La monnaie remplit en principe trois principales fonctions économiques. C’est d’abord un équivalent général en tant qu’unité commune de compte. Elle sert d’intermédiaire des échanges en tant qu’unité de paiement, si la valeur de cette monnaie n’est pas contrôlée par une entité étrangère, permettant à cette dernière de ponctionner une partie des richesses créées par une Nation et insidieusement de contrôler la souveraineté monétaire d’un Etat. Enfin, elle a une fonction de réserve des valeurs permettant ainsi d’investir immédiatement ou dans le futur alors que le troc ne permet en principe que l’échange simultané. En réalité, c’est la fonction non écrite qui apparaît la plus importante. Il s’agit de la fonction politique qui détermine en définitive la structuration de la création de richesses et son accaparement par ceux qui contrôlent directement ou indirectement le pouvoir de création monétaire et sa répartition.
En Afrique en général, dans les pays membres de la zone Franc en particulier, on assiste à une prise de conscience populaire grandissante sur le rôle d’une monnaie non-africaine sur la souveraineté d’une Nation. La position de la France dans ses relations secrètes – militaires et monétaires- avec les chefs d’Etat africains de la zone franc est de plus en plus critiquée. Les conséquences d’une gouvernance économique qui accentuent la pauvreté et augmentent les inégalités sans véritablement accroître collectivement le pouvoir d’achat ont conduit à remettre la création d’une monnaie commune en Afrique de l’Ouest au goût du jour. Mais ne s’agit-il pas pour des chefs d’Etat d’Afrique de l’Ouest, de plus en plus « populistes », de faire « beaucoup » de bruit pour laisser passer la colère populaire ? Après avoir repoussé par quatre fois par le passé la création d’une monnaie commune à 15 pays, quelle est la crédibilité des chefs d’Etat qui ont fixée 2020 comme la nouvelle date de mise en service d’une monnaie commune à pays 15 pays d’Afrique de l’Ouest ?
« Eco » : Monnaie commune Cedeao avec ou Sans la France
Le 29 juin 2019, lors du sommet des chefs d’Etat de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), les quinze (15) dirigeants de cette zone, sous la nouvelle présidence tournante du Président du Niger, Mahamadou Issoufou, ont choisi d’envoyer un signe aux populations en proposant finalement un « nom » et un « symbole » d’une monnaie dite « unique » à s’avoir l’ECO.
La CEDEAO avec 15 pays composés d’une part, de huit membres de l’Union économique et monétaire de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) également membres de la zone franc et ayant donné un pouvoir libératoire au Franc de la Communauté financière africaine (CFA 11), et d’autre part, de sept autres pays qui gèrent, de manière souveraine, leur monnaie.
Les chefs d’Etat ne peuvent pas encore annoncer que la future monnaie de la CEDEAO dite « ECO » ne pourra pas voir le jour en 2020. L’euphémisme annoncée se retrouve dans la nécessité, après quatre reports, de passer par plusieurs étapes dites « graduelles », ce uniquement avec les rares pays qui respectent les critères de convergence. Autrement dit, tous les autres pays « monétairement indisciplinés » en seront exclus mais auront la liberté de s’y joindre ultérieurement.
Mais, il n’y a pas que le problème de la discipline monétaire. Il y a un vrai problème de décolonisation monétaire entre la France et les pays de l’UEMOA. Concrètement, la vraie question qui n’a pas été éludée est de savoir si la création de la monnaie de la CEDEAO peut s’accommoder de passer de 8 à 15 pays avec un Franc CFA :
- d’une part, sous contrôle de la France, et
- d’autre part, sans la France. Il faudra alors une réforme où le mot « Franc » disparaîtra et la monnaie résiduelle CFA sera en capacité de respecter la discipline monétaire de la CEDEAO et de participer en toute indépendance monétaire à une zone monétaire commune d’Afrique de l’Ouest.
En réalité, le Nigeria et d’autres pays y compris francophones, ne veulent pas de la France au sein de la CEDEAO. Mais, certains chefs d’Etat anglophones, lusophones et francophones sont incapables d’en assumer la responsabilité face aux chefs d’Etat, surtout francophones, qui agissent comme des relais, des sous-traitants défendant les intérêts de la France (secteurs public et privés confondus) en Afrique de l’Ouest. Il convient nécessairement de faire référence au pacte colonial entre la France et les pays de la zone franc, pacte qui a en fait évolué en pacte post-colonial avec le soutien de certains chefs d’Etat africains en contrepartie d’une prolongation de leur mandat à la tête des Etats et des modifications unilatérales des Constitutions et d’une démocratie de la contre-vérité des urnes 12.
