Les leaders du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) accordent leurs violons sur l’hypothèse selon laquelle : le salut de la lutte pour une alternance politique au Togo réside seulement dans l’unicité d’action de l’opposition. Dans la déclaration liminaire sanctionnant la conférence de presse tenue ce mercredi matin au siège du parti à Lomé, Me Yawovi Agboyigbo et ses collaborateurs sont revenus sur les motifs ayant conduit à la suspension de la participation du CAR aux activités de la Coalition. Ils ont soulevé quelques erreurs commises par la C14 dans son orientation politique et dans sa gestion, et formulé des propositions pour sa rénovation. Lecture !
PROPOSITION DE RENOVATION DE LA C14
La présente proposition est une contribution aux réflexions en cours sur la manière de sortir des dissensions qui minent l’opposition et qui ont des répercutions incontestables sur la grave crise que traverse le pays. Elle est précédée d’un exposé de motifs en douze points : 1. 2. 3. – Apport de la C14 au processus de démocratisation du Togo – 4. Constat d’échec de l’apport – 5. 6. Causes de l’échec – 7. 8. 9. 10. Contours des deux branches de la divergence fondamentale au sein de la C14 – 11. Les leçons à en tirer – 12. La problématique du devenir de la C14 et la suite de la suspension de la participation du CAR à ses travaux.
L’EXPOSE DES MOTIFS
1. Les manifestions publiques initiées par le Parti National Panafricain (PNP) et amplifiées à partir de septembre 2017 par la C14, s’inscrivent dans la droite ligne du processus démocratique que les togolais ont enclenché par les soulèvements populaires du 5 octobre 1990 et du 16 mars 1991.
2. Le processus ainsi amorcé dans les années 90 avait été accueilli avec satisfaction par les populations et a même bénéficié à ses débuts de l’adhésion du régime en raison de la méthode appliquée et de l’enthousiasme suscité dans les différentes régions du pays par les résultats obtenus. Il s’est heurté à partir de juillet 1991, à de multiples résistances, au point de finir par s’enliser dans des élections sans issue à répétition, sur fond de verrouillage des institutions chargées de réguler la gouvernance des ressources nationales, des droits humains, des libertés publiques, des consultations électorales, de la séparation des pouvoirs et de l’Etat de droit.
3. Le pays continuait à s’enfoncer dans ce système de concentration de tous les pouvoirs d’Etat dans une seule main, quand Tikpi Atchadam a surgi en août 2017 avec un message qui eut dans le pays et au sein de la diaspora, un écho qui a rallié tous les principaux partis d’opposition à la création de la C14. Il s’en est suivi partout de mobilisations de Togolais en de gigantesques marches.
4. Le résultat de cette étape historique de la lutte pour la démocratisation du Togo s’est malheureusement révélé décevant. Des délégués de partis membres de la C14, réunis les 20 et 21 février 2019 en journées de réflexion, ont, à l’unanimité fait le triste et courageux constat que « la coalition n’a atteint aucun des objectifs qu’elle s’est fixés dans sa plateforme revendicative ».
5. Les délégués ont estimé dans le relevé des conclusions de la rencontre, que l’échec constaté est dû, entre autres causes : à l’insuffisance d’organisation et de mobilisation des populations ; au défaut d’homogénéité des orientations politiques des partis membres de la Coalition ; au fait, par la C14, d’avoir suspendu les marches à la demande des facilitateurs, sans s’assurer qu’elle serait en mesure de les faire reprendre avec la même ampleur, au cas où la tentative de médiation n’aurait pas abouti ; au refus de servir de faire-valoir à une parodie d’élection.
6. Pour le CAR, il aurait été utile que les délégués focalisent plus leur analyse sur la source réelle de l’échec. Il n’est en effet un mystère pour personne, qu’aux tournants électoraux décisifs que le Togo a connus depuis le début de son processus démocratique, les partis d’opposition se sont divisés sur le choix à opérer entre deux orientations stratégiques pour venir à bout du blocage de l’alternance.
Il s’est agi chaque fois, face aux pratiques antidémocratiques du pouvoir, de savoir :
– si par l’enclenchement d’une insurrection populaire, on engage les militants et sympathisants de l’opposition dans un processus visant à dégager les tenants du pouvoir par la rue, quitte à boycotter les élections organisées par le régime ?
– ou s’inscrire dans une dynamique démocratique consistant à recourir aux pressions populaires avec pour objectif d’amener le régime à concéder, dans le cadre de négociations avec l’opposition, les réformes politiques nécessaires à la suppression des obstacles à l’alternance par la voie des urnes ?
Depuis la création de la Coalition en septembre 2017, les premiers responsables des partis membres n’ont pas eu entre eux de débat sur les deux orientations stratégiques ci-dessus rappelées pour dégager sur l’une d’entre elle, un consensus, ou à défaut une majorité, qui permette à chaque parti de choisir de continuer ou non à faire partie du groupe.
Certains membres de la C14 sont convaincus que c’est en privilégiant la première branche de l’alternative, que la Coalition a boycotté les élections législatives du 20 décembre 2018, et que si elle avait choisi la seconde, elle aurait entrepris à temps la préparation de ces législatives pour les gagner et en faire une victoire d’étape du scrutin présidentiel de 2020.
7. Le CAR, en ce qui le concerne, n’a cessé de défendre depuis 1991 la deuxième option stratégique comme étant celle conforme aux principes démocratiques. Et, c’est dans cette logique qu’après l’élection présidentielle unilatérale de 1993, il s’est battu avec le soutien de la communauté internationale, pour faire ouvrir entre le régime et l’opposition, des discussions sur les garanties du bon déroulement des législatives annoncées pour février 1994.
