Abdelaziz Bouteflika a quitté le pouvoir depuis ce mardi, sous les pressions diverses, après plusieurs semaines de résistance, pavant ainsi la voie à l’alternance à la tête de l’Algérie. Au-delà de la détermination populaire dans son ensemble, cette issue heureuse est à mettre à l’actif de l’armée algérienne qui a su prendre le meilleur parti, celui du peuple. Ce qui n’est pas commun sur le continent africain où les armées, faiseurs de pouvoir, se sont toujours illustrées en cautions pour la vie des dirigeants en place et les suivent jusqu’au péril. Et ce n’est pas le Togo qui démentirait…
Grâce à l’armée algérienne
Depuis le mardi 2 avril, Abdelaziz Bouteflika n’est plus le Président de la République en Algérie. Il a rendu sa démission, ouvrant ainsi la voie à un intérim devant conduire à l’élection d’un nouveau Président dans trois mois environ. Pour le peuple, c’est une victoire d’étape et il ne baisse pas la garde. Les populations restent mobilisées pour conclure la lutte. Cette issue heureuse, est à mettre à l’actif de l’armée algérienne qui a su jouer la bonne partition. C’est rare en Afrique pour être souligné. Le peuple algérien est resté certes mobilisé, depuis que Bouteflika a poussé l’outrecuidance jusqu’à présenter sa candidature à un 5e mandat au pouvoir malgré son état tétraplégique. Cette pression est montée au fil des jours et ce sont toutes les couches sociales et professionnelles qui se senties concernées. Mais l’élément fondamental aura été l’armée.
Sa partition responsable avait déjà débuté avec son comportement à l’égard des manifestants. Alors qu’on s’attendait à une répression farouche, l’armée a été plutôt conciliante avec eux, trouvant plus que légitime la cause du peuple qui réclamait la non candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un 5e mandat au pouvoir. Le Chef d’Etat major, par ailleurs Vice-ministre de la Défense, le Général Gaïd Salah, a fait une déclaration forte dans ce sens devant des étudiants. Mais l’acte majeur surviendra le 26 mars 2019 lorsque ce fidèle de Bouteflika requit le lancement de la procédure constitutionnelle pour déclarer son mentor inapte à continuer à présider aux destinées du pays, sur la base de l’article 102 de la Constitution applicable quand le président de la République « pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l’impossibilité totale d’exercer ses fonctions » ou en cas de démission.
Le coup de l’assommoir est intervenu le mardi 2 avril, lorsque l’armée est revenue à la charge pour désavouer le communiqué dilatoire attribué à la Présidence de la République la veille dans lequel Abdelaziz s’engageait vaguement à quitter le pouvoir avant la fin officielle de son mandat le 28 avril, texte qui à ses yeux émanait « d’entités non constitutionnelles et non habilitées ». « Notre décision est claire et irrévocable. Nous soutiendrons le peuple jusqu’à ce que ses revendications soient entièrement et totalement satisfaites. (…) Il est temps qu’il recouvre ses droits constitutionnels légitimes et sa pleine souveraineté », a affirmé l’armée, qui exigea la mise en application des articles 7, 8 et 102.
Tout s’est précipité à partir de cet instant. Quelques minutes seulement après cette sortie de l’armée, un communiqué de la Présidence de la République est tombé annonçant la démission officielle d’Abdelaziz Bouteflika. « Je quitte la scène politique sans tristesse ni peur pour l’avenir de notre pays », explique le président démissionnaire dans sa lettre d’adieu, exhortant les Algériens « à demeurer unis » et demandant par ailleurs « pardon » au peuple tout entier pour ses actes. La page Bouteflika était ainsi tournée.
Une telle armée, on ne peut que la magnifier, même si elle a commis des erreurs ou des crimes contre le peuple de par le passé. Une armée qui prend le parti du peuple, dans une dictature sur le continent africain, c’est assez rare pour être souligné.
L’armée d’ici
Il y a déjà eu un précédent avec l’armée burkinabé qui, au cours de la révolution au pays des hommes intègres, a eu un comportement assez républicain, en refusant de suivre Blaise Compaoré dans sa voie suicidaire. Le cas algérien est le second d’ampleur et d’actualité. Les Togolais ne peuvent que pâlir d’envie devant cette partition honorable de l’armée algérienne. Car ici au 228, l’armée est le socle même du régime en place qui dure depuis un demi-siècle et s’illustre comme un rempart contre la démocratie et l’alternance. Elle est bâtie par et pour les Gnassingbé. C’est un rêve de la voir prendre le parti du peuple togolais contre l’incarnation du pouvoir. Ici, le peuple n’a jamais raison quelle que soit la cause défendue. La soldatesque n’hésite pas à massacrer les populations civiles pour protéger les intérêts d’un seul individu. Les illustrations sont légion, mais on en retiendra deux majeures.
Après la mort brutale d’Eyadema le 5 février 2005, bien que la succession soit prévue par la Constitution, l’armée mit les pieds dans le plat pour imposer Faure Gnassingbé. Non satisfaite d’avoir été désavouée par les pressions populaires et internationales, elle reviendra à la charge au lendemain de l’élection présidentielle pour terminer ce qu’elle avait commencé, dans le but d’assurer la succession monarchique : massacrer les populations civiles aux mains nues. Des troupes étaient convoyées depuis le nord du pays vers les villes du sud pour exécuter le plan. Même l’alerte lancée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Boko n’avait pas découragé sa mise en œuvre. Un bon millier de Togolais furent trucidés afin de paver la voie à la montée au pouvoir du fils.
Ce que le peuple algérien vient d’obtenir grâce à l’armée, les Togolais l’ont aussi réclamé depuis la nuit des temps, mais particulièrement depuis août 2017. Ils étaient descendus dans les rues à travers des manifestations gigantesques, sans doute plus que les Algériens. Durant de longs mois, ils ont réclamé le départ de Faure Gnassingbé du pouvoir – parce qu’il aura déjà bouclé les deux mandats constitutionnels acceptés en démocratie et que sa gouvernance ne leur sert pas -, le retour à la Constitution de 1992 qui trace les sillons de l’alternance, le droit de vote pour les compatriotes de la diaspora, les réformes constitutionnelles et institutionnelles, entre autres. Mais c’est l’armée qui a été envoyée à leurs trousses, et elle a accompli la besogne avec un plaisir fou. Ce sont une bonne trentaine de Togolais, dont des enfants, qui ont été tués par des tirs, parfois à bout portant…
Avec l’armée togolaise, le citoyen n’a jamais raison contre le régime en place et son « champion ». Même si c’est pour une cause légitime et commune devant profiter à tous, y compris les corps habillés eux-mêmes et leurs familles, la soldatesque mate avec plaisir toute contestation. L’armée algérienne et surtout ses dignitaires, bien que nommés par Bouteflika et devant lui être redevables pour la vie, ont pris leurs responsabilités et privilégié les intérêts du peuple, plutôt que ceux d’un individu. Mais c’est rêver en plein midi que d’attendre une telle hauteur d’esprit de la soldatesque togolaise…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2895 du 05 Avril 2019
27Avril.com