Désigné parmi les 100 personnalités les plus influentes en Afrique en 2016, Me Paul Dodji Apévon fait partie des leaders politiques de l’opposition qui n’ont pas la langue dans la poche.
Député à l’Assemblée Nationale et Président des Forces Démocratiques pour la République (FDR), Mr Apévon dans cet entretien exclusif accordé à la rédaction du bihebdomadaire Lé Correcteur, est revenu, sans langue de bois, sur les principaux sujets de l’actualité socio politique au Togo. Réformes, répression des manifestants, débauchage des militants pour la recomposition des délégations spéciales, l’OTR, libération des détenus de Mango, grève des enseignants, Me Apévon a passé au peigne fin l’actualité. Lisez plutôt !
Le Correcteur : Comment avez-vous accueilli votre désignation parmi les 100 personnalités en Afrique en 2016 par le Magazine New African ?
Me Dodji Apévon : C’est avec surprise que j’ai appris que dans son numéro 567 de décembre 2016, le Magazine NewAfrican fondé en 1966, après avoir désigné le Président John Magufuli de la Tanzanie comme l’Africain de l’année, m’a classé parmi les cent autres personnalités africaines qu’il a sélectionnées. J’ai accueilli cette nouvelle avec beaucoup d’humilité en me disant que c’est l’œuvre de Dieu. Bien que ladite nouvelle soit réjouissante et encourageante pour ce que nous avons entrepris, je n’en ferai pas un sujet de fierté débordante pour oublier l’essentiel car le plus dur est devant nous. En effet, l’appel que j’avais lancé à toute l’opposition à la naissance des Forces Démocratiques pour la République (F. D. R.), c’est de travailler ensemble, dans la crainte de Dieu et dans l’honnêteté, pour se reconstituer et changer le rapport de force en sa défaveur aujourd’hui, en tenant compte de nos erreurs, de nos rivalités égoïstes et de tous nos actes manqués, afin de recréer l’espoir d’une alternance au Togo. Ma prière de tous les jours est que cet appel soit entendu et ce sera la seule récompense que je recherche vraiment.
Les F.D.R sont portées sur les fonts baptismaux le 26 novembre 2016. Après trois mois d’activités, quel bilan pouvez-vous tirer aujourd’hui ?
Après le congrès constitutif de novembre 2016, le Conseil de Direction a programmé comme activités prioritaires l’implantation du parti sur toute l’étendue du territoire national. A cet effet, des délégations du Conseil de Direction, organe décisionnaire des F.D.R., sillonnent depuis deux mois les cantons des différentes préfectures pour mettre en place les structures de base du parti en commençant d’abord par les bureaux de zones qui vont se réunir plus tard pour élire les bureaux des fédérations. Ce travail titanesque va bon train. Bientôt le Bureau National entreprendra une tournée nationale pour l’installation des bureaux fédéraux.
L’enthousiasme que manifestent les populations pour le parti permet à l’équipe chargée des adhésions de faire un travail remarquable en délivrant des cartes de membres déjà à un très grand nombre d’adhérents. Le même travail d’implantation se déroule dans le Grand Lomé où des militants volontaires et engagés sont en permanence sur le terrain. Cette fièvre a aussi gagné la diaspora où des bureaux de zones ont commencé à être installés dans certaines villes, ce qui va conduire bientôt à la mise en place des bureaux fédéraux dans les pays d’Europe.
Parallèlement à ces actions de terrain, plusieurs responsables du parti sont souvent sur les médias pour expliquer la vision des F.D.R à nos compatriotes.
Par ailleurs, comme notre appel pour l’unité d’action de l’opposition n’est pas un vain mot, un simple calcul politicien, nous n’avons pas hésité à nous mettre ensemble avec cinq autres partis politiques pour constituer ce qui est appelé aujourd’hui le Groupe des 6 qui se donne pour objectif principal la mise en œuvre des réformes et de la décentralisation. Un document de plaidoyer est élaboré à cet effet par le Groupe qui a entrepris depuis lors des démarches pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé. C’est dans ce cadre qu’il a déjà rencontré les ambassadeurs de l’Union Européenne et des États-Unis, la Conférence des Évêques du Togo, le CAP 2015, un premier groupe de prêtres vaudou, des pasteurs et prend des contacts pour rencontrer très prochainement les chefs traditionnels, les organisations de la société civile, les syndicats, les populations.