C’est grâce aux réformes institutionnelles obtenues, que l’opposition a remporté la victoire à ce scrutin. L’expérience réalisée à l’époque en passant outre le boycott prôné par une partie de l’opposition pour participer, dans les conditions rappelées, au scrutin de 1994, a conforté le CAR dans l’idée que le couplage des pressions avec le dialogue et les élections, est la voie la plus indiquée pour parvenir à l’alternance, pourvu que l’option soit ferme et appliquée de façon méthodique.
8. Le CAR sait qu’au sein de la C14, tous les partis ne partagent pas son choix et que certains laissent entendre par moments qu’il faut exploiter les pressions populaires autrement que par le dialogue et les élections pour mettre fin au système. Ils ne cachent pas leur option pour la poursuite des pressions populaires enclenchées jusqu’à ce que la question du sort du pouvoir en place, soit tranchée dans la rue et par la rue. La solution suppose, bien entendu, que l’échec du combat démocratique a atteint le seuil du désespoir.
9. Tout en accordant une place de premier ordre aux pressions populaires dans son programme d’action, le CAR doute en revanche de la rationalité de leur exploitation à des fins de règlement de la question du pouvoir dans la rue. La stratégie en question repose, en effet, sur « le présupposé du plus fort ». Or « le complexe du plus fort », est une arme à double tranchant qui peut se retourner contre ceux qui tentent d’y recourir dans l’ignorance des moyens de riposte de l’adversaire, alors que dans un processus de dialogue, l’organisation, le déroulement, et l’issue des négociations, « nécessitent des décisions prises consensuellement par les parties prenantes « . Ce qui importe dans cette logique basée sur « le principe du consensus » et non sur « le complexe du plus fort par désespoir », , c’est qu’avant l’enclenchement des pressions populaires, les composantes de l’opposition s’accordent sur toutes les mesures institutionnelles et politiques qu’elle juge indispensables à la levée des obstacles qui empêchent l’alternance par la voie des urnes, de sorte qu’elle puisse être soudée dans leur défense en cas d’appel à un dialogue.
10. Il convient de faire observer, à propos des défis par effet d’égos que, pour peu que l’opposition s’y prête, le régime ne manque pas d’en tirer prétexte pour prendre toutes sortes de dispositions pour renforcer son hégémonie et affaiblir d’autant la lutte pour l’alternance.
11. Il est temps que nous tirions leçons des méthodes pratiquées pour :
(i) chercher à mettre fin au système politique en place par des stratégies autres que les défis sans lendemain et autres pratiques populistes qui, à l’épreuve des réalités, se dévoilent en « illusion du plus fort » ;
(ii) bâtir un Togo prospère pour le bonheur des togolais de tous bords dans l’Unité, la Vérité et la Liberté, ainsi que dans le respect du prochain et des autres valeurs définies par des textes consensuels pour servir de piliers à l’édification de notre pays, telles qu’elles ont été constamment prônées par les confessions religieuses et rappelées avec pertinence par l’organisation « Espérance pour le Togo », lors de son Forum des 15 et 16 mars 2019.
12. S’agissant de la problématique du devenir de la C14 et de la suspension de la participation du CAR aux travaux de la Coalition, les réponses sont liées.
La C14 correspond, de par l’esprit et les circonstances qui ont présidé à sa création, au modèle de structure de mobilisation dont notre peuple a besoin pour réaliser son aspiration à l’alternance démocratique, quand bien même il est apparu que des erreurs ont été commises dans son orientation politique et dans sa gestion. C’est pour cela qu’il est impérieux de prendre en compte les erreurs en question pour procéder à la rénovation de la C14 de façon à en préserver l’esprit.
C’est dans cette optique que le CAR formule la proposition dont la teneur suit :
LE CONTENU DE LA PROPOSITION
Le CAR propose :
(a) que les principes d’Unité nationale, de Vérité, de Liberté ainsi que les autres valeurs énoncées dans l’exposé des motifs soient érigées en valeurs cardinales pour la réorganisation et la rénovation de l’orientation stratégique de la Coalition ;
(b) que la réorganisation de la Coalition soit conçue de manière à en faire une structure souple propice à une coopération horizontale entre les partis membres pour l’atteinte des objectifs du groupe ;
(c) que les partis membres de la Coalition se fixent une orientation politique caractérisée par le recours aux pressions couplées avec le dialogue, en vue d’amener le régime à concéder aux réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales nécessaires à la suppression des obstacles à l’alternance par voie démocratique ;
(d) que les réformes et leur exécution se fassent conformément au « principe de consensus » prescrit par l’Accord Politique Global à des fins de promotion de l’Unité nationale ;
(e) que la conclusion des alliances pour les élections locales en vue, passe par deux phases :
– la première doit consister à ouvrir des discussions bilatérales entre les partis membres de la Coalition, pour les concessions qu’ils sont disposés à s’accorder ;
– la deuxième sera une plénière au cours de laquelle les partis membres auront à confirmer les concessions accordées et à en dresser un procès-verbal de synthèse à signer par tous.
(f) que la même procédure à deux niveaux soit appliquée à l’élection présidentielle de 2020, avec la particularité que chaque parti membre jouisse, dans le cadre d’un scrutin à deux tours à rétablir, de la liberté d’avoir un candidat de son choix au premier tour, et s’engage à apporter son soutien au candidat d’un parti allié qui viendrait à être retenu pour le second tour.
(g) que la rénovation à opérer s’accompagne d’un réaménagement de la dénomination de la Coalition et d’un renforcement de ses liens de coopération avec les organisations de la société civile.
Fait à Lomé, le 16 avril 2019
Pour le CAR,
Le Président National,
Me Yawovi AGBOYIBO
Source : www.icilome.com