Migrants : Il est temps d’agir, selon Elom Attissogbé

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Selon certains analystes, les récents propos de Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, président ghanéen pour un partenariat gagnant-gagnant entre les Etats africains et leurs partenaires occidentaux marque le début d’une prise de conscience des dirigeants africains. Ceci remet aujourd’hui en question l’apport véritable de l’aide au développement et les débats vont bon train face aux défis de l’heure.  Elom Attissogbe, Directeur Exécutif de S.O.S. MIGRANTS, un think-tank qui œuvre pour l’emploi des jeunes, l’entrepreneuriat en Afrique et lutte également contre la migration clandestine, nous livre son point de vue.

Les récentes déclarations du président ghanéen, Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, dixit «Nous voulons que nos relations avec la France soient caractérisées par une hausse des échanges commerciaux et les investissements et non par les aides», continuent d’alimenter les débats. Marquent-elles le début d’une prise de conscience des dirigeants africains ?

L’aide au développement est une question qui revient sans cesse au cœur du débat. Au 21ème siècle, alors que le dynamisme des économies africaines est salué par de nombreuses institutions internationales avec des taux de croissance qui font pâlir d’envie, présentant l’Afrique comme le continent de l’avenir, on constate que l’aide au développement croît. Des pays africains sont sous perfusion internationale, et d’autres, carrément, ont un budget qui dépend de l’aide. Le budget de l’Union Africaine, l’institution continentale qui regroupe les Etats d’Afrique, dépend en grande partie des ressources financières des puissances occidentales depuis plusieurs années. Ce qui a fait prendre, fort heureusement, de nouvelles résolutions à l’Union Africaine lors du récent sommet des chefs d’Etat. Cela pose la question de la réelle souveraineté de nos Etats, puisque le budget est l’un des principaux éléments de souveraineté. Dans un autre registre, la structuration de l’aide au développement pose problème. Il y a quelque chose à voir de ce côté-là.

Mais alors que les attentes des populations sont énormes,  les Etats africains ont besoin de ressources additionnelles pour faire face à tous les défis actuels ?

Les populations africaines concernées par l’aide n’ont pas connaissance de sa répartition. Il leur est simplement dit que c’est pour lutter contre la pauvreté, moderniser l’agriculture, construire des infrastructures sanitaires ou scolaires ou encore lutter contre des maladies comme le paludisme, la tuberculose, etc., qui sont présentes sur le continent. Il n’en demeure pas moins que l’Afrique ne peut pas continuer à dépendre de l’aide des puissances occidentales, parce qu’elle a tout pour se développer. Des ressources minières, naturelles, une main d’œuvre que nous n’exploitons presque pas, un potentiel démographique énorme duquel elle peut tirer meilleure partie, des secteurs porteurs d’avenir, etc. Mais avec toutes ces richesses, le continent, par endroit, vit de l’aide au développement. C’est un paradoxe. L’aide n’est pas nécessairement l’unique moyen de développement. Mais tout se passe aujourd’hui en Afrique comme si, sans l’aide, nous n’existons pas. Et cela a ses conséquences. Tant que les Etats africains ne prendront pas en main leur développement, ils auront à subir les agendas des donateurs. La preuve, l’Afrique subit aujourd’hui des programmes et politiques qui ne sont pas les siens. Et c’est dommage.

Pensez-vous que l’Afrique a pris le tournant de son indépendance vis-vis des « partenaires » internationaux ?

Les relations bilatérales ou de bonne amitié qui existent entre les pays africains et l’Occident ne prendront pas un nouveau départ par un coup de baguette magique. Il y a un profond travail à faire. Les déclarations de bonne intention ne suffisent pas. Il faut des actes concrets. Malgré nos cinquante années d’indépendance, nous avons encore du chemin à faire ! Je le répète, l’Afrique a tout pour se développer. Des richesses, des têtes bien faites, des programmes et politiques ambitieux, etc. Mais c’est la bonne volonté qui manque. La corruption, le clientélisme, l’absence de vision de certains leaders, l’impunité, la faiblesse des institutions, etc., sont autant d’obstacles à son développement.

Si la gouvernance en Afrique était exemplaire et centrée sur l’investissement dans l’humain et le bien-être des populations, si tous les pays africains étaient des modèles de démocratie, si nous faisons moins le débat de nos constitutions à l’orée de nouvelles consultations électorales, nous écrirons les plus belles pages de notre histoire commune. Les crises à répétition avec son lot de conséquences obligent l’Afrique à rester sous assistance internationale permanente. Et là où il y a crise, il n’y a pas de croissance, parce qu’aucune activité économique n’évolue dans un environnement trouble. Dans ces conditions, l’Afrique est obligée de faire face à ses réalités.

