Mali: l’excision, un business lucratif… pour les féticheurs aussi

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« À partir de dix ans, j’ai commencé à me rendre compte que je n’étais pas comme les autres filles de mon âge. J’avais dû mal à uriner normalement, contrairement aux autres ». La voix basse, la tête légèrement baissée et bavarde des pieds, Nafissa a aujourd’hui 20 ans. Elle avait à peine 40 jours en ce mois de mai 1997 quand sa mère l’a prise dans ses bras pour l’amener chez l’exciseuse du quartier, à Bamako. Comme ses huit autres sœurs avant elle. Et surtout « comme l’exige la tradition », lui a-t-on raconté plus tard.

Toute petite à l’époque, elle n’a pas de souvenir conscient de la douleur. « Mais à la moindre égratignure, je me dis que c’est sûrement pire que cela », affirme-t-elle, le regard fuyant. De la douleur, elle en a pourtant senti en grandissant. Surtout à partir de l’âge de dix ans. « Les lèvres étaient collées et je ne pouvais pas uriner. Ou quand j’y arrivais, l’urine se partageait en deux et je me tordais de douleur », raconte Nafissa.

Elle en souffre plusieurs semaines. Sa mère pense-t-elle l’emmener à l’hôpital ? Elle décidera plutôt de se rendre chez une autre exciseuse pour lui « rouvrir les lèvres » et qu’elle « puisse avoir l’urine facile ». En clair, il faut à nouveau de la terre battue, une lame ou un couteau trempé d’abord dans l’eau puis rougi au feu pour inciser la cicatrice vieille de dix ans. Le tout, bien sûr, sans anesthésie.

« Ils choisissent un coin isolé. Pour moi, c’était dans les toilettes. On m’a couché sur le dos, au sol. Elles ont écarté mes jambes… » Quelques secondes de silence, très longues, puis elle ajoute : « Il y avait une femme qui tenait mes pieds. Elle les serrait très fort au sol. Et une autre attrapait mes bras avec la même force », explique Nafissa, aujourd’hui étudiante en première année de sciences économiques. Elle poursuit : « Je criais, pleurais et je me débattais de toutes mes forces. » Face à ses cris de détresse et avant même qu’on ne la touche, sa mère, présente, change d’avis et exige qu’on libère sa fille. « J’ai eu de la chance », affirme-t-elle du bout des lèvres.

Consommer le mariage avant que la cicatrice ne se referme

De la chance, Nafissa en a effectivement eue, selon Mariam Seck. Membre de l’association « Sini Sanuman » [Un lendemain meilleur, NDLR] qui lutte contre l’excision depuis 2002, cette diplômée en sciences de l’éducation connaît bien les mutilations génitales et les moindres recoins de Bamako où elles sont pratiquées. « J’ai déjà vu des cas pareils. Et très souvent, c’est au lendemain du mariage qu’on ramène la fille chez l’exciseuse pour la désinfubilation. On s’empresse ensuite de dire au mari de vite consommer le mariage avant que le sang coagule encore [que la cicatrice se referme, NDLR]. Vous comprenez la douleur que la jeune fille peut sentir ? »

Comme Nafissa, plus de 60 % des filles sont excisées à l’âge de moins d’un an au Mali. Ce chiffre frôle les 90% quand on l’élargit à celles qui subissent la pratique avant leur dixième anniversaire. À Bamako, la pratique est quotidienne. Un lundi matin, à Banconi, quartier populaire à la rive gauche de Bamako, un groupe de jeunes filles et de garçons est devant une boutique, à écouter une radio. Dans le brouhaha de la circulation routière, chacun tend l’oreille pour entendre les mots de Chouala Baya Haïdara, un jeune prêcheur bamakois, sur l’excision.

« Quelqu’un a déjà vu une personne tuée par l’excision ? Personne ! », vocifère le jeune prêcheur sur les ondes, la voix énergique. « Il a raison. Ça ne tue personne. Je l’ai été, j’avais mal, mais je n’en suis pas morte. Et voilà, j’ai la certitude de pouvoir maitriser mes désirs », affirme dans l’assistance une jeune fille d’une vingtaine d’années.

Des propos qui mettent Mariam Seck hors d’elle-même : « Mais on l’expose plutôt, car bientôt elle va chercher désespérément le désir sexuel qu’elle devrait avoir avec ses organes au complet. » Maimouna Dioncounda Dembélé, spécialiste dans la prévention des violences basées sur le genre confirme : « J’ai fait une étude pour un journal suisse où on a effectivement découvert que la plupart de ces femmes ont beaucoup de mal à retrouver leur plaisir sexuel normal. » Désespérées, certaines d’entre elles vont jusqu’à consommer des produits aphrodisiaques, selon Maimouna.

