Nouveau format de la justice togolaise : Pourquoi l’idée d’une avancée est un leurre

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Afin de rendre plus efficace le système judiciaire togolais, Pius Agbetomey, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a présenté les nouvelles configurations qui changeront la face de l’appareil judiciaire, le 10 novembre dernier. Ce changement s’inscrit dans le cadre du programme national de modernisation de la justice togolaise lancé en 2019. De l’intervention du ministre, on retient la mise en place de deux juridictions qui s’occuperont à l’avenir de la justice, à savoir les juridictions de droit commun et les juridictions spécialisées. Des tribunaux criminels – une première – aux juges d’application des peines, en passant par des chambres administratives, tous les ingrédients sont concoctés pour une justice plus vivante que n’était celle jusqu’ici expérimentée.

« Si nous prenons la nouvelle organisation inscrite dans le nouveau code, vous verrez qu’il y a beaucoup de changement. Pour les juridictions de premier degré, on a le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance. Pour les tribunaux d’instance, il y a une catégorie qui ne traitera que des affaires civiles, d’autres qui feront des affaires civiles et des affaires pénales. En ce qui concerne le tribunal de grande instance, la compétence est d’envergure, on retrouvera d’autres organes juridictionnels tels que le tribunal de travail, les tribunaux criminels. Il y aura également les juges d’application des peines. Certains principes cardinaux seront appliqués pour l’ensemble des juridictions », a fait savoir le ministre.

Fini donc les manquements qui ont de tout temps sali l’image de la justice togolaise ? Au premier rang de ces manquements, la corruption, au sujet de laquelle Pius Agbetomey a tenu à faire un point: « Que ce soit dans l’ancienne organisation juridictionnelle, que ce soit dans la nouvelle, que ce soit plus tard, le problème de corruption est un problème d’homme. Nous avons une loi qui organise une structure judiciaire chargée de réprimer les déviations du magistrat sur le plan professionnel. L’action que nous sommes amenés à faire en tant que premier responsable, c’est de veiller que chaque fois, dans l’exercice de leur fonction, les magistrats aient à se rappeler du serment qu’ils ont prêté », a-t-il martelé.

De vœux pieux

Il faudra plus qu’une simple exhortation à se rappeler le serment prêté pour éradiquer le fléau que constitue à elle seule la corruption enracinée dans un pays où rien n’est fait pour la combattre. Comme il faudra bien plus que des mots comme savent en inventer les autorités pour venir à bout de l’équation à plusieurs inconnues qu’est et demeure une justice aux ordres, dépendante, caporalisée et minée par le clientélisme.

Il nous souvient qu’en 2013, Koffi Esaw, alors ministre de la Justice, pointait le fait que « malgré les efforts du gouvernement pour garantir une justice équitable, indépendante et efficace à travers son programme national de modernisation, force est de constater que le système judiciaire est toujours affecté par de nombreux dysfonctionnements ». Une déclaration faite non pas par un opposant, mais par un homme du « système » qui voit dans le magistrat celui-là même qui doit «rendre la justice au nom de Dieu, il doit se départir des comportements qui portent atteinte à sa dignité et l’éloignent de l’indépendance, notamment la corruption».

Neuf années après, les choses n’ont pas bougé d’un iota, si ce n’est qu’elles ont empiré. Abdoulaye Yaya, le Président de la Cour suprême et président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a l’année dernière mis en garde les juges contre ce qu’il avait appelé des pratiques hérétiques, comme quand des magistrats drainent des justiciables vers leurs officines pour des consultations ou règlements pastoraux « contre des espèces sonnantes et trébuchantes arrachées à ces justiciables », ou quand ils ouvrent «des officines en leur domicile, tenant lieu d’appendices ou de tribunaux annexes », si l’on en croit la note de service alors sortie par Abdoulaye Yaya lui-même.

Ce dernier n’a fait que dire tout haut ce que bien des Togolais savaient déjà, eux qui ont de tout temps souffert de la vénalité de ceux-là mêmes qui devraient se départir de toute cupidité dans le rendu de quelque décision que ce soit.

Malgré l’adoption en 2020 de la Politique nationale de la justice (PNJ) censée rendre l’appareil judiciaire « plus efficace et indépendant », rien n’y a fait. Même sort pour la loi portant institution des tribunaux de commerce en République Togolaise, adoptée en 2019 et censée opérer une restructuration totale des juridictions du premier degré et des changements significatifs au second degré.

Cette politique nationale de la justice n’a servi qu’au ravalement de façade des bâtiments et bureaux de ce ministère. Si les sorties aussi bien de Koffi Esaw que de Abdoulaye Yaya n’y ont rien pu faire, on voit mal comment la nouvelle carte judiciaire clamée à son de trompe pourrait changer la donne. C’est le manque de volonté qui complique la tâche. Le gouvernement donne l’impression de pérenniser une tradition ancrée dans le temps, tradition qui fait la part belle aux caciques du pouvoir, même s’ils sont convaincus des pires méfaits. L’impunité dans laquelle ceux-ci baignent encourage des pratiques les plus répréhensibles. Avec ça, comment peut-on combattre la corruption, mère des autres maux ?

D’accord pour la carte judiciaire, mais ce serait naïf de croire qu’elle va signer la fin de la caporalisation.

Sodoli Koudoadgbo

Source: Le Correcteur / lecorrecteur.info

Source : 27Avril.com