Libre tribune / L’universitaire Maryse Quashie appelle les peuples africains à la solidarité

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Prof Maryse Quashie

Pour ce membre-fondateur du mouvement des Forces vives – Espérance pour le Togo, la plupart des pays africains sont confrontés aux mêmes difficultés en ce qui concerne la marche vers la démocratie et l’Etat de droit. A la base d’une analyse comparative de l’actualité sociopolitique de quelques pays, Maryse Quashie démontre que le salut se trouve dans la solidarité entre les peuples africains.

La solidarité entre les peuples africains, rempart contre le jeu des intérêts financiers

Douala, Cameroun, 28 janvier 2019, Paul BIYA fait arrêter Maurice KAMTO et certains membres de son parti. Plusieurs centaines de personnes manifestent spontanément ; elles sont dispersées par les forces de l’ordre… Quelques semaines avant, Félix TSHISEKEDI, est imposé au peuple congolais. Des protestations s’élèvent çà et là… Progressivement FAYULU qui aurait gagné les élections, commence à être isolé, car certains prennent acte de la proclamation de la victoire de TSHISEKEDI, alors qu’au sein même de la conférence des évêques du Congo (CENCO) qui a annoncé la victoire de FAYULU chiffres à l’appui, des voix discordantes commencent à se faire entendre…

Au Gabon, pendant ce temps, Ali BONGO est malade hors de son pays depuis plusieurs mois, et on assiste à un événement qu’on ne saurait qualifier, une tentative ou une parodie de coup d’Etat ? Le statu quo est remis en place malgré les protestations de l’opposition qui s’égosille en vain depuis plusieurs semaines… En Guinée, Alpha CONDE écrase toute velléité de contestation de son action dans une sévère répression, tout en prétendant jouer un rôle d’arbitre au Togo où le peuple ploie sous le joug d’une dictature familiale depuis une cinquantaine d’années… Et que dire du Congo de SASSOU N’GUESSO, de la Guinée Equatoriale de Teodoro OBIANG N’GUEMA, du Tchad d’Idriss DEBY, de la République Centrafricaine dirigée de fait par des milices armées…

A qui tout cela profite-t-il ? A ceux qui sont au pouvoir, bien sûr, mais aussi et surtout aux tenants des gros intérêts financiers liés au pétrole, à l’uranium et à la bauxite, au cuivre, au coltan et aux bois précieux, au phosphate, au cacao et au café, aux diamants, toutes richesses dont l’Afrique regorge, pour son malheur, dirions-nous, car, au temps colonial, toutