Depuis l’effritement de la Coalition des 14, Mme Brigitte Adjamagbo Johnson de la Convention de Démocratique des Peuples Africains (CDPA) ne rate aucune occasion pour inviter ses collègues de l’opposition à rejoindre leur rang. Dans une interview accordée au confrère « La Manchette » dans sa parution N°58 du 17 avril 2019, la Coordinatrice de la C14 relance son appel à l’unicité d’action de l’opposition togolaise pour un aboutissement pacifique de la lutte. « Divisés, nous sommes des proies isolées et fragiles devant les prédateurs de la démocratie au Togo. Mais ensemble et dans la plus grande sincérité, nous aurons l’alternance au plus tard en 2020 », a-t-elle déclaré. Dans la foulée, le Secrétaire générale de la CDPA est revenue sur la question épineuse des réformes tant espérés par la majorités des Togolais. Elle n’a pas passé sous silence les enjeux des prochaines échéances électorales. « Oui, l’alternance pacifique est possible en 2020 », a-t-elle rassuré. Lisez plutôt l’interview dans son intégralité !
Mme Brigitte Adjamagbo Johnson, bonjour ! La Coalition traverse une turbulence ; maintenant qu’elle est réduite à sept, a-t-elle encore une marge de manœuvre pour arracher au régime des réformes ?
Adjamagbo Johnson : Oui, quand on lutte, on a toujours une marge de manœuvre ; il suffit de s’en donner les moyens.
Pour revenir à votre question, permettez-moi d’insister que lors des deux journées de réflexion de la Coalition, nous avons retenu deux priorités, à savoir, la libération des otages politiques et les réformes. Nous avons posé un acte fort en rencontrant le chef de l’Etat pour lui demander de libérer les détenus politiques. Nous avons saisi l’occasion de ces discussions pour évoquer aussi la question des réformes. Nous lui avons expliqué que la mise en œuvre des réformes selon la feuille de route de la CEDEAO, ne doit pas être considérée comme un acte qui arrangerait la coalition, mais plutôt comme une manière de répondre aux aspirations des togolais qui réclament ces réformes depuis des années. La mise en œuvre de ces réformes contribuerait par conséquent à apaiser les tensions et consoliderait la nation.
Si par manque de volonté politique le chef de l’Etat refusait de respecter ses promesses de libération des détenus et de mise en œuvre des réformes au plus tôt par l’Assemblée Nationale, il nous reste la pression à laquelle nous n’avons jamais renoncé.
Mais, je l’avoue, la pression ne peut être efficace que si elle est exercée en synergie avec toutes les composantes des forces démocratiques, c’est-à-dire dans le cadre d’une action unitaire. Vous venez de comprendre que le défi des réformes est d’abord et surtout collectif, donc il nous concerne tous. Autrement dit, les sept partis restés ensemble après les deux jours de réflexions ne sauraient tous seuls réussir à arracher les réformes.
Pour moi, c’est clair, maintenant que nous avons fait toutes les expériences, maintenant que le peuple a démontré le 20 décembre 2018, l’impopularité de ce pouvoir, maintenant que les togolais sont édifiés que la communauté internationale ne lui sera d’aucun secours dans sa quête de l’alternance, nous sommes condamnés à taire nos querelles stériles pour ne prendre en compte que la volonté du peuple d’aller enfin vers l’alternance. Sous d’autres cieux cela a été possible, même après des expériences amères et douloureuses comme celles que nous vivons au Togo.
Au plus fort temps de la crise sociopolitique, la Coalition qui avait le vent en poupe, n’avait pas cherché à rencontrer le chef de l’Etat pour discuter vos revendications, pourquoi choisir le moment où vous êtes réduit à sept pour le faire ?
Adjamagbo Johnson : Je viens de le rappeler, la coalition a cherché, contre toute attente, à rencontrer le chef de l’Etat, pour demander la libération des dizaines de togolais qui croupissent dans les prisons et ceci, pour avoir manifesté. Quand on connait les conditions de détention dans les prisons au Togo, on est prêt à sauter ce pas. Je tiens à préciser que sur cette question des détenus, nous avons la certitude que les médiateurs ont fait tout ce qui est en leur pouvoir, mais en vain. Vu les conditions dans lesquelles vivent nos frères en attendant un hypothétique procès, on ne peut pas s’accrocher à des principes et croiser les bras en attendant que cela se fasse.
Si nous nous fions aux promesses du Chef de l’Etat, le premier magistrat du pays et suite à la séance de travail que la Coalition a eu avec le ministre de la justice, tous nos frères devraient recouvrer la liberté. Espérons que ce qui est dit, sera fait.
Au sein de la coalition, la crise est finie ? Les turbulences sont-elles du passé ?
Adjamagbo Johnson : Vous savez c’est dans l’urgence après l’appel du 19 août 2017 que nous nous sommes constitués en coalition. Nous avons réussi à rester ensemble durant cette phase de la lutte, malgré nos différences idéologiques et nos ambitions. Cela est une performance et c’est pourquoi le peuple nous a suivi et soutenu.
Dans l’étape actuelle de la lutte, dont le 20 décembre 2018 marque le début, c’est normal que des frustrations s’expriment ici et là. Un processus de clarification qui ne dit pas son nom est en cours et il sera suivi, je l’espère d’une réorganisation des forces démocratiques. Je prie tous les jours Dieu qu’elle ne dure pas trop, c’est-à-dire que nous nous ressaisissons pour achever notre lutte en faisant de l’alternance une réalité.
Que faire pour relancer la lutte ?
Adjamagbo Johnson : Pour relancer la lutte ? …
Togo debout qui représente une partie non négligeable de la société civile a tracé la voie : après avoir observé et relevé certaines dérives dans les actes posés par la Coalition, il a exigé une synergie d’actions des forces démocratiques.
Je découvre par ailleurs, sur les réseaux sociaux, ces jours-ci un appel à une marche patriotique de la jeunesse, le 24 avril 2019, pour exiger des forces vives une action unitaire : on peut trouver à dire sur la forme de l’initiative, mais cette prise de conscience par les jeunes de leur pouvoir d’influencer positivement les choses est à saluer et à encourager !
Entre nous, croyez-vous qu’il y ait une autre voie pour relancer la lutte que l’unicité d’action ? Moi je n’en connais pas et je n’ai cessé d’œuvrer dans ce sens, non pas parce que l’unicité d’action soit une fin en soi, mais parce qu’elle crée les conditions optimales pour mettre fin au régime qui nous opprime depuis plus de cinquante ans. Et cet objectif, aucun parti à lui seul ne peut l’atteindre. Aucun parti ne peut tout seul faire face aux défis de gouvernance post alternance !
Je demande à tout togolais, où qu’il soit individuellement ou collectivement, de prendre sur lui d’interpeller sans relâche tous les responsables politiques de l’opposition, afin qu’ils mettent entre parenthèse les cigles et les couleurs des partis politiques. Nous devons également interpeler les tenants du pouvoir pour leur expliquer que devenir opposant n’est pas la fin du monde, au contraire c’est une forme de régénérescence, quand on sait partir à temps.
Vous savez, nous sommes en face d’un régime qui s’entête à réprimer toute expression légitime de la volonté de changement des togolais. La répression sauvage des dernières manifestations du 13 avril en est une énième illustration. Le but visé est d’étouffer toute velléité de contestation afin de réduire au silence un peuple meurtri. Tous les moyens sont bons pour parvenir à cette fin. Avez-vous noté la dernière trouvaille ? Manipuler des autorités traditionnelles, pour les ériger en chefs de milices promettant l’enfer sur terre aux manifestants et allant jusqu’à qualifier d’étrangers, d’autres togolais vivant dans leur localité, et risquant ainsi de plonger la terre de nos aïeux dans des conflits ethniques et tribaux.