Vous êtes l’avocat des personnes arrêtées et détenues dans l’affaire des manifestations des populations de l’Oti en 2015 contre le projet de réhabilitation de la faune. Les quatre qui restaient encore en détention viennent d’être libérées à la suite du procès, après avoir passé plus de 15 mois en prison. Quels sont vos sentiments ?
Je suis soulagé et heureux de les voir sortir de prison pour retrouver leurs familles. Le défenseur des droits de l’homme que je suis ne peut que se réjouir si des personnes arbitrairement emprisonnées retrouvent leur liberté. Il s’agit d’une situation d’injustice qui vient de prendre fin. La justice leur reproche d’avoir, au nom d’une association, organisé des manifestations qui ont dégénéré et au cours desquelles il y a eu mort d’homme. Je déplore vivement les violences qui ont malheureusement entraîné ces morts. Tout cela aurait pu être évité si le gouvernement avait eu plus de respect pour les populations de Mango. Par ailleurs, en dehors du Commissaire divisionnaire qui a succombé par le fait des manifestants, la mort des sept autres personnes provient des forces de sécurité à la suite des répressions disproportionnées contre les manifestations pacifiques. La justice s’est acharnée contre ces personnes dont le seul et unique tort a été d’avoir pris les devants d’un mouvement spontané de populations à qui l’Etat veut arracher les terres sous le prétexte de réhabiliter des aires protégées. Il est inadmissible que la justice s’acharne contre ces personnes, alors que les éléments des forces de l’ordre et des militaires qui ont sauvagement tué sept personnes ne sont nullement inquiétés. Pourquoi cette politique de deux poids, deux mesures ?
Enfin, je suis heureux d’avoir été l’avocat de ces personnes à la demande de l’Association pour le Développement de l’Oti (AdéOti). Et lorsque cette association m’a confié cette cause noble, je n’ai pas hésité à le faire. Certes, cela m’a pris du temps. Mais honnêtement, je pense que cela valait la peine, parce que ces personnes défendaient une cause juste, celle d’une population qui a décidé, en toute lucidité, de s’opposer à un projet qui menace sa survie et son existence. J’espère que le gouvernement a compris la leçon et va procéder autrement à l’avenir.
Lomé a été secouée la semaine passée par une manifestation spontanée des populations contre la nouvelle hausse des prix des produits pétroliers. Comprenez-vous cette réaction et la riposte des forces de l’ordre ?
Avant toute chose, je voudrais m’incliner devant la mémoire de feu Alabi Nadjinoudine lâchement abattu par balle parce qu’il a simplement voulu user de son droit constitutionnel de manifester son mécontentement contre une décision impopulaire et inique. J’adresse ensuite mes profondes et sincères condoléances à sa famille. Que ses parents sachent qu’il est mort pour une cause noble. Qu’il plaise à Allah Tout-Puissant de l’accueillir dans son royaume. Je souhaite également une prompte guérison aux personnes blessées du fait de la répression barbare de la manifestation.
Ceci dit, la réaction de colère des populations contre cette nouvelle hausse du prix du carburant, la deuxième en un (01) mois, est tout à fait légitime. C’est la réaction normale d’un peuple que le pouvoir en place ne cesse d’acculer à la misère d’année en année par des décisions impopulaires, iniques et assassines. Personne ne peut accuser le peuple togolais d’avoir manifesté son indignation contre une décision qui, de toute évidence, entraînera l’érosion de son pouvoir d’achat et la dégradation de ses conditions de vie déjà lamentables. Le peuple est souverain et il l’a montré.
