Dans une tribune rendue publique le week-end, Mme Maryse Quashie, professeure des universités du Togo, cherche à comprendre le sens de la sortie du gouvernement et de la majorité la semaine dernière, au cours d’une conférence de presse que les deux entités ont organisée. Lire plutôt !
Une réaction citoyenne à la déclaration de la conférence de presse du gouvernement et de la majorité
EN RIRE OU EN PLEURER ?
Le 24 octobre 2018, le Gouvernement et la majorité ont donné une conférence de presse. Le fait est assez exceptionnel pour qu’on s’y intéresse. Les organisateurs de la conférence de presse se sont donné comme objectif d’apporter des éclairages sur la situation actuelle du Togo au profit de l’opinion nationale et internationale. Il est donc normal que toute réaction faisant suite aux points développés lors de cet événement se fasse aussi en direction de ces deux entités et soit donc publiée. Voilà le sens du texte qui suit. Il s’appuie essentiellement sur l’analyse de la déclaration liminaire, qui s’est révélée très instructive. En effet lorsqu’on lit ce texte on est partagé entre deux types de réactions qui sont livrées ci-après.
1-EN RIRE ? DES AVIS DE RECHERCHE SONT LANCES !
•Gouvernement et majorité ont perdu opposition. Prière venir à leur secours !
La conférence de presse du 24 octobre 2018 était organisée par le Gouvernement et la majorité. Une première remarque : le Gouvernement de tous les Togolais et la majorité qui représente seulement une partie des Togolais : est-ce un mélange involontaire de genres ou la manifestation de la convergence des intérêts ?
Quel que soit le cas, dans la déclaration liminaire, on lit ces mots :
« Au regard du relevé de conclusion du Comité de suivi et des dispositions du code électoral, la Coalition des 14 partis de l’opposition n’est pas partie prenante de la CENI et nulle part il ne lui est conféré un droit quelconque de désigner des membres ou représentants à la CENI à la place des composantes et entités qui sont concernées. (…)
Nulle part dans les décisions de la CEDEAO, il n’est fait mention ou état de la Coalition des 14 partis de l’opposition. Cette dernière ne peut donc prétendre à une quelconque exclusivité et hégémonie par rapports aux autres partis politiques surtout dans le cadre des élections et des réformes qui intéressent l’ensemble des acteurs politiques et même la société civile et l’ensemble de la société togolaise. «
A la lecture de ce texte, on commence à s’affoler, qui est l’opposition alors ? De qui parle-t-on sous la mention « autres partis politiques » ? MPDD (ancien OBUTS), NET qui se sont volontairement retirés ? Ou bien l’UFC ? Dans ce cas, ce parti serait-il devenu pluriel ?
Mais après un instant d’affolement on a trouvé des indices de l’endroit où se cache l’opposition. En effet, dans la même déclaration liminaire de la conférence de presse on lit : « Que la Coalition soit une réalité politique est indéniable ». Ah, on respire ! La C14 n’est pas donc une invention résultant « des décisions, stratégies et calculs internes aux partis et regroupements de partis, dans un esprit hégémonique de mépris et d’exclusion ».
C’est bizarre, l’observateur externe a l’impression que c’est la majorité qui exclut certains de la participation à la CENI mais…
La lecture de la déclaration donne encore d’autres éléments pour qu’on sache qui et où est l’opposition. En effet, elle reconnaît :
« Qu’elle soit un interlocuteur dans le cadre du dialogue et du processus de mise en œuvre des décisions et recommandations de la CEDEAO, c’est également un fait. »
Donc la CEDEAO, reconnait malgré ce qu’en dit la conférence de presse, la qualité de la Coalition des 14 comme interlocuteur valable pour mettre en œuvre ses décisions. Alors pourquoi pas les décisions concernant la CENI, décisions contenues dans les conclusions du 23 septembre ?
D’ailleurs dans le relevé des conclusions de cette rencontre du 23 septembre, écrit par la CEDEAO, on lit « ont assisté, les délégués de la Coalition des 14 partis de l’opposition ». On doit lire dans ces mots une reconnaissance de fait de la C14 par la CEDEAO. Pourquoi la majorité (ou le Gouvernement, on ne sait plus) n’ont-ils pas élevé de protestations à ce moment ?
Vous êtes donc priés d’aider le Gouvernement et la majorité, ils croient avoir perdu l’opposition mais elle est là sous leurs yeux. Un cas de myopie soudaine ?
•Un parti n’entend plus souffler le vent de l’histoire. Prière lui fournir les rappels !
