Depuis le 19 août 2017, le pouvoir de Faure Gnassingbé est ébranlé avec une telle force qu’il faut retourner dans les années 90 pour voir un tel déferlement de colère de la part de la population togolaise.
Tribune. De par leur détermination à l’époque, les Togolais avaient arraché du pouvoir le multipartisme et le retour à la démocratie, consacrés par le référendum du 27 septembre 1992. Mais, le peuple n’a jamais réellement joui du fruit de son combat. Par deux fois, en 2003 pour permettre au « Père » de se représenter indéfiniment (oubliant que la mort existe), et en 2005, pour permettre au « Fils » de redevenir député, président de l’Assemblée nationale, puis président de la République dans cette nuit macabre du 5 février qui a vu naître la dynastie « constitutionnelle » des Gnassingbé. Depuis lors, Faure Gnassingbé continue de suivre les pas tracés par feu son père. Il est en train de faire un troisième mandat, avec une Constitution sans limitation de mandats, une élection à un tour, une Commission électorale et une Cour constitutionnelle aux ordres.
Des révoltes des années 90, il ne restait plus rien qu’une démocratie de pacotille taillée sur mesure pour permettre à Faure Gnassingbé de s’éterniser au pouvoir, et une communauté internationale complice du pillage des ressources du pays et des tueries. C’est contre cette situation que le peuple s’est levé une fois encore, pour réclamer purement et simplement le retour à la Constitution de 1992. Depuis août de cette année, ce sont des centaines de milliers de Togolais qui manifestent partout dans le monde. Les bruits de ces manifestations sont entendus partout, sauf auprès d’une seule personne. Faure Gnassingbé est resté sourd, muet et aveugle aux lamentations de son peuple. Et pourtant, il est le premier concerné, car les Togolais veulent l’entendre leur dire si oui ou non, il va se représenter pour un quatrième mandat en 2020. Et pour combien de temps encore. Un silence incompréhensible que j’expliquerais par deux raisons.
1. Faure Gnassingbé ne veut rien céder à la rue
Le silence de Faure Gnassingbé peut se comprendre comme une stratégie politique qui consisterait à faire croire qu’il ne se passe rien dans le pays. N’a-t-il pas par exemple assisté à l’investiture du nouveau président de l’Angola ou assisté à la conférence des premières dames de la Cedeao, au moment où son propre pays lutte pour l’alternance et que le pays n’a pas de première dame ? C’est aussi un moyen de montrer qu’il est maître à bord et qu’il ne cédera rien. Il a probablement appris la leçon selon laquelle l’on ne fait pas des concessions à un peuple en colère. Je crois qu’il oublie toutefois que ce n’est pas une concession qui a été faite au peuple burkinabé ou tunisien, mais que le peuple dans sa colère est devenu sourd aux concessions tardives. Les manifestations continuent dans le pays et il n’est pas sûr que Faure Gnassingbé puisse rester éternellement silencieux. Peut-être craint-il que tout ce qu’il dise se retourne contre lui. Ou que la seule résonance de sa voix dans les oreilles des Togolais mette le feu aux poudres. Alors il se tait.
2. Le peuple ne compte pas à ses yeux
Au-delà de la stratégie politique, je crois que la vraie raison du silence de Faure Gnassingbé est son indifférence aux vraies aspirations du peuple. Ce dernier n’a jamais vraiment compté dans les élections au Togo, ni au temps de son père, encore moins maintenant, si ce n’est pour l’utiliser comme victime consentante des hold-up électoraux incessants. D’élections en élections, le Nord du pays (région natale de la famille Gnassingbé) a toujours été utilisé pour pérenniser le règne des Gnassingbé sur des bases ethniques ou claniques. Aujourd’hui, ce « fief » du Nord qu’on croyait acquis ad vitam est « réduit à un rocher » avec la venue sur la scène politique de Tikpi Atchadam, lui aussi originaire de cette région du pays.
En définitive, si Faure Gnassingbé veut montrer que ces deux explications sont erronées, il doit s’exprimer. Et vite.
par Visseho Adjiwanou
Visseho Adjiwanou est professeur en science actuarielle à la University of Cape Town en Afrique du Sud.
Tribune publiée sur jeuneafrique.com
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