Par Ferdi-Nando, L’ALTERNATIVE – N°828 du 20 septembre 2019
Les Togolais seront appelés au premier trimestre de l’année 2020 aux urnes pour désigner l’homme ou la femme qui va gérer les affaires au sommet de l’Etat pour les cinq prochaines années. Si la date exacte du scrutin relève pour l’instant du mystère, comme on sait l’entretenir au Togo, et les conditions d’organisation du brouillard total, plusieurs prétendants se bousculent déjà au portillon. Le mardi 10 septembre, dans un grand hôtel de la capitale, avec une allure présidentielle dans un décor à la hauteur de l’annonce, Pierre Ekué Gamessou Kpodar, connu comme coordinateur de CODITO, s’est déclaré candidat à la prochaine élection présidentielle devant un parterre de journalistes.
Après un bref rappel de ses origines et de son brillant parcours professionnel, Pierre Ekué Gamessou Kpodar est passé à l’essentiel dans son discours. Un diagnostic sans complaisance de la situation politique et économique du pays: « Mesdames, messieurs, chers compatriotes, notre pays va mal. Trop mal. Ayons le courage de le reconnaître pour accepter et susciter le changement de système et de mentalité indispensable pour un renouveau politique, économique et social. Le Togo a été longtemps victime de nombreux fléaux : violence, mauvaise gouvernance, crises politiques récurrentes, prédation, vols et détournement, corruption, impunité, instrumentalisation de la justice, gabegie, concussion et que sais-je encore. Le pays souffre d’un déficit démocratique qui est le résultat d’un verrouillage politique. Ainsi, le Togo est le seul pays de la sous-région ouest-africaine qui n’a pas connu jusqu’à présent de véritable alternance au sommet de l’Etat.
A ce verrouillage politique s’ajoute un verrouillage économique qui favorise une certaine minorité et tue l’esprit d’entreprise de la majorité. Ces blocages conjugués de plus en plus avec une profanation de nos traditions et autres patrimoines culturels, ne laissent aucun espace aux citoyens togolais pour s’exprimer, s’épanouir et entreprendre en toute liberté. Le génie créateur du peuple est ainsi étouffé ». Un sombre tableau peint par le candidat qui a également relevé les conséquences : « En premier lieu, la peur, l’insécurité et le désespoir habitent nos populations. Sur ce sujet, je dirai qu’il n’est pas acceptable que dans un pays qui se targue d’être démocratique, un Togolais vivant à l’étranger soit empêché de retrouver son pays natal. Il n’est pas normal qu’un responsable politique de premier plan soit contraint à la clandestinité parce qu’il craint pour sa sécurité.
Il n’est pas normal dans un Etat démocratique qu’une personne soit détenue indéfiniment sans jugement. Ensuite, nous le constatons, la misère s’est emparée de notre pays et a élu domicile dans toutes les familles. Elle frappe de plein fouet femmes, enfants, vieillards et jeunes, sans distinction d’âge, de sexe, d’ethnie. La majorité souffre de la cherté de la vie et de la baisse du pouvoir d’achat, le chômage et le sous- emploi généralisés qui frappent surtout la jeunesse. Nos structures de santé sont déficientes, amenant certains à dire que nos hôpitaux sont de vrais mouroirs. Le système éducatif devient de plus en plus inadapté et ne permet plus de répondre aux exigences de ce 21è siècle. Tout ceci amène la majorité de nos citoyens à ne plus avoir foi en la crédibilité de l’Etat. Enfin, notre pays est très endetté.
Une dette qui demeure au-dessus de la norme de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) en dépit d’une baisse en termes de produit intérieur brut observée ces deux dernières années. Notre pays consacre des ressources significatives au paiement des intérêts de la dette ».
Face à ce constat désastreux et alarmant, fruit d’une gouvernance hasardeuse depuis des décennies, Pierre Ekué Gamessou Kpodar se voit en alternative crédible pour répondre aux attentes du peuple par une autre façon de gouverner. Il déclare donc être candidat à la présidentielle de 2020 tout en rappelant que le changement que veut le peuple togolais n’est dirigé contre personne, ni aucune institution.
Il a décliné quelques points saillants de son programme sur le plan politique, économique et social avant de lancer un appel pressant à Faure Gnassingbé en ces termes :
« Nous lançons un appel fraternel et solennel au Chef de l’Etat de faire preuve d’élévation de soi, de se mettre au-dessus de la mêlée, pour murir sa décision au sujet de 2020, de bien considérer les faits, sans interférence aucune, prendre en compte avec noblesse et grandeur l’intérêt général de notre pays, affronter courageusement sa conscience et sa responsabilité aux fins de prendre la bonne décision. Nous le savons capable de dépassement. Nous sommes convaincus qu’il sait qu’un grand leader doit soigner sa sortie afin de rentrer dans l’histoire du bon côté ».