Depuis un certain temps le vent de l’histoire commence à souffler avec une certaine violence. Il s’agit de ce vent provoqué par les mouvements du peuple, ce vent qui au Togo a balayé le parti unique, a fait tomber les murs des oubliettes où on avait enfermé Sylvanus Olympio, le Père de l’indépendance… Il est étonnant que les personnes qui se réclament de ce père de l’indépendance, ne reconnaissent pas ce vent, même si les sirènes de la recherche des seuls intérêts personnels leur ont bouché les oreilles, même si les turbulences des calculs politiciens ont fait tellement de bruit qu’elles leur ont fait choisir un camp où les nombreux morts depuis plus de vingt-cinq ans ne les auraient guère imaginés. Ce sont certainement les miracles de la réconciliation qui nous ont amené jusque-là.
Les vents de l’histoire ont acquis une nouvelle force depuis août 2017, ces personnes ne semblent guère les entendre… Comment les aider ? Peut-être en leur rappelant et en montrant de nouveau aux Togolais, les images de certains d’entre eux (ils se reconnaîtront certainement), assidus à Lomé II, du temps où on allait dire bonjour à un autre Papa ?
Le vent soulevé par l’indignation pourrait peut-être les pousser à adopter une attitude qui aille dans le sens de l’histoire qu’écrit dans la douleur le peuple togolais ?
Vous êtes priés de les aider à moins qu’il ne s’agisse d’un cas de surdité dû au nombre des années.
•On ne trouve pas CENI ! Prière donner informations à ce sujet !
En principe les élections devraient être préparées et pilotées par un organe technique, ne se souciant guère que d’efficacité, et indépendant car ne partageant pas d’intérêts avec tel ou tel candidat, telle ou telle liste, tel ou tel parti politique. Dans un Etat de droit cet organe se trouve souvent au sein du ministère de l’intérieur, de l’administration territoriale.
Au sortir des systèmes de parti unique, il était difficile dans les pays africains de trouver un tel organe, qui pourrait empêcher le parti au pouvoir de tirer la couverture en prenant en otage l’administration. On a dû inventer la CENI (Commission Electorale Nationale Indépendante), ou CENA (Commission Electorale Nationale Autonome), etc.
Quelle que soit sa dénomination, cet organe doit jouer un rôle d’arbitrage, étant pour les citoyens la garantie que leurs désirs exprimés à travers les urnes seront correctement traduits dans les résultats des élections.
A propos de la CENI, les organisateurs de la conférence de presse du 24 octobre 2018 affirment :
Nous n’allons pas nous substituer à la Commission Electorale Nationale Indépendante, la CENI à qui revient le rôle et la responsabilité, en premier lieu d’informer et d’édifier la population, les acteurs politiques et tous ceux qui le souhaitent, concernant les détails du recensement électoral et de répondre aux questions et aux préoccupations éventuelles qui peuvent être soulevées.
Nous faisons confiance à cette déclaration. Cependant, il y a un petit problème. En effet, l’article 14 de la loi N°2012-002 portant code électoral en République Togolaise dispose que : « Les membres de la CENI, sont nommés par l’Assemblée Nationale. La liste nominative des membres de la CENI est publiée au Journal Officiel de la République Togolaise selon la procédure d’urgence. Les membres de la CENI prêtent serment devant la Cour constitutionnelle. »
Or, au 24 octobre 2018, lors de la conférence de presse, il n’existait aucune CENI dont tous les membres aient été désignés et nommés puisque aucun Journal officiel n’en fait mention.
Quel est le sens de la phrase de la conférence de presse, alors qu’il n’existe pas de CENI ?
Mais surtout quel nom donner à l’organe qui officie depuis quelques mois et continue de le faire malgré les protestations de tant de gens ? On l’appelle CENI pourtant.
Un cas flagrant d’usurpation d’identité ?
Pour trouver la vraie CENI, vous êtes priés de donner des informations à ceux qui ont la bonne volonté et la bonne foi de ne pas vouloir se substituer à la CENI. Une forte récompense est promise par le peuple togolais à la personne qui y arrivera !
•Membre de la société civile a perdu son identité. Prière l’aider de toute urgence !
Dans la déclaration liminaire de la conférence de presse du 24 octobre 2018, on peut lire :
Cette dernière (la C14) ne peut donc prétendre à une quelconque exclusivité et hégémonie par rapport aux autres partis politiques surtout dans le cadre des élections et des réformes qui intéressent l’ensemble des acteurs politiques et même la société civile et l’ensemble de la société togolaise.
