Entre la voie référendaire et le dialogue politique, le pouvoir de Lomé semble opter pour la première, certes légale mais aux issues inconnues. La tension observée lors des deux jours de marche de protestation, les 4 et 5 octobre derniers à travers tout le pays, dénommées respectivement «marche d’avertissement» et «marche de la colère» sont un signal fort d’un Togo qui prend le risque de foncer droit au mur, si Faure Gnassingbé ne prenait pas en main, les mesures de la situation.
Plus que jamais, les Togolais dé- montrent leurs vives aspirations au changement. Déclenché depuis le 19 août dernier par l’opposition, le mouvement «anti quatrième mandat de Faure» qui se traduit par l’exigence sans condition du retour à la Constitution de 1992, avec effet rétroactif, se poursuit de plus belle à travers tout le pays. Aujourd’hui, après l’échec de l’issue parlementaire débouchant notamment sur le référendum, c’est tout le Togo qui est en ébullition et manifeste, à l’appel de la coalition des forces démocratiques, le regroupement des 14 formations politiques au devant de la lutte dont le Parti National Panafricain (Pnp) de Tikpi Atchadam.
La Cedeao et comparses dans le mauvais rôle !
Alors même que la tension monte au fil des jours dans le pays, et des voix appellent vivement à une sortie publique du Chef de l’Etat pour calmer les humeurs, c’est une partie de la communauté internationale qui, elle, s’inscrive dans la posture de «mauvais conseiller» à Faure. En effet, au travers d’un communiqué tripartite rendu public le mercredi 4 octobre dernier, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (Cedeao), l’Union africaine (Ua) et le Bureau des nations unies pour l’Afrique de l’ouest et le sahel (Unowas) ont pris à contre pied, les propositions des représentations diplomatiques accréditées près le Togo, du Président de la Commission de la Cedeao et du Secrétaire général de des Nations Unies qui, tous, prônent le dialogue.
«Les trois organisations prennent acte, en particulier, de l’adoption du projet de la loi constitutionnelle visant à modifier les articles pertinents de la Constitution togolaise. Elles observent que c’est une étape importante pour mettre le Togo en conformité avec les normes démocratiques reflétant les meilleures pratiques en Afrique de l’ouest », lit-on dans ce communiqué. Et de porter ensuite l’estocade en appelant «le gouvernement à f ixer une date pour l’organisation du référendum sur le projet de loi constitutionnelle». Depuis une semaine, cette déclaration derrière la quelle se trouverait pour une énième fois, le fameux diplomate ghanéen Mohamed Ibn Chambas crispe la tension, cristallise les débats et enflamme la toile. À divers niveaux, hormis le camp du pouvoir, cette déclaration est mal appréciée, les uns ressortant son caractère contradictoire, les autres, son caractère irréaliste. D’une part ces trois organisations appellent au référendum tout en sachant que si référendum il doit y en avoir, il devrait se tenir avant la fin de cette année 2017,donc dans deux mois. Ce qui paraît peu probant, vu que le fichier électoral est à revoir, sans oublier la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui doit être recomposée. Aussi, l’on ne doit pas perdre de vue le débat sur la nature de la Ceni mieux adaptable au contexte togolais.
De l’autre, elles font également «appel à tous les acteurs politiques togolais à poursuivre le dialogue sur cette question importante de manière pacifique, conformément aux aspirations légitimes du peuple togolais». Ce qui relève d’un paradoxe remarquable puisque le peuple qui exprime son ras-le-bol dans la rue réfute catégoriquement toute idée de référendum.
Des raisons qui, somme toute, amènent des Togolais à n’accorder aucun crédit à ce communiqué qui semble plutôt une manœuvre dilatoire aux allures suicidaires pour le peuple togolais.
Haro sur des diplomates «démarcheurs»
«Ce monsieur (Ndlr: Ibn Chambas), comme il sait bien le faire, se fout encore une fois de plus, du peuple togolais. Ce dé- marcheur de diplomate, après son rôle trouble joué en 2005 au lendemain du coup d’Etat constitutionnel perpétré par Faure Gnassingbé, est encore à Lomé pour animer son marché arrière-boutique. Mais cette fois-ci, il a tiré à terre. Il trouvera en face de lui, tout le peuple togolais qui ne se laissera plus faire », nous a confié tout furieux, un togolais de la quarantaine qui a requis l’anonymat. Au niveau des acteurs politiques, les déclarations de rejet ne tarissent pas. «Je d is non et non à cette histoire de référendum. Ça ne nous concerne pas ! », réfute systématiquement le Président national de l’Alliance nationale pour le changement (Anc), Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition togolaise. Pour sa part, «Il faut tout faire pour éviter le référendum et régler le problème togolais autrement », suggère le Président national du Comité d’Action pour le Changement (Car), Me Yaovi Agboyibo. Mais celui qui aura été le plus décisif dans sa sortie est Gerry Komandega Taama du Nouvel Engagement Togolais (Net). A travers un communiqué en date du 8 octobre, cette formation politique dit trouver dans le référendum en vue, «la pire des solutions». Et d’expliquer à Faure Gnassingbé que « Le référendum nous divisera plus que nous le sommes aujourd’hui ! ». Pour ce jeune politicien, entrepreneur et anciennement militaire, il faut parvenir à capitaliser les manifestations populaires par des résultats politiques. Car, « Les événements malheureux de la nuit du 5 octobre 2017 ne sont que les prémices du danger qui guette notre pays, si les politiciens n’arrivent pas à trouver une issue consensuelle à la crise», craint le président national du Net. Cette dernière exhortation, vu sa pertinence, permettra-t-il à Faure Gnassingbé qui se veut aujourd’hui la seule personne à pouvoir dénouer la crise, de se raviser ? C’est en somme la question qu’il convient de poser au fils du Général Eyadema, au pouvoir depuis 2005.
Jusqu’où ira le pouvoir de Lomé ?
Entre écouter la voix de son peuple dont il tire son pouvoir et chercher à satisfaire les desiderata de certains «diplomates crisologues», Faure Gnassingbé doit choisir. Aujourd’hui, nul ne peut ignorer les conséquences négatives de cette crise aussi bien sur l’image du pays, que celle de son président, qui est par ailleurs Président en exercice de la Cedeao. D’abord, le report du sommet Israël-Afrique auquel tenait tant Lomé est, sans nul doute, le premier échec cuisant essuyé par Faure Gnassingbé. A cela s’ajoutent les multiples clichés des violences et atrocités qu’exercent les forces de l’ordre sur les populations qui pillulent sur la toile, y compris les coupures d’internet qui ont certainement contribué à repousser l’échéance de l’admission du Togo au Millénium Challenge Corporation (MCC). Enfin, la multiplication des marches de protestation des Togolais de la diaspora dans plusieurs grandes villes du monde, de Paris à Berlin en passant par Bruxelles, Berne, Washington et Ottawa et bien d’autres villes encore sont, sans doute, une très mauvaise campagne publicitaire pour le chef de l’Etat, appelé à siffler la fin de la récréation.
Faure Gnassingbé devra donc sortir de son mutisme méprisant pour parler à son peuple. La meilleure des solutions aujourd’hui évidentes pour le Chef de l’Etat, surtout au regard de son pouvoir discrétionnaire, est de demander au parlement, une relecture de la loi portant modification constitutionnelle. Et cela appelle au dialogue entre les différents acteurs de la vie politique du pays. Toute autre démarche outre que celle-ci ne serait qu’un piège sans fin.
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