Perçu comme le candidat de la diaspora, du moins d’une partie, la descente dans l’arène politique du coordinateur de CODITO a suscité des réactions, alimenté les débats, la polémique aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’extérieur. Pour ses proches, et c’est de bonne guerre, Pierre Ekué Gamessou Kpodar est un sérieux challenger pour la présidentielle de 2020, surtout à un moment où l’opposition traditionnelle semble être en lambeaux face au pouvoir. Pour ses détracteurs, en revanche, ce nouveau venu n’est qu’un Jacques Amouzou ou Adani Ifè des temps modernes. Quelles sont les chances de réussite de ce nouveau candidat et quels peuvent être ses handicaps ?
Parcours professionnel brillant, carnet d’adresses solide
Le coordinateur de CODITO était jusqu’à présent à la périphérie de la scène politique. Il a décidé désormais de franchir le Rubicon pour se lancer dans la bataille. Il pourra mettre en avant sa virginité politique face à une classe politique de l’opposition de plus en plus sclérosée, avachie par plusieurs années de lutte sans résultats probants.
Son parcours professionnel et son expertise économique peuvent être des atouts pour un pays dont la situation économique est de plus que désastreuse. Il peut mettre en
relief sa capacité à redresser les finances publiques, à lutter contre le gaspillage, la gabegie, la corruption, etc. Par son parcours professionnel, il dispose d’un carnet d’adresses assez solide. Il faut ajouter à cela qu’une grande partie des Togolais de la diaspora qui pourront aider à compléter le réseau.
Lors du dialogue consécutif aux évènements de 2017, Pierre Ekue Gamessou Kpodar était l’une des rares personnalités de la diaspora et de la société civile à être reçue en audience à Accra par le Facilitateur Nana Akufo-Addo, de même que l’ancien président du Ghana Jerry John Rawlings. Il y a quelques mois, il s’est entretenu avec les officiels de haut niveau nigérians à Abuja. C’est un acteur capable de faire un grand lobbying diplomatique à travers les réseaux à sa disposition. Ces atouts mis dans la balance suffisent-ils à faire de l’homme un challenger sérieux ?
Présidentiable, en terrain miné
La virginité politique de Pierre Ekué Gamessou Kpodar mise en avant comme un atout pourrait à l’épreuve du terrain être un sérieux handicap. Il faut, pour l’ancien fonctionnaire du FMI, travailler dur pour renforcer son ancrage sur le terrain. De Lomé à Cinkassé en passant par Mandouri et Djakpargan, personne n’a encore une idée réelle de l’homme. Un travail titanesque de terrain attend ce nouveau présidentiable, même si ce dernier espère rallier quelques partis politiques à sa candidature. Un pari difficile à gagner lorsqu’on connaît les intrigues qui secouent souvent la classe politique de l’opposition.
Dans la mare aux alligators de la politique togolaise où tous les coups sont permis, même entre les acteurs d’un même bord, l’homme doit s’attendre à recevoir des coups
de partout, y compris venant de la société civile où plusieurs acteurs nourrissent la même ambition. L’autre grief que ses détracteurs pourront lui faire est lié fondamentalement à son parcours professionnel. Dans une Afrique de plus en plus marquée par des débats tranchés sur la question du franc CFA et la responsabilité des Institutions de Bretton Woods, notamment le FMI et la BM dans la misère des populations à travers tous les plans d’ajustements structurels, mettre son parcours de la BCEAO et du FMI ne paraît pas être un atout. Avoir été un cadre de ces institutions n’est pas a priori un fait condamnable, mais vu la violence des débats en cours, Pierre Ekué Gamessou Kpodar, dans sa communication, gagnerait à parler moins de brillant parcours à la BCEAO et au FMI. Un détail et non des moindres concerne le slogan qui cadre avec le projet du candidat. Mais le fait de faire de son prénom « Gamessou » un slogan renvoie une attitude narcissique, une propriété privée à l’image de l’emblème « Bélier noir » que Me Agboyibo avait collé pendant longtemps au CAR, suscitant des railleries de ses adversaires.
La conquête du pouvoir d’Etat et la gestion de la chose publique doivent s’écarter des choix de ce genre. Enfin, il doit bannir de son attitude cette grande naïveté qui transparaît dans son discours, particulièrement le fait de lancer un appel à la raison à Faure Gnassingbé. Il n’est pas évident que celui qui a déclaré que leur père a dit de ne jamais laisser le pouvoir, va chercher à rentrer dans l’histoire par la grande porte.
En partant du fait que toutes les ambitions sont légitimes, il faut saluer le fait que Pierre Ekué Gamessou Kpodar ait tenu à exprimer la sienne. Celle qui consiste à se mettre au service de son pays après de longues expériences à l’extérieur. Reste à savoir s’il saura trouver les voies et moyens pour rallier certains acteurs clés à son projet. Dans cette mare politique infestée de toutes les espèces de sauriens aux dents acérées, il faut faire preuve d’ingéniosité et de tact pour se frayer un chemin. Il a encore quelques mois pour se faire réellement connaître de l’opinion.
Le Palais de la Marina est à coté, mais la route pour y accéder paraît bien longue.
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