«Revenant sur le coup d’état au Niger dont il ne nous revient pas ici de discuter de la pertinence ou non, et parlant des condamnations de part et d’autre du coup de force, nous estimons qu’il y a hypocrisie. Car, au lieu de s’attaquer aux causes de la fièvre, on cherche à casser le thermomètre qui indique une température alarmante. Les coups d’état, qui ne sont pas forcément la meilleure solution, ont toujours une ou plusieurs causes. Au Burkina-Faso, au Mali et aujourd’hui au Niger, c’est la mauvaise gouvernance avec toutes ses conséquences, doublée du terrorisme qui y sévit, avec en prime les difficultés pour sa gestion. Dans la plupart des pays africains, des élections passent mais les mêmes problèmes subsistent et s’aggravent. Des chefs d’état, supposés avoir été élus démocratiquement, ont souvent un entourage pas très recommandable qui s’adonne à la corruption et aux gabegies de toutes sortes. Cette mauvaise façon de gérer le pays en laissant le peuple dans la pauvreté suscite bien sûr des remous au sein des populations, et une armée habituée, comme au Sahel, à des mouvements d’humeur, peut avoir de telles idées radicales.»
Voilà ce que nous écrivions, il y a une semaine, sur les condamnations du coup d’état survenu au Niger et sur tous les autres coups de force en Afrique. Nous évoquions également l’hypocrisie liée à ces condamnations qui reviennent comme un refrain à chaque tentative ou à chaque coup de force réussi, comme s’il n’y avait pas de causes à l’irruption des militaires sur la scène politique ici et là sur le continent noir. « Il n’y a pas de fumée sans feu », dit-on. À voir aujourd’hui se comporter la CEDEAO qui a pris cette décision aussi stupide que surprenante de menacer les militaires putschistes à Niamey d’une intervention armée afin de les contraindre à remettre le pouvoir au président déchu, on aurait l’impression que toute la zone de l’Afrique occidentale était un paradis démocratique, et qu’aujourd’hui le Niger serait le seul cancre du groupe. Tout le monde sait que ce mirage paradisiaque des pays de la CEDEAO jouissant d’une vraie démocratie est faux, et qu’à quelques rares exceptions près, beaucoup de peuples de la sous-région ouest-africaine ploient sous le coup des dictatures.
Personne n’a oublié comment Alassani Ouattara est arrivé au pouvoir en Côte-d’Ivoire, et par quelle gymnastique il s’y maintient. Au Sénégal, les évènements qui s’y déroulent actuellement avec la persécution aux allures politiques de l’opposant Ousmane Sonko font craindre une possible résistance de Macky Sall pour quitter le pouvoir à la fin de son deuxième mandat régulier, bien qu’il ait promis de ne pas vouloir en briguer un troisième. Ce qui pourrait augurer pour ce pays habitué à la démocratie des lendemains incertains. Au Togo, nous avons la même famille au pouvoir depuis presque 60 ans. Le père Éyadéma meurt en 2005, et par un tour de passe-passe meurtrier et sanglant, Faure, son fils est installé au pouvoir comme si on était dans une monarchie. Depuis 18 ans Faure Gnassingbé se maintient à force de coups d’états éléctoraux et constitutionnels; le tout sur fond de massacres des populations togolaises et de violations diverses des droits humains. Plusieurs dizaines de prisonniers politiques croupissent depuis plusieurs années dans des conditions lamentables. Beaucoup d’entre eux n’eurent pas beaucoup de chance; ils avaient dû quitter leurs cellules les pieds devant et enterrés par leurs parents sans autre forme de procès. De multiples appels de la part d’organisations nationales, comme internationales des droits de l’homme, pour leur libération, sont jusqu’à présents tombés dans les oreilles de sourds côté pouvoir togolais. Même des appels et des jugements de la cour de justice de notre fameuse CEDEAO sont restés sans effet.