Cette situation saugrenue permet justement à des nombreux chefs d’Etat de trouver en la France, le bouc-émissaire parfait afin de passer sous silence les conséquences d’une gouvernance économique bien mitigée en termes d’amélioration du bien-être, du pouvoir d’achat des populations dans la zone. Le niveau de pauvreté et les inégalités ont au mieux stagné, mais en réalité, a augmenté avec des écarts de plus en plus abjects et de plus en plus cachés par certains médias. Les impuissances face à l’insécurité et au terrorisme ne font d’exacerber les tensions.
Aussi, pour créer une monnaie commune souveraine dans la CEDEAO, tous les pays francophones membres de la zone franc utilisant le Franc CFA sont invités à procéder à des réformes de fond de type « décolonisation monétaire » en demandant la démission de la France du conseil d’administration de la Zone Franc. Cela devrait avoir comme conséquence :
- de faire disparaître le nom Franc devant le CFA ;
- de stopper le pouvoir de « veto » des représentants de la France13au sein de la zone franc ;
- de modifier vraisemblablement la parité fixe et donc évoluer vers un taux de change flexible entre le Franc CFA et l’Euro ;
- de réviser à la baisse, voire supprimer, l’obligation de conserver 50 % des réserves sur l’un des nombreux comptes d’opération auprès du Trésor français, éliminant ainsi le lien de subordination entre Banque de France et les banques centrales de la Zone franc.
La proposition de DSK de remplacer les représentants du Trésor français au sein des conseils d’administration de la zone franc par des experts internationaux indépendants non africains pose problème.
Sur un autre plan, il ne devrait pas, en principe, avoir de problèmes pour les Etats de la Zone Franc de disposer d’au moins de cinq mois d’avance de réserves, à savoir le minimum exigé dans les accords avec le Trésor français pour garantir une émission monétaire et une convertibilité du Franc CFA en Euro.
Les réserves sont mesurées en nombre de mois d’importations de biens et services (MIBS). Pour la zone franc (Afrique de l’Ouest (UEMOA) et Afrique centrale (CEMAC)), la moyenne affichée selon les dernières statistiques du Fond monétaire international entre 2010 et 2018 est de 3,85 MIBS. Pour l’Union économique monétaire Ouest-africain, cette moyenne est de 4,35 MIBS alors qu’elle n’est que de 2,77 MIBS pour la CEMAC. Les pronostics futurs ne permettent pas de passer la barre des 5 MIBS pour la zone franc qui afficherait respectivement 3,9 MIBS en 2019 et 4,1 MIBS en 202014.
Alors que la France décide de ne plus assurer la convertibilité du FCFA en Euro -officiellement ou officieusement- ou de n’assurer cette convertibilité que de manière automatique n’est pas quelque chose de nouveau. En réalité, un système d’exception a permis à un tel système de perdurer depuis des décennies selon que l’on appartient à tel ou tel réseau proche ou pas des pouvoirs africains, des pouvoirs ésotériques, des forces du marché notamment les multinationales et surtout des institutions ayant accepté le principe de la perpétuation du Franc CFA. La solution de la création d’une monnaie commune demeure un problème des dirigeants africains, celui de la discipline monétaire.
Absence de Discipline Monétaire : Responsabilités Partagées
La langue de bois d’ébène des dirigeants africains ne permet pas toujours de faire la part de ce qui relève de leur responsabilité propre ou de celle des autres acteurs extérieurs. Le populisme et la soif d’en découdre des citoyens de la CEDEAO et de quelques intellectuels africains ont conduit à une sorte de concentration des responsabilités sur la France. Il est vrai que la France entretient une ambiguïté calculée qui a pour résultat de préserver le statu quo15. En réalité, les responsabilités sont bien partagées. On pourrait assez facilement apporter les éléments factuels qui justifieraient que près de 60 % des responsabilités relèvent de l’incapacité des chefs d’Etat africains de la zone franc à agir collectivement au service de leurs populations respectives.
Le problème est devenu « viral » depuis qu’il est question en catimini de dévaluer le Franc CFA d’Afrique centrale. Et face aux refus des dirigeants de cette zone, il faut bien constater dans la pratique que le Franc CFA d’Afrique centrale n’a quasiment pas de pouvoir libératoire en Afrique de l’Ouest, et encore moins en France et dans le monde, comme au demeurant le Franc CFA d’Afrique de l’Ouest.