Par contre, je condamne avec force, la répression brutale et barbare qui s’est abattue sur les populations dont le seul tort a été de dire à haute voix qu’elles ne sont pas d’accord avec une décision du gouvernement. Il est inadmissible que pour maintenir l’ordre au cours d’une manifestation pacifique, on fasse usage de balles réelles contre des populations civiles aux mains nues. Le gouvernement cherche ainsi à dissuader par la force toutes les manifestations. Mais c’est là où il se trompe car aucune répression, aussi sauvage soit-elle n’arrive à étouffer définitivement les aspirations profondes d’un peuple.
Quelle suite doit-on donner à la mort du compatriote Alabi Nadjinoudine ?
Il est temps que l’impunité cesse d’être la règle dans notre pays. Pour ce faire, nous demandons que l’élément des forces de sécurité et de défense qui a tiré sur lui soit arrêté et jugé conformément à la loi. Ensuite, une enquête doit être menée pour non seulement savoir qui a donné l’ordre de tirer, mais aussi et surtout comprendre pourquoi des militaires ont été envoyés pour maintenir l’ordre avec des fusils chargés de balles réelles. En tout état de cause, les auteurs de ces crimes seront punis tôt ou tard.
Quels enseignements peut-on tirer de cette situation ?
Pour nous, il y a trois enseignements principaux à tirer de cette situation liée à la nouvelle hausse du prix des produits pétroliers. Le premier, c’est que le pouvoir en place n’est nullement préoccupé par la souffrance et la misère galopantes de nos populations. Chaque fois que ce régime aura besoin de mobiliser les ressources pour faire face à sa mauvaise gouvernance, il le ferait au détriment de ce que peut ressentir le peuple. L’amélioration des conditions de vie de nos populations est le dernier des soucis du pouvoir en place. Le deuxième enseignement qui est la conséquence du premier, est que le régime RPT-UNIR est décidé à imposer sa volonté aux Togolais. C’est ce qu’il a voulu montrer par la répression brutale et barbare d’une simple manifestation de colère. D’ailleurs, nous savons tous que ce pouvoir se maintient depuis des décennies par la force. Le troisième et dernier enseignement que l’on puisse tirer de cette situation, c’est que les populations ne sont plus désormais prêtes à regarder en victimes résignées le gouvernement leur imposer des mesures qui dégradent de jour en jour leurs conditions de vie. La réaction spontanée de nos compatriotes contre cette nouvelle hausse du prix des produits pétroliers est une parfaite illustration que les Togolais sont encore disposés à lutter contre ce régime pour obtenir plus de justice et d’équité dans notre pays. C’est un démenti cinglant à ceux qui pensent que le peuple Togolais est fatigué et n’est plus disposé à se mobiliser pour ses intérêts.
Les enseignants sont toujours en grève et les élèves dans la rue. A quand la fin de ce feuilleton ?
C’est le gouvernement qui est à la manœuvre et c’est seulement lui qui peut dire quand prendra fin ce mauvais feuilleton. Ce que je peux dire, c’est que les revendications des enseignants sont légitimes et qu’elles ne datent pas d’aujourd’hui. Malheureusement, au lieu de trouver des solutions adéquates au problème posé, le gouvernement joue au dilatoire. Pis, le gouvernement, au lieu de jouer à l’apaisement, ne cesse de poser des actes qui radicalisent les enseignants. Le gouvernement doit se garder de tout acte de provocation. Il doit proposer des solutions acceptables au corps enseignant, qui doit être doté, à mon avis d’un statut particulier.
Que pensez-vous du départ de Henri Gapéri de l’OTR ?
