Nous sommes bien le 9 décembre 2020. Toujours pas de résultat officiel des élections parlementaires et de la présidentielle au Ghana. Voilà que la tension électorale s’est transformée en violence postélectorale. C’est la conséquence de cette promesse irresponsable de la Commission électorale du Ghana de donner les résultats fiables et définitifs en 24 heures, et avec l’aide de Dieu.
Parlons de l’institution électorale, pour ne rien personnaliser, même si cette erreur magistrale de la promesse rapide des résultats a été faite par la présidente, l’avocate Jean Adukwei Mensa nommée en 2018 par le président Nana Akufo-Addo. Voilà ce à quoi peut tourner les trompettes et les trumperies de l’incompétence : non pas seulement au ridicule, mais à des violences enfouies dans l’humaine condition.
« Allah n’est pas obligé », titrait Ahmadou Kourouma dans son roman prophétique sur les conséquences violentes de la bêtise humaine. Du geste d’apparence anodin de retrouver sa tante, le jeune orphelin Brehima se retrouve en mauvaise compagnie dans le pays voisin comme enfant-soldat. La présence de tous les farceurs, tout le long de cet itinéraire romanesque, fait le reste de l’histoire dramatique. Le grigriman surtout, lui le multiplicateur de billets de banque dont l’ambition de vie est de faire fortune pour épater ses anciens camarades et le monde entier au passage : devenir riche et célèbre, faire le beau et être reconnu partout où il passerait.
Allah n’est pas obligé de contenter tous les incompétents. Le Bon Dieu n’est pas obligé d’exaucer tous les vœux des inaptitudes, incapacités, insuffisances et autres impossibilités cachées sous certaines invocations répétitives de son seul nom. Le bon Dieu ne peut aider à corriger une incompétence aussi criarde de réunir les fameuses copies roses des procès-verbaux d’une élection centralisée, physique, manuelle, non électronique, sur un territoire aussi vaste et morcelé que les quatre anciens territoires, les 16 régions administratives, et les 275 districts qui forment la jeune démocratie du Ghana.
Aucun grigriman, aucune grigriwoman, à la tête de la Commission électorale du Ghana, et voulant devenir célèbre ne peut accomplir le miracle de publier l’ensemble des données électorales fiables en l’espace de 24 heures. Même les États-Unis et les grandes puissances de référence ne le font pas, et s’accordent des délais importants avant la publication des résultats officiels.
Une radio, une chaîne de télévision, des médias sérieux et suffisamment outillés peuvent valablement prévoir des résultats d’élections le jour même dans la soirée électorale, à la fermeture des bureaux de vote. L’outil mathématique permet de faire de telle projection à partir d’un ensemble de données valides ainsi que leur analyse appropriée. Il est ainsi de tradition, en France, qu’à vingt heures, à la fermeture des bureaux de vote sur l’essentiel des territoires français, que le gagnant de la présidentielle –facilitée par le second tour entre seulement deux prétendants-, soit donné par les médias.
Commission Électorale Grigri
Confondre le rôle des médias et la mission de l’institution indépendante sérieuse qui organise les élections dans un pays comme le Ghana procède de l’irresponsabilité : déjà cinq morts selon les sources policières ghanéennes. Au Togo, dans la bananeraie togolaise, cela peut se comprendre que, 24 heures après la fermeture officielle des bureaux de vote, l’on vienne lire des résultats préalablement fabriqués par le pouvoir. Ce fut le cas au lendemain de la présidentielle du 22 février 2020, sans qu’aucune preuve ne soit donnée à qui que ce soit jusqu’à ce jour.
Lire des résultats électoraux sans fournir de preuve, c’est maladivement togolais et ce n’est point la norme ailleurs. Un pouvoir togolais qui n’a jamais gagné d’élection ne s’embarrasse pas de ces détails de sincérité, de fiabilité, de traçabilité et d’intégrité des résultats électoraux. Constitution, connais pas! « N’est-ce pas? » disait l’autre d’ailleurs.
Le président de la CENI au Togo n’a pas à faire preuve d’un quelconque devoir de compétence; mais seulement d’une obligation d’allégeance inconditionnelle, voire clanique ou familiale à démontrer vis-à-vis de son créateur princier qu’est Faure Gnassingbé. C’est tout, et ça s’arrête là au Togo.
Au Ghana, pays d’alternance démocratique régulière depuis l’intrépide regretté Jerry John Rawlings, depuis 1992, l’incompétence électorale n’est plus de mise… Jusqu’à cette terrible année de 2020 où l’insoutenable légèreté du paraître et de l’avoir a pris le pas sur l’être, sa mystification, sa menterie, sa contrevérité, son artifice. L’incompétence est une irresponsabilité. Accepter de jouer un rôle pour lequel l’on n’est pas préparé relève effectivement de l’aveuglement volontaire.
Ce jour même de 9 décembre, en 1990, Lech Walesa était choisi président de la Pologne dans un balayage électoral extraordinaire. L’histoire retient de Lech Walesa qu’il fut un grand leader syndicaliste, charismatique et très inspiré, plutôt qu’un grand président pour la Pologne. Dans le syndicalisme où il avait œuvré, la majeure partie de sa vie, son grigri avait mieux fonctionné : il marchait sur les eaux tumultueuses de la Pologne jusqu’à y anéantir le communisme. Comme président, l’habit lui était taillé trop grand… Il n’y était pas préparé… Il n’avait pas cette compétence-là…
L’incompétence est une insuffisance, une inaptitude, une impréparation, une inexpérience, une ignorance, un « manque de connaissance cumulé à une incapacité à apprendre rapidement », une absence d’éthique, de rigueur et d’exigence à soi pour refuser une fonction dans laquelle l’on ne peut que desservir et décevoir. La violence et la confusion électorale semée au Ghana sont le fruit de l’incompétence et du fait des seuls humains aveuglés par leur facilité à tout remettre à la volonté divine.
Oui… À l’incompétence, Dieu n’est tenu, et aucun grigri multiplicateur de miracles électoraux d’ailleurs.
Pierre S. Adjété
Québec, Canada
9 décembre 2020
Source : 27Avril.com