Que signifie « et même la société civile et l’ensemble de la société togolaise » ? Que les élections intéressent d’abord les acteurs politiques et ensuite seulement les citoyens regroupés dans la Société civile ? C’est bien la première fois que les électeurs dont on veut briguer les suffrages sont ainsi minimisés! Cela voudrait-il dire qu’on veut faire des élections sans les électeurs ?
Revenons à la CENI et à son rôle d’arbitrage. Celui-ci est donc intimement lié à sa composition. Logiquement elle ne devrait pas être composée des membres des partis allant à la conquête du pouvoir mais au moins en majorité de ceux qui n’ont pas cette ambition : des personnes issues de la Société civile. Or, la CENI qui doit être mise en place au Togo en 2018 ne comporte que deux membres de la Société civile. Comment peut-elle défendre les intérêts des citoyens dans ce cas-là, face à 14 représentants des partis politiques? En plus elle semble être comptée comme membre de la délégation des partis, puisque cooptée par les partis.
En fait, elle représente une délégation à part entière pour rappeler aux partis les intérêts de citoyens. S’il est vrai que toute Société civile est plurielle, c’est la convergence des intérêts des citoyens qui la rassemble pour certains combats. Et aujourd’hui ce qui peut rassembler les citoyens togolais c’est le désir du bien-être pour tous et d’un mieux vivre ensemble : existerait-il un bien-être pour tous de la majorité et un autre de l’opposition, un mieux vivre ensemble de la majorité et un autre de l’opposition ?
Si on répond non, alors normalement le membre désigné par la majorité présidentielle ne devrait pas accepter de siéger puisque la moitié de la délégation de la société civile est absente ! Peut-être lui a-t-on fait croire qu’il existe une Société civile de la majorité et une Société civile de l’opposition ?
Peut-être un cas de perte de repères pour cause de désinformation et de manipulation ?
Vous êtes priés d’aider cette personne à retrouver son identité !
C’est extrêmement urgent !
2-OU EN PLEURER ? ON FAIT INSULTE AUX CAPACITES D’ANALYSE DES CITOYENS TOGOLAIS
Oui, on pourrait rire de la déclaration liminaire de la conférence de presse du 24 octobre 2018. En effet le ton qu’elle adopte, le style légaliste n’empêche pas de découvrir un travail fait dans une certaine précipitation, avec des failles laissant malgré tout apparaitre la mauvaise foi des rédacteurs.
Mais voilà, la gravité de la situation actuelle ne permet pas d’examiner cette dernière avec légèreté. En effet, alors que la majorité des Togolais supporte une vie quotidienne extrêmement pénible avec des difficultés pour se nourrir, se soigner, alors qu’une bonne partie de la jeunesse diplômée ou non est réduite au chômage durant de longues années, un semblant de processus électoral est enclenché, sans mise en place des mesures d’apaisement, avec une CENI inacceptable, organisant toute seule un recensement truffé de fraudes relevées au jour le jour. Cela fait présager, si rien n’est fait pour arrêter la dynamique actuelle, des élections dont les résultats seront contestés avec une répression violente. Cette violence est d’ailleurs déjà déployée avec, l’impossibilité pour les citoyens de certaines localités de s’exprimer, les agressions sanglantes perpétrées sur des personnes. Sommes-nous à l’état de nature où l’homme est un loup pour l’homme ou dans un Etat de droit dont on réclame cependant le label ? Où se trouve l’Etat dans ses missions régaliennes de sécurité, de justice et de protecteur des droits de l’homme ? Le Gouvernement doit-il toujours se réduire à un homme providentiel ? A-t-il oublié que les citoyens sont les fondements de l’Etat et constituent ainsi sa raison d’être ?
Pourquoi notre Gouvernement garde ses habitudes quant à ses moyens d’action : la terreur et la violence ; mais aussi la désinformation, telle qu’en témoigne cette conférence de presse ? D’ailleurs la désinformation aussi constitue une violence parce qu’elle consiste non seulement en un déni des capacités intellectuelles des citoyennes et des citoyens à qui on donne tout le temps de fausses informations, mais surtout en une récusation des choix éthiques de citoyens épris de liberté et de vérité, ayant droit à une information honnête et impartiale.
Faut-il que ce Gouvernement soit poussé à ce point dans ses derniers retranchements par la mobilisation citoyenne actuelle pour en arriver là ?
Maryse Adjo QUASHIE,
Membre des Forces Vives Espérance pour le Togo
Source : www.icilome.com