Lorsque vous échangez en juillet 2019 un EURO d’Afrique Centrale, le taux fixe aurait dû être 655,96 FCFA. Mais par la magie du marché « libre » et des commissions de change et/ou bancaires, le taux se situe entre 730 et 790 franc CFA d’Afrique centrale (XAF). Personne n’ose parler de dévaluation de fait. Mais la réalité est difficile pour les entreprises et mêmes les institutions financières. Si la France ne peut officiellement avouer qu’elle refuse de convertir partiellement le Franc CFA d’Afrique centrale en Euro, les opérateurs sur le terrain le constatent. Il y a bien sûr des exceptions dans la non-convertibilité du Franc CFA en Euro. La faute au dysfonctionnement avec des explications basées sur les retards. Mais le patronat africain de la zone n’a à ce jour reçu aucune explication crédible. Autrement dit, la France, au travers du Trésor français, via les banques centrales de la zone Franc (BEAC pour l’Afrique centrale et BCEAO pour l’Afrique de l’Ouest), décide en fait unilatéralement ou pas de respecter ses engagements de convertibilité dite « illimitée » du FCFA en devise EURO.
Dans la pratique, c’est tout un pan de l’économie africaine qui est ralentie avec comme objectif de l’asphyxier dès lors que cela ne profite pas à une entité française. Il suffit de constater que les opérateurs et sociétés de transfert d’argent refusent de plus en plus d’honorer leur engagement envers les clients et les transferts bancaires entre la zone franc et le monde hors zone franc voient les délais se prolonger au point de déstabiliser des individus, des familles, des entreprises, certains Etats et bientôt l’ensemble d’une zone, justifiant ainsi une dévaluation à terme. Mais c’est la pénurie de l’accès à l’Euro avec un taux de change usuriers et composés de frais bancaires inexpliqués qui risquent d’étrangler les économies de la zone franc, notamment en Afrique centrale. L’accès aux autres devises internationales devra se faire par des dépôts de réserves dans les pays où l’Afrique a une dynamique de échanges commerciaux et une écoute plus favorable de type « gagnant-gagnant ».
Le peuple africain ne doit pas s’y tromper. Si la responsabilité de la France est engagée, celle des dirigeants africains, notamment pour mauvaise gouvernance économique et monétaire sans compter la corruption institutionnalisée et non sanctionnée, ne peut être exclue. La fuite en avant, consistant à croire que la création d’une monnaie dite « unique » sous-régionale permettra de s’absoudre de la discipline monétaire, fait partie de cette forme d’illusion naïve des certains dirigeants africains persuadés que les dettes accumulées se « nettoient » par ceux-là même qui ont offert des crédits et des prêts faciles, ce à des taux d’intérêts iniques pour de nombreux projets sans études de faisabilité et mal exécutés qui n’ont pas aboutis.
C’est ainsi que certains pays africains sont en train de décider en urgence de passer de l’approche de la programmation des budgets-projets à l’approche des budgets-programmes en espérant passer par pertes et profits la conséquence de la mauvaise gouvernance économique et monétaire passée aux dépens des populations africaines. En définitive, ce n’est pas tant la monnaie Franc CFA ou tout autre monnaie de la zone qui a pris en otage les Etats africains. C’est la conjugaison d’une gouvernance de l’Etat africain au service d’intérêts étrangers publics et privés, dont le processus opérationnel permet d’enrichir au passage, frauduleusement ou légalement, ceux qui sont au pouvoir ou disposent des prérogatives de la violence militaire et policière ainsi que leurs affidés directs ou indirects à l’étranger ou dans le pays.
Monnaie commune Cedeao en 2020 : Pas de Pieces, Pas de Billet « Eco » !
L’ECO ne rentrera pas en fonction suite à une décision collective et commune des chefs d’Etat. Il ne peut s’agir d’une monnaie unique mais bien d’une monnaie commune. Encore faut-il d’abord établir le Fond monétaire africain sous-régional (FMA) pour permettre des ajustements budgétaires conjoncturels entre pays membres de la CEDEAO et une banque centrale commune de l’Afrique de l’Ouest afin d’assurer la création monétaire et un minimum de souveraineté monétaire.
En 2020, compte tenu de l’agilité des chefs d’Etat et le fait d’avoir repoussé déjà 4 fois la date butoir, la monnaie ECO pourrait au mieux avoir un taux de change flexible et ne remplir qu’une des trois fonctions principales de la monnaie à savoir la fonction d’unité de compte. Les fonctions d’unité de paiement et d’unité de réserve risquent d’être repoussés à plus tard. En effet, la fonction politique panafricaine n’a pas encore trouvé ses marques.
Autrement dit, les billets du franc CFA des deux zones (XOF/occidentale et XAF/centrale) ne vont pas disparaître au profit de la monnaie commune ECO au sein de la CEDEAO en 2020. Chaque pays de la CEDEAO risque de continuer à commercer avec la monnaie que ces ressortissants utilisent aujourd’hui. Quel « progrès » en termes de souveraineté monétaire !!! Mais rien n’est impossible entre quelques Etats volontaires pour 2025. YEA.
Auteur: Dr Yves Ekoué Amaïzo, PhD, MBA
Directeur Afrocentricity Think Tank
Philippe Turpin / Photononstop
Source : Togoweb.net