Memorandum de la Compagnie Culturelle « la Colombe » relatif à la suspension d’une partie de ses activités au Togo

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« Acteur culturel » engagé dans le processus de développement culturel et artistique du Togo et de l’Afrique depuis sa création en 1997, la compagnie culturelle « la Colombe » plus connue sous le nom de 3C suspend provisoirement une partie de ses activités au Togo, à savoir l’exploitation de la Maison des Artistes et le festival « Les Veilles Théâtrales de Baguida ».

En effet, par cette décision, la compagnie proteste avec vigueur contre la scabreuse gestion qui est faite du Fonds d’Aide à la Culture, adossée à l’incompétence notoire des gestionnaires ainsi qu’à la politique clientéliste aux relents politiques et partisans de cette institution qui est censée à la base soutenir la culture et les arts au Togo, quels que soient les bords politiques, mais qui dans la réalité, est devenue un outil de censure et de répression d’une catégorie d’artistes, et de promotion d’une autre catégorie, bref un outil d’exclusion qui rappelle d’autres exclusions (ethniques, professionnelles, sociales, religieuses, financières…), en cours dans notre pays.

Conscient de la déconfiture programmée des arts qu’est en train de provoquer la gestion éhontée et irresponsable de ce fonds, la Compagnie Culturelle la « Colombe » , joint sa voix à d’autres voix, en l’occurrence celle du charismatique artiste de théâtre Alfa Ramsès, pour se désolidariser d’un fonds public qui par le fait de sa définition même et de ses gouvernants, creuse années après années, le tombeau de nos arts et de notre culture par une politique de saupoudrage et de promotion de médiocrités jamais égalées.

En effet, si la création et la diffusion théâtrales ont constitué pendant près de 20 ans ses principales missions, notre compagnie s’est lancée depuis 2015 dans une courageuse et ambitieuse entreprise de structuration et d’actions culturelles au profit du plus grand nombre de nos concitoyens. Cette entreprise a pu être constatée sur le terrain à travers un festival dénommé « Les Veilles Théâtrales de Baguida » et la Maison des Artistes, infrastructure d’accueil en résidence d’artistes de toutes disciplines pour des travaux de recherche et de création.

Si l’ambition première du festival était de créer un moment focal de convivialité où artistes togolais et du monde se rencontrent et échangent tout en communiant avec les publics, la Maison des Artistes quant à elle, se voulait un outil permanent servant de moteur à la vitalité artistique locale et régionale où des artistes du Togo et du monde viennent confronter, questionner, expérimenter et projeter leur art dans la société. À noter que la formation des artistes de la scène ne s’est jamais tenue à distance de tels projets grâce à un formidable partenariat avec l’école du Studio Théâtre d’Art de Lomé.

Ainsi, pendant trois ans, avec le concours de nos partenaires, nous avons mené des projets divers à une certaine hauteur de nos ambitions, donnant parfois l’impression à certains de rouler sur de l’or. A cet égard, nous tenons à remercier tous nos amis et nos partenaires aussi bien du Togo que de l’extérieur. Nous sommes par exemple particulièrement heureux d’avoir pu organiser deux éditions du festival des Vieilles Théâtrales de Baguida qui ont assuré une visibilité et un rayonnement au Togo ainsi qu’à ses artistes, ouvrant la voie à des collaborations un peu partout dans le monde. Heureux d’avoir accueilli en trois ans une vingtaine d’artistes togolais et étrangers en résidence ou en mission d’enseignement à la Maison des Artistes, d’avoir formé une dizaine d’artistes de la scène et renforcé les capacités d’une autre quinzaine. Par-delà la modestie qui nous caractérise, nous pouvons constater que très peu de structures, y compris celles avec des moyens de l’Etat, peuvent afficher un tel bilan qui malgré tout, reste en deçà des ambitions que nous nourrissons pour le Togo.

Un soutien de l’Etat pourtant sollicité avec le plus grand professionnalisme en faveur de la 2ème édition des Veilles Théâtrales de Baguida en juillet 2017 nous aurait pu permettre d’amortir les coûts de nos activités, d’éviter l’asphyxie et d’espérer avancer en attendant de sérieuses réformes de l’ensemble de nos institutions dont découle, nous l’oublions trop souvent, le Fonds d’Aide à la Culture, mais ce soutien financier tant espéré nous a été refusé sans aucune justification. Que nos amis qui nous demandent de postuler à nouveau comprennent que c’est moins le refus essuyé que la gestion hasardeuse et l’instrumentalisation de cette institution abonnée aux « feux de paille » qui est à la base de notre décision. Nous sommes fatigués de jouer perpétuellement les médecins d’une culture continuellement renvoyée au brancard par ceux qui sont payés pour en prendre soin et nous affirmons fort et haut qu’aucune activité humaine aussi volontariste soit-elle ne peut prospérer dans un pays sans justice sociale, l’indépendance des institutions et la recherche de l’excellence. Nous appelons donc aux réformes sans délai non seulement du Fonds d’Aide à la Culture mais également de la plupart des institutions de l’Etat togolais comme le recommandait raisonnablement déjà en 2006 l’Accord Politique Global signé entre le parti au pouvoir et les partis de l’opposition.

En attendant que ces réformes viennent et que nous en tirions les conséquences, la Compagnie Culturelle « la Colombe » rassure le public et l’ensemble de ses partenaires que malgré cette suspension, elle continuera d’œuvrer inlassablement pour créer et proposer des spectacles de qualité aux populations quels que soient leurs bords, et ceci, en vertu des lois qui garantissent encore heureusement la liberté de création dans notre pays et qu’il nous faudra continuellement surveiller et protéger comme l’ensemble des lois relatives à la liberté d’expression et aux droits humains.

Vive le Togo libre pour que vivent sa culture et ses arts.

Fait à Lomé, le 31 juillet 2018

Signé Rodrigue Yao NORMAN,
Directeur de la Compagnie Culturelle « la Colombe »

Source : www.icilome.com