Face à cette situation, les forces démocratiques doivent mettre fin aux querelles stériles pour retrouver le chemin de l’unicité d’action. Divisés, nous sommes des proies isolées et fragiles devant les prédateurs de la démocratie. Mais ensemble et dans la plus grande sincérité, nous aurons l’alternance au plus tard en 2020.
Les élections locales tant attendues sont annoncées par le gouvernement ; à la coalition comment accueillez-vous cette nouvelle et comment envisagez aborder ces échéances ?
Adjamagbo Johnson : Beaucoup affirment, et ce n’est pas faux, que les élections organisées par une dictature ne pourraient pas être gagnée démocratiquement ! Mais ils doivent aussi reconnaître qu’il y a des exceptions qui ont confirmé la règle ; je n’en veux pour preuve que le cas de la Gambie. Certes, il faut admettre que la condition sine qua non pour y parvenir, est l’union sacrée des forces démocratiques tant sur le plan des candidatures que des tâches d’organisation pour le contrôle du scrutin et la vigilance avant, pendant et après le scrutin.
Pour la coalition, il faut se battre pour que les conditions de transparence soient réunies pour aller aux élections locales, pour trois raisons : d’abord ce prochain scrutin, après la démonstration du peuple le 20 décembre 2018, sera la confirmation de l’impopularité de ce système auprès de ce peuple qu’il martyrise depuis plus de 52 ans ; ensuite il sera une répétition générale du scénario en perspective de l’élection présidentielle de 2020 ; enfin et surtout, il sera pour ce peuple, l’occasion rêvée depuis plus de 36 ans, de commencer la pratique de la démocratie vraie à la base. Nul n’a la science infuse et nul ne peut prétendre que dans cette lutte complexe où entrent en jeux tant de paramètres difficilement maitrisables, il est difficile de dire qu’une position donnée permet à tous les coups d’atteindre les objectifs sur lesquels nous sommes tous d’accord. Je sais qu’au sein de la classe politique de l’opposition, il y a des acteurs qui sont d’un avis contraire. Mais n’est ce justement pas une raison pour se mettre autour d’une table pour en discuter et trouver une solution qui rassemble toutes les énergies des forces démocratiques et maximiser ainsi les chances du succès ?
Les élections locales, défendues et préparées ensemble par toutes les forces démocratiques seraient une des voies pour parvenir, sans la communauté internationale à l’alternance au plus tard en 2020.
Ces élections locales, le peuple les attendait et le régime les a toujours redoutées car il sait qu’elles imposeraient à tous la bonne gouvernance et qu’elles sonneraient fatalement le glas de la dictature. Les abandonner et laisser le pouvoir nous imposer des conseillers municipaux seraient une faute politique.
Au regard des résultats tangibles qu’ont obtenus les algériens et les soudanais dans leur lutte pour la démocratie et l’alternance, quelles sont les erreurs que vous pensez éviter demain pour achever cette longue lutte pour l’alternance ?
Adjamagbo Johnson : Des erreurs, hum ! Mais qui vous dit qu’en Algérie ou au Soudan, il n’y en avait pas eu ? Vous savez, on vous montre toujours des erreurs quand l’objectif que vous vous êtes fixé n’est pas atteint.
Pour ma part, la seule grande erreur congénitale qu’il faut impérativement éviter, c’est de ne jamais perdre de vue l’intérêt du peuple togolais. Et ceci est valable pour tous y compris les tenants du régime. A bon entendeur salut !
L’alternance en 2020, est-ce possible ?
Adjamagbo Johnson : Oui, l’alternance pacifique est possible ; sinon je renoncerais au combat que je mène depuis 30 ans même si je n’ai pris la tête d’un parti que depuis un peu plus de trois ans. C’est un défi que tous les togolais doivent relever !
Merci.
La Manchette N°58 du 17 avril 2019
Source : www.icilome.com