[L’autorité devenue insupportable d’une dictature… Au total 81 prisonniers politiques, croupissent dans les geôles du Togo, sur toute l’étendue du territoire national, dont 69 détenus à la prison civile de Lomé. C’est à ces martyrs et héros de notre lutte pour la démocratie que je dédie ce texte, ainsi qu’à leurs proches. Les plus connus parmi eux sont Foly Satchivi, Messenth Kokoroko, Kokou Éza, Assiba Johnson, Alassani Fatao, Ouro-Gbére Sadate, Ouro-Koura Abdoulaye, et d’autres.]
Ils ont donc jailli, kliya-kliya, comme vous les connaissez, ont envahi le pays, depuis le temps que vous savez, féroces, excités, avides, rodant, comme des chiens enragés, dévorant tout sur leur passage.
Ces êtres des cavernes à l’horizon confiné dans leur sac rempli de malice de toutes sortes, vieux de plus de cinquante ans ne connaissent ni ne comprennent la voix au vocabulaire lumineux qui dit du nord au sud, de l’est à l’ouest
Nubuéké !
Ces hommes et femmes dont le propre entêtement a obscurci la raison et la conscience, plongés dans une nuit dont ils ne voient pas la fin, tâtonnants, mais obstinés, ont tout le mal du monde à concevoir que se lève un jour nouveau
Nubuéké !
Ces hommes et femmes qui éteindraient jusque dans le cerveau, le sang, les veines et le cœur même des bébés toute lueur, ne se sont-ils pas acharnés sur des berceaux d’où sortaient des cris-étincèles d’avenir, car l’avenir est leur pire ennemi ?
Nubuéké !
Ces êtres des ténèbres tremblent quand des rues, des maisons, des hameaux, des cabanes, de tous les endroits résonne le chant
Nubuéké !
Ces êtres que même de tous petits éclats de lumière, quoique pacifiques projetés sur leurs actes, leurs façades de mots et leurs vrais visages, précipitent dans la panique, courent chercher secours partout, pour protéger leurs privilèges et intérêts et n’hésitent pas à sortir chars, kalachnikovs, lacrymogènes, couteaux, flèches… Mais ils ne résisteront pas à la lumière foudroyante de
Nubuéké !
Ces êtres qui croient pouvoir enfouir les rayons de soleil dans leurs poches comme ils le font des billets de banque et pièces d’argent luisant ont été surpris par les valeurs flamboyantes, flambant neuf que prône
Nubuéké.
Ils auront beau chercher à saisir, à piétiner, à empocher, à étouffer, à emprisonner, à empoisonner les étincèles, les rayons du jour qui pointe…Rien n’y fait.
Même leurs juges complices, installés dans un palais laid des services qui y sont rendus, non au peuple au nom du peuple, mais au pouvoir totalitaire dans le plus parfait arbitraire, ne pourront pas réduire au silence la voix de la conscience, du bon sens et de l’avenir qui continuera de retentir
Nubuéké !
Une mère dans ce palais, qui assiste au triste spectacle du procès de son enfant a senti sa plaie déjà douloureuse avivée par le glaive de la traitrise qui a traversé ses entrailles. Horrifiée, elle a craché insultes et imprécations contre des robes déjà sales et sombres.
Qui a compris que le cri déchirant de cette mère meurtrie, ébranle, met à terre tout l’édifice de la justice d’un pays et que ce cri signifie
Nubuéké ?
Cette mère, dans son sein, contient et cristallise depuis plus de cinq décennies les souffrances endurées sous un système de roublardise qui, non content de ses discours mensongers, brise vies et familles, brutalise, emprisonne et assassine sans discrimination citoyens du sud, du nord, de l’est, de l’ouest, hommes, femmes, vieillards, jeunes gens et nourrissons, système contre lequel des centaines de milliers de personnes proclament aujourd’hui
Nubuéké !
Cette mère que l’univers entier a vue sur les écrans, comme il a vu, victimes d’un même clan, depuis plus de cinquante ans d’arbitraire, des urnes volées, des corps vidés de leur sang, des morts rendus par la mer, des femmes violées en pleurs,
Cette mère se roulant à même le sol togolais devant ledit palais, sous le brûlant soleil a poussé dans sa rage et dans sa langue maternelle le cri de millions de citoyens que l’on ne peut plus étouffer car
Nubuéké !
Alors que ses entrailles bouillonnent de colère et d’une révolte amère, et que ses lèvres palpitantes profèrent malédictions et invectives, elle cogne tout son corps de femme forte et courageuse contre le mur pour, de cette manière renverser l’autorité devenue insupportable d’une dictature. Elle rythme chacun des coups qu’elle donne à l’édifice par son cri : Mort à la dictature ! Mort à un système qui veut éteindre les étoiles à l’horizon en envoyant nos enfants en prison.
N’a-t-elle pas raison de nourrir des espoirs, elle qui a nourri un enfant togolais, non seulement de son lait, mais aussi de sa peine, de sa sueur, de sa peau exposée quotidiennement au feu sous un pot de bouillie akassan à vendre pour gagner de petites pièces d’argent ?
Cette mère, ce jour, par ses coups répétés, a fait s’écrouler les murs de façade cachant mal l’injustice, et par ses malédictions déchirantes, vibrantes et martelées, mis en lambeaux les manteaux amples et noirs des magistrats domestiqués du Maître de la menterie. A la face de ce dernier, de ce Manitou de malheur dont l’ombre meurtrière hante ces lieux, unissons nos voix à celle de cette mère, de cette femme, pour proclamer haut et fort
Nubuéké !
Aujourd’hui ou demain, qu’ils disent non, qu’ils disent oui, quoi qu’ils fassent, quelles que soient les structures de la dictature qu’ils mettent en place, en vue de la maquiller en démocratie, sutures mal réussies d’une opération bâclée, où qu’ils aillent, quelque magouille qu’ils inventent encore, sur leur chemin, ils rencontreront, sentiront, entendront, verront… les pas, le parfum, la voix, la lumière de
Nubuéké !
Et, non seulement nous au Togo, mais aussi nous dans toute l’Afrique sonnerons, victorieux, la trompette pour annoncer
Nubuéké !
Sénouvo Agbota Zinsou
28 janvier 2019
27Avril.com