« Pour les adultes, ça coûte 10. 000 FCFA »

Pour comprendre la persistance du phénomène, la force de la tradition n’est pas le seul facteur à prendre en compte. Il faut dire qu’une réelle économie de l’excision s’est développée. Dans le quartier populaire de Banconi à Bamako, Oumou Ly est bien connue. Exciseuse de son état depuis au moins cinq ans, elle n’excise que les bébés. Comme ses sœurs, cette femme d’environ la quarantaine tient la pratique de sa mère qui l’a reçue elle aussi de sa mère… Oumou ne travaille que les lundi et jeudi, deux jours où les accidents sont censés être peu fréquents, selon la croyance populaire. Elle n’a pas souhaité nous parler, mais Mariam Seck la connaît très bien pour l’avoir sensibilisée à de nombreuses reprises afin qu’elle abandonne sa « profession ».

Elle l’a notamment « retrouvée à son domicile les mains trempées de sang » à plusieurs reprises. « Elle peut exciser une quarantaine de fillettes chaque lundi et autant le jeudi d’après », affirme Mariam. Un nombre de « clients » suffisant pour qu’elle gagne entre 200 et 300 000 FCFA par semaine, soit quatre à cinq fois le smig du pays. Des informations confirmées par une ancienne exciseuse : « Vous pouvez gagner beaucoup d’argent. Pour les adultes, ça coûte 10 000 FCFA par personne. »

À 62 ans, cette femme a arrêté la pratique après qu’une de ses clientes a failli mourir d’une hémorragie. Elle n’a pas « le courage » de nous raconter ce qui s’est passé, mais elle « a eu la peur de sa vie. » Une expérience qui n’étonne pas ce membre l’association Sini Sanuman, qui a préféré garder l’anonymat : « De nombreux cas de décès nous ont été rapportés. Quand les victimes commencent à perdre du sang, en général les exciseuses préfèrent les garder plutôt que de les amener en urgence dans un centre de santé, par peur. »

Que deviennent les organes mutilés ?

« Si les arguments religieux et traditionnels sont souvent évoqués pour continuer à mutiler les jeunes filles dans le pays, l’aspect financier de cette pratique est aussi très important », estime Siaka Traoré, président de l’ONG Sini Sanuman. Pendant les séances de sensibilisation, elles sont des dizaines à déclarer abandonner l’excision. Mais une fois les regards détournés, elles reprennent la lame. « Quand je le faisais, je pouvais sentir la douleur que les filles ressentaient, mais pour moi c’était nécessaire non seulement par croyance, mais aussi pour vivre. C’est un travail », explique notre ancienne exciseuse.

Un « travail » qui ne s’arrête pas seulement à l’ablation des organes féminins. « Je ne l’ai jamais fait, mais je sais que ceux-ci sont donnés à des charlatans pour leurs travaux », poursuit-elle, précisant qu’elle se contentait « de les enterrer. » Avant d’ajouter que certains organes, notamment le clitoris, « sont séchés et mélangés à des poudres ou des pommades. »

« L’organe est commercialisé partout. Les marabouts, tout le monde s’approvisionne. On dit par exemple que si une femme et son mari sont en désaccord, il faut travailler sur ces organes là pour les réconcilier », renchérit Siaka Traoré, révolté. Il y a aussi les hommes qui recherchent du pouvoir et à qui l’on a fait croire que de mettre des lubrifiants composés de ces organes les rendra aimés et désirés par tous. »

Au sein des militants de la lutte contre l’excision, il ne fait aucun doute : l’utilisation des organes féminins par les charlatans est même « un des éléments majeurs qui rend difficile l’abandon de l’excision. Avant, on égorgeait les êtres humains pour les fétiches, aujourd’hui on récupère le sang des jeunes-filles pour les mêmes fétiches », commente Siaka Traoré, dont la mère est elle-même une ancienne exciseuse.

Un avant projet de loi sur la table du gouvernement

Au Mali, les médecins et les agents de santé n’ont pas le droit de pratiquer l’excision, mais aucune loi ne l’interdit formellement. Et en 2016, quand le ministre de la Justice s’est engagé à prendre une loi sur le sujet avant le 31 décembre 2017, il a suscité une vague d’indignation dans les milieux religieux, notamment au sein du Haut conseil islamique.

Va-t-il avoir le courage de tenir parole ? Depuis le mois de juillet, un avant-projet de loi sur les violences basées sur le genre est enfin sur la table du gouvernement. Ses défenseurs espèrent que le texte « ne va pas être excisé et amputé des points les plus importants. » Nafissa, elle aussi, est au courant de cette initiative et espère que le texte sera bientôt voté. Soignée aujourd’hui par Sini Sanuman, elle connaît les conséquences de l’excision. « Il y a notamment la stérilité et ça me fait peur, relève-t-elle. J’y pense souvent et à chaque fois ça me donne envie de pleurer. »

Source : www.cameroonweb.com