pouvoir, le PNP pourrait, à tout moment, annoncer ses intentions en ce qui concerne les élections au Togo. Une piste à ne pas exclure.
Pour l’heure, cette formation politique se concentre sur la mise en œuvre des recommandations de la CEDEAO, se donnant une note satisfaisante de 15 sur 20 par rapport à son contenu. Sur les législatives prévues pour le 20 décembre, le PNP ne pipe mot, mais sait qu’il aura son mot à dire s’il décide de se frotter aux prochaines joutes. Et ça, ses collègues de l’opposition le savent, même s’ils ne le disent pas tout haut.
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Adoubé par une frange non moins importante de la population, Tikpi Atchadam est considéré, de l’avis de certains analystes politiques, comme « le chef de file naturel de l’opposition ». 2020 ? Il n’en parle pas. Du moins, pas pour le moment. Mais ceux qui connaissent l’homme affirment « qu’il est quelqu’un qui se prononce au bon moment ». Au cas où le président national du PNP se déciderait pour 2020, la bataille sera donc rude entre Jean-Pierre Fabre et lui, si le jeu des alliances faisait pschitt du côté de l’opposition.
Difficile, pour le moment, de regarder dans la boule de cristal en ce qui concerne la présidentielle de 2020. Les jours qui passent nous rapprochent davantage de cette échéance qui, à l’analyse de la situation actuelle, est une équation à plusieurs inconnus.
Elom ATTISSOGBE
Source:lanouvelletribune.net
Source : www.togoweb.net