L’arrivée de ce monsieur à la tête de l’OTR et la procédure même de la mise en place de cet office ont été décriées par la grande majorité des Togolais. Mais l’ancien ministre Ayassor a foncé droit dans le mur en montrant une fois de plus que l’avis des Togolais ne compte pas pour ceux qui nous gouvernent. Aujourd’hui, tout le monde se rend compte que ces décisions hâtives constituent une véritable catastrophe économique pour le Togo. Ce qui est le plus surprenant, c’est que ce limogeage intervient quelques semaines, après que l’OTR a déclaré avoir atteint 99% de ses objectifs pour l’année 2016. Monsieur Gapéri a été recruté sur contrat de performance pour quatre ans. Si vraiment, il avait des résultats satisfaisants, le gouvernement aurait attendu la fin dudit contrat et le lui aurait même renouvelé pour sa performance. Cela prouve qu’il y a mensonge quelque part.
Pourquoi refusez-vous que vos militants fassent partie des délégations spéciales en recomposition ?
Nous nous battons depuis des années pour que la décentralisation, consacrée par notre constitution, se mette en place par la tenue des élections locales afin de doter nos communes et préfectures de conseillers élus par les populations à qui ils doivent rendre compte. C’est le pouvoir en place qui s’y est toujours opposé en nommant à la tête de ces communes et préfectures des délégations spéciales dont tous les membres sont des militants du RPT-UNIR. Grâce aux pressions exercées par l’opposition, la société civile et les partenaires en développement sur le pouvoir, ce dernier a finalement annoncé que les élections locales vont se tenir dans un an. C’est en ce moment qu’il nous demande de partager des délégations spéciales avec lui. C’est une façon de nous rendre complices de son refus d’organiser les locales en violation de la constitution. Nous ne pouvons en aucun cas cautionner une telle attitude. Nous allons continuer de nous battre pour que se tiennent les locales en vue de permettre aux populations de désigner elles-mêmes ceux et celles qui doivent gérer nos communes et préfectures.
Avez-vous la garantie que les réformes se feront un jour au Togo ?
Les réformes ont été préconisées par l’APG, la CVJR et récemment confirmées par l’atelier du HCRRUN. Nos partenaires en développement aussi convient la classe politique à opérer les réformes. Elles sont donc, qu’on le veuille ou pas, un passage obligé si nous aimons notre pays et voulons créer les conditions propices de son développement. Nous devons faire ces réformes pour décrisper la situation politique délétère de notre pays. Ne pas le faire, c’est de nous exposer tous à un lendemain incertain. Les FDR et cinq autres partis politiques, constituant le Groupe des six (06), ont rendu public à cet effet, un document de plaidoyer dans lequel ils proposent la démarche à adopter pour opérer les réformes constitutionnelles et institutionnelles. Nous espérons que notre démarche va aboutir.
Mais si le pouvoir s’entête à refuser de faire ces réformes, nous prendrons toutes les dispositions à le contraindre cette fois à le faire.
Quelle suite donner à la rencontre du Groupe des six avec le CAP 2015 ?
La rencontre du Groupe des six avec le CAP 2015 se situe dans le cadre d’une série de contacts que nous voulons avoir avec des acteurs socio-politiques pour harmoniser nos positions et stratégies pour rendre possible la réalisation des réformes.
Votre message aux autorités togolaises et au peuple Togolais
Il revient à tous les Togolais, principalement aux acteurs politiques, de décider de l’avenir de notre pays. Le refus d’opérer les réformes constitue une dangereuse hypothèque sur l’avenir du Togo. Nous devons en prendre conscience et poser les actes qu’il faut pour épargner à notre pays des situations désastreuses qu’ont connues d’autres pays en Afrique.
J’exhorte donc, le pouvoir à comprendre enfin, que seul le peuple est souverain et qu’on ne peut indéfiniment le diriger contre sa volonté.
Enfin, je demande au peuple togolais d’avoir foi en l’avenir mais surtout de savoir que le pouvoir lui appartient et que s’il décide que les choses changent dans le bon sens dans le pays, elles changeront. Si les Burkinabè et les Gambiens ont pu venir à bout de leurs dictatures respectives, le peuple togolais aussi, avec la détermination et la foi en Dieu, peut mettre fin au système actuel.
Entretien réalisé par Honoré Adontui
Source : Le Correcteur numero 749 du 06 mars 2017
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