Présence présumée de «jihadistes» au Togo : Curieux silence des autorités togolaises

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Présence présumée de «jihadistes» au Togo : Curieux silence des autorités togolaises

Des jihadistes sur le sol togolais ? C’est le scoop donné par jeuneafrique .com, dans son édition du mardi 16 avril, sur la base d’une alerte des services de renseignements burkinabé. Depuis, l’information fait le buzz sur les réseaux sociaux, suscite des commentaires passionnés. C’est le genre de nouvelle qui ne laisse pas indifférent, en ces moments où sévit le terrorisme et face aux dégâts causés par les attaques. Mais aussi curieux que cela puisse paraitre, les autorités togolaises sont muettes sur l’alerte.

Des jihadistes au Togo ?

Pour l’instant personne n’a vu leur trace et leur présence n’a été signalée nulle part. Ce n’est non plus une supputation en l’air ou l’effet de l’imagination fertile de journalistes ou autres personnes en mal de sensations fortes. Mais une alerte sérieuse lancée par les autorités du Burkina en direction des pays voisins, parmi lesquels le Togo.

En effet, le journal panafricain, relayant une alerte des services de sécurité burkinabés qui ont procédé à des écoutes téléphoniques, informe de la présence présumée de jihadistes sur les sols béninois, ghanéen et togolais, sous la titraille « Des jihadistes présents au Bénin, au Togo et au Ghana, selon les services burkinabè ». A en croire le confrère, la preuve formelle de leur présence dans ces pays n’a pas été faite ; mais il s’agit juste d’une probabilité. Selon les informations, le Burkina aurait lancé, depuis début mars, une vaste offensive dans l’Est du pays contre les terroristes pour les y déloger. Et c’est face à cette opération, probablement au vu de la non capture de ces semeurs de mort que les autorités burkinabé ont conclu à leur fuite dans les pays voisins dont le Togo.

Le signal de leur proximité d’avec notre pays, c’est sans doute l’attaque armée dont a été victime le père salésien espagnol Antonio César Fernandez, de même que quatre douaniers, le vendredi 17 février dernier à Nohao dans la province du Koulpéogo, dans l’Est du Burkina.Tout porte à croire que c’était un avertissement de leur rapprochement du Togo. Mais le pouvoir de Lomé, pourtant prompt à la compassion lorsqu’il s’agit d’autres pays, a pas manifesté à l’égard de la famille catholique togolaise et les obsèques du père ont été proprement boycottées par les autorités.

Les dégâts du terrorisme au Burkina sont énormes. Le bilan d’avril 2015 au 15 septembre 2018 s’établissait, à en croire le Premier ministre Paul Kaba Thiéba, à 118 victimes dont 70 civils et 48 éléments des forces de sécurité. « Toutes ces attaques visent à saper le moral des forces de défense et de sécurité, à saper l’unité nationale et la cohésion des Burkinabè et à affaiblir les institutions démocratiques à des fins inavouées », avait-il déclaré devant l’Assemblée nationale, déplorant « une tentative de déstabilisation » de son pays.

Black-out total de Lomé

Une telle information n’est pas à prendre à la légère. C’est du sérieux, d’autant plus qu’elle émane des services de renseignements du Burkina qui vit les affres du terrorisme et dont les agents sont forcément outillés en matière de recherche d’informations y relatives. Etant dans une dynamique de lutte interétatique, régionale ou du moins commune contre le terrorisme ou le jihadisme, les services de renseignements burkinabé ne devraient pas garder ces informations pour eux-mêmes. Ils devraient avoir mis la puce à l’oreille de leurs confrères béninois, ghanéens et togolais. En clair, les autorités sécuritaires du Togo ont été informées de cette présence présumée de jihadistes, sans doute avant même jeuneafrique.

Cette alerte devrait être relayée dans les pays concernés, ne serait-ce que pour informer leurs populations. C’est le moment idoine de les appeler à la vigilance, à la collaboration avec les services de sécurité, au signalement de tout individu suspect. Car même si la preuve formelle de leur présence n’est pas encore faite, ces jihadistes sont certainement présents sur le territoire après avoir été chassés de l’Est du Burkina. Mais aussi curieux que cela puisse paraitre, le régime de Lomé n’a pas jugé bon d’en informer les Togolais.

Depuis que le journal panafricain a donné le scoop ce mardi, le gouvernement togolais n’a pas cru devoir réagir, ne serait-ce que pour situer et rassurer l’opinion. Une attitude surprenante lorsqu’on connaît les rapports ou plutôt l’intérêt que porte le régime Faure Gnassingbé à la lutte contre le terrorisme, du moins du bout des lèvres. C’est le filon trouvé par Lomé pour entrer dans les bonnes grâces des puissances occidentales, les sachant très allergiques à ce fléau et engagées dans le combat contre le phénomène.

Un silence suspect

Faure Gnassingbé s’est résolument illustré ces derniers temps comme le point focal de la lutte contre le terrorisme en Afrique de l’ouest pour séduire les « seigneurs » du monde. C’est dans cette logique qu’il a procédé à l’organisation du fameux sommet sur la sécurité maritime en octobre 2016, du sommet CEDEAO-CEEAC sur le terrorisme en juillet 2018 et de plein d’autres initiatives. Le pouvoir devrait sauter sur cette alerte de présence de jihadistes sur le sol togolais et réagir. Mais c’est le silence total. Prend-il le temps de réfléchir pour savoir comment exploiter l’information ?

La question reste posée. Il n’en faut pas plus pour que certains soupçonnent des desseins cachés. « Le laboratoire est sans doute en train de réfléchir, mélanger les réactifs pour avoir une bonne recette…Cette affaire, c’est du pain béni pour coincer enfin les jihadistes tout désignés du Togo, et il faut que les choses soient bien montées », fait observer une source. Ce que balaie du revers de la main un proche du pouvoir. « Il y a d’autres enjeux que le commun des gens ne maitrise pas forcément. Il ne suffit pas de relayer cette alerte. C’est bon d’informer, mais il y a aussi risque de semer la psychose au sein des populations en sortant les infos comme ça sans retenue », rétorque-t-il.

Le timing aussi fait réfléchir. Cette information tombe au moment même où trois des responsables du Parti national panafricain (PNP), formation fiché comme point focal du jihadisme au Togo, sont déférés à la prison civile de Lomé. En effet, depuis que Tikpi Atchadam et ses militants ont fait leur entrée fracassante sur la scène politique, avec la manifestation du 19 août 2017 qui déclencha un vaste mouvement de contestation contre le régime et qui va le dénuder complètement à la face du monde, ils sont devenus, aux yeux de Faure Gnassingbé et sa minorité pilleuse, des terroristes et des jihadistes certifiés. Les discours des griots du pouvoir sont orientés dans ce sens et toutes les actions entreprises par le PNP conçues comme s’inscrivant dans cette dynamique. La mort dans des circonstances floues de deux militaires à Sokodé en octobre 2017 a offert le prétexte idéal au pouvoir. Des montages ont été effectués et tout un dossier concocté par Lomé pour persuader les dirigeants ouest africains, et partant, du monde entier, de la connotation terroriste du PNP…Jeuneafrique s’étant donné la triste réputation au sein de l’opinion de servir de relais aux dictateurs, ils sont nombreux, les citoyens à soupçonner des desseins cachés derrière ce scoop, loin d’un simple désir d’informer l’opinion…Des questions restent tout de même posées.

Tino Kossi

Source : Liberté No.2904 du 18 avril 2019

27Avril.com