Selon certains analystes cette déclaration du président ghanéen montre qu’il y a une émergence d’un nouveau leadership en Afrique…

Le président ghanéen Nana Akufo-Addo a une vision pour l’Afrique, comme d’autres chefs d’Etat sur le continent bien évidemment. Il est vrai que les présidents se suivent, mais ne se ressemblent pas, surtout au Ghana, un pays qui a une profonde culture démocratique. Le président Nana Akufo-Addo s’est lancé un défi à son élection. Celui de prouver aux Ghanéens qu’ils ont tort en ayant pas porté leur choix, plus tôt, sur sa personne pour diriger le pays. Dans ses actes, l’on sent qu’il a envie de faire quelque chose de mieux que ses prédécesseurs, de se faire un nom, de développer son pays, avec une méthode de gouvernance propre qu’il imprime. A ce titre, je partage l’avis de ceux qui pensent qu’il y a l’émergence d’un nouveau leadership en Afrique. Mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Dans un passé récent, des dirigeants africains se sont illustrés de fort belle manière à des tribunes lors des sommets et grands rendez-vous internationaux. L’Afrique a une nouvelle classe dirigeante qui émerge !

Vous faites partie de ces jeunes africains qui incarnent ce nouveau leadership depuis quelques années à travers votre think-tank SOS Migrants qui lutte contre l’immigration illégale. Lors du sommet UA-UE à Abidjan, les voix se sont levées contre ce qui se passe en Libye. Pensez-vous que ces appels peuvent contribuer à mettre fin à l’immigration illégale ?

Il faut encourager la migration légale. Les voies clandestines choisies aujourd’hui par des milliers de personnes pour migrer ne sont pas les meilleures. Il faut condamner la migration clandestine et encourager les décideurs à prendre des mesures dans le respect du droit reconnu à toute personne de s’installer sur le territoire de son choix, conformément à l’article 13 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Les barrières pour l’obtention du visa sont telles qu’il est difficile à un Africain de rêver un jour de l’Europe. Mêmes dans nos administrations, les agents de l’Etat ont souvent des difficultés pour avoir un visa dans le cadre d’une mission officielle à l’étranger. Alors qu’il est plus facile à un Européen de venir en Afrique. Il y a, là, un problème qu’il faudra nécessairement solutionner. Aujourd’hui, les nombreux appels à rester sur le continent ne sont pas suffisants. Ils paraissent inefficaces face à l’ampleur de la crise migratoire. Il faut agir. On a franchi le seuil de l’imaginable avec le reportage diffusé sur CNN récemment dans lequel des migrants sont vendus aux enchères comme esclaves en Libye. Il faut rappeler que le phénomène n’est pas nouveau. La société civile africaine, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) et d’autres associations intervenant dans la lutte contre la migration clandestine ont toujours tiré la sonnette d’alarme en insistant sur la réinvention de la traite négrière en Libye. Il a fallu ce reportage courageux d’un journaliste de CNN que je félicite au passage, pour que les gens se rendent compte que la dignité humaine est bafouée. Il faut aller au-delà du rapatriement des ressortissants africains en Libye. Certes, c’est une bonne chose, mais il faut faire mieux, notamment aider ces personnes. L’une des premières causes de la migration clandestine en Afrique, à part les crises, le changement climatique, la pauvreté, les guerres, c’est le sous-emploi. Il faut y faire véritablement face.

Quelles mesures concrètes préconisez-vous pour offrir à ces jeunes une alternative à l’aventure migratoire ?

L’accès des PME/PMI au financement en Afrique est un grand problème. Et cela brise les rêves de ces milliers de jeunes entrepreneurs qui ont de l’audace et de la volonté. Il faut faciliter davantage l’accès des jeunes aux micros crédits. C’est fondamental et indispensable au renforcement de la croissance économique en Afrique. Cela fera du bien au continent. L’inadéquation formation-emploi est aussi un facteur du chômage et du sous-emploi sur le continent. Actuellement en Afrique, 95% de jeunes étudient le droit, les sciences sociales et la gestion, 4% étudient l’ingénierie, la construction, les BTP, etc., et seulement 2%, l’agriculture, alors que cette dernière offre aujourd’hui de nombreuses et meilleures opportunités. Il faut encourager la formation professionnelle et les filières techniques et mettre en place des politiques scolaires et universitaires en phase avec le marché de l’emploi, avec un système d’orientation rigoureux des élèves et étudiants. Il est temps d’agir ! Il est temps de prendre des initiatives audacieuses et pleines d’avenir pour cette jeunesse africaine qui va mourir en mer. Nous devons tous agir pour tirer meilleur profit de notre dividende démographique. Il n’y a pas de moment plus propice que celui-ci pour donner à cette jeunesse la chance de nous prouver qu’elle a du potentiel et qu’elle a des idées à même de transformer notre continent. J’y crois fermement !

Source: africanewsagency.fr

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