Les Togolais ont encore en mémoire le dernier hold-up électoral de février 2020. Le candidat malheureux, Agbéyomé Kodjo, lésé dans ses droits, et qui avait voulu protester, dut partir en exil avec son mentor Monseigneur Philipe Fanoko Kpodzro, un prélat de presque 95 ans. Des personnalités, pas des moindres, comme Akila-Esso Boko, Olivier Amah, Salifou Tikpi Atchadam et d’autres encore, vivent également les affres de l’exil politique loin de leur pays. Dans la nuit du 3 au 4 mai 2020, quelques heures après la prestation de serment de Faure Gnassingbé suite à sa hypothétique victoire au scrutin présidentiel de février de la même année, le Colonel Toussaint Bitala Madjoulba, Commandant du Bataillon d’Intervention Rapide (BIR) depuis 2014, est assassiné dans ses bureaux à l’intérieur d’un camp militaire. Voilà le tableau noir des violations des droits de l’homme au Togo sous le régime de Faure Gnassingbé. Malgré tous ces crimes qui, dans un pays normal, le disqualifieraient pour être le premier responsable, il parcourt l’Afrique en compagnie de son ministre des Affaires Étrangères, pour vendre son régime comme démocratique, aimant et prônant la paix. Le Togo était présent à Abuja pour prendre des sanctions et menacer les militaires nigériens d’intervention militaire de la CEDEAO. Qui se moque de qui? Le monde est-il désormais à l’envers?
Quelles réunions la CEDEAO a-t-elle déjà tenues pour se pencher par exemple sur la situation togolaise? Sur les hold-ups électoraux, constitutionnels et autres? Quelles démarches la CEDEAO a-t-elle déjà entreprises pour contraindre le président de fait du Togo, Faure Gnassingbé, à libérer tous les prisonniers politiques et à faire rentrer au pays en toute sécurité tous les réfugiés politiques? Qu’a fait la CEDEAO pour contraindre Faure Gnassingbé à cesser la persécution de ses opposants politiques, et à chercher avec lui et son gouvernement une issue pacifique à la crise politique permanente, et arriver à une alternance politique sans accrocs? Voilà quelques-unes des questions et des préoccupations sur lesquelles les citoyens des pays d’Afrique et surtout de la CEDEAO attendent que les chefs d’état de l’organisation sous-régionale soient plus actifs, au Togo ou ailleurs, où la bonne gouvernance est mise à mal, pour prévenir le pire. Les coups d’état, et aujourd’hui le coup d’état au Niger, ont des causes. Et ces causes semblent être plus pernicieuses au Togo et ailleurs dans l’espace CEDEAO. Pourquoi alors s’en prendre à un pays souverain qui est à la recherche des solutions à ses problèmes? Non seulement une intervention militaire de l’organisation sous-régionale au Niger signifierait un chaos total dans toute la région, mais elle créerait surtout un précédent très dangereux. La CEDEAO fut-elle créée pour semer le chaos dans sa zone d’influence, ou pour prôner la paix et la stabilité?
Ce qui frappe à l’oeil de tout observateur, c’est que la position incompréhensible des chefs d’états de la CEDEAO vis-à-vis du Niger ressemble curieusement et comme par hasard à la position française. Les autorités françaises, pour leurs intérêts impérialistes, ne veulent pas entendre de cette oreille qu’il y ait changement de régime politique au Niger. Et nous avons l’impression que nos présidents au sein de la CEDEAO sont entrain de faire le travail pour la France qui ne veut pas se salir les mains; et pour faire plaisir à ce pays situé à des milliers de kilomètres en Europe, les dirigeants de l’Afrique de l’ouest sont prêts à faire mal à l’un de leurs frères, en allant faire verser du sang pour remettre en selle le président déchu qui a la faveur des Français. Rappelons que le Nigeria, le géant de l’Afrique de l’ouest, n’a pas hésité à cesser la livraison du courant électrique au Niger. Cherche-t-on à obliger les miltaires putschistes à lâcher du lest, ou à sanctionner les populations nigériennes?
Les gesticulations des premières autorités politiques en France pour s’indigner du coup d’état au Niger et chercher à influencer en leur faveur la suite des évènements dans ce pays du Sahel, étonnent plus d’un. Le Niger et l’Afrique ne sont-ils pas indépendants depuis au moins un demi-siècle? N’est-il pas temps que la France pense enfin à s’occuper de ses propres oignons, comme le fait par exemple, l’Allemagne, en laissant les pays africains, surtout francophones, tranquilles pour choisir librement leurs dirigeants? Les dirigeants africains et surtout de la CEDEAO ne devraient-ils pas se faire respecter plus qu’ils ne le font actuellement? Et surtout, ne devraient-ils pas apprendre à parler d’une voix quand il s’agit de l’indépendance et de la dignité de l’Afrique, au lieu de se précipiter à sanctionner un pays frère déjà en crise? Nous croyons que c’est à ce prix que les pays d’Afrique francophone de tout le continent pourraient un jour se libérer définitivement et totalement de la France.
Samari Tchadjobo
Allemagne
Source : 27Avril.com