Contre toute attente (et heureusement je dois dire), l’opposition togolaise a réussi le pari de rester unie pendant une période assez longue, sans que deux de ses membres n’aillent créer une coalition parallèle dite « modérée », « constructive », ou « charnière ». C’est une preuve que le peuple peut espérer une issue favorable à une lutte pour l’alternance vieille de trois décennies.
Ayant relevé le défi de l’unité, il lui reste, parmi tant d’autres défis, l’élaboration d’un plan de transition dans une dynamique tout aussi unitaire. Certains se demanderaient pourquoi un plan de transition alors que Faure Gnassingbé est encore au pouvoir ? Pourquoi vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué ? Pour plusieurs raisons, mais je parlerai de 4 raisons qui me paraissent fondamentales.
La première raison est que l’après-Faure est inévitable et sa succession sera une transition, quelle que soit la manière dont cette succession interviendra. Que le soldat Faure s’en aille de lui-même (peu probable) ou qu’il soit forcé par la rue aidée par un contexte international favorable (de plus en plus probable), son successeur sera un président de transition. Que ce successeur soit un membre actuel de la coalition ou pas, il aura besoin du soutien de ceux qui l’animent ladite coalition aujourd’hui. Le fait donc pour la coalition de disposer d’une feuille de route dès maintenant fera de ses membres des acteurs incontournables dans la période transitoire, et leur permettra s’assurer que les principes démocratiques dont ils se font aujourd’hui les chantres ne seront pas relégués aux oubliettes.
La seconde raison est qu’un plan de transition est un engagement collectif qui permettra de parler directement à trois groupes importants de citoyens dont le soutien est crucial : ceux qui ont peur de l’après-Faure (très nombreux), les indécis (tout aussi nombreux) et les modérés du régime (ils existent !)
On entend les opposants clamer haut et fort qu’il n’y aura pas de chasse aux sorcières s’ils arrivaient au pouvoir. Cela signifie qu’ils prendront toutes les mesures pour y parer. Quelles sont ces mesures ? Il ne suffit pas de le dire, il faut le mettre sur papier, c’est une règle en politique. Les écrits restent, les paroles s’envolent. De plus, malgré qu’on crie que nul ne doit être neutre dans la situation actuelle, il y a des indécis, des gens qui dans le passé ont été déçus par l’opposition. Ils ne se sont pas jetés dans les bras du régime, mais ils ne savent pas à quoi s’en tenir avec l’opposition. Il y a enfin les modérés du régime (Faure n’en fait certainement pas partie) qui vivent mal les étiquettes qu’on leur colle et voudraient s’en débarrasser, y compris en aidant à pousser Faure vers la sortie. Des engagements fermes envers tout ce beau monde fera indéniablement la différence dans la lutte contre le régime.
La troisième raison est que depuis les années 90, l’opposition ou du moins certains opposants ont donné l’impression de ne pas se soucier de ce que la communauté internationale pense d’eux, tout en recherchant la bénédiction de ladite communauté. Or au sein de cette même communauté, il y a des acteurs et pas des moindres qui ont une appréciation caricaturale de l’opposition togolaise : ils en gardent une image d’une opposition qui « n’a pas de contours » ce qui en langage diplomatique signifie qu’on ne sait comment la définir. Or un mouvement politique qu’on ne peut étiqueter ne peut pas véritablement bénéficier de soutiens de poids, c’est une (triste) réalité sur le plan international. J’ai une fois entendu un diplomate onusien qui n’a visiblement aucune sympathie envers le régime togolais qualifier notre opposition d’épithètes peu glorieuses. Pourtant ce sont des gens comme lui qui façonnent les opinions dans les cercles diplomatiques. Bref un plan de transition aura le mérite de rassurer tous ceux qui au sein de la communauté internationale doutent de la capacité de notre opposition à gérer l’après-Faure.
La quatrième raison enfin est que, comme je l’ai dit au début, la présente unité d’action de l’opposition est inédite. Cela représente une opportunité tout aussi inédite de bénéficier de l’apport de 14 cerveaux autour des solutions aux problèmes qui minent le progrès du pays et dans la définition des orientations stratégiques nationales. Quatorze, ce n’est pas mal, n’oublions pas que la grande nation américaine a été fondée par des Pères Fondateurs au nombre de 54 ! Beaucoup de Togolais et ceux qui s’intéressent à l’actualité de notre pays s’interrogent très souvent sur le contenu des programmes de société des partis de l’opposition. À tort ou à raison, les dirigeants et militants de ces partis estiment qu’une telle critique n’a pas sa raison d’être et qu’on leur fait un mauvais procès. Quelles que soient les raisons pour lesquelles ces programmes de société ne sont pas sur la place publique, disposer d’un programme commun de gouvernance aura le mérite de palier à ces insuffisances.
Dans tous les cas, en proposant un plan de transition, l’opposition gagnerait à sortir de ce que je qualifierais de statut quo interne. Ce sera une façon de se démarquer vraiment du parti au pouvoir qui lui ne peut plus vraiment sortir du statut quo national qui est sa marque déposée. Il vaut mieux avoir un plan que d’être surpris par des évènements du genre 5 février 2005.
Source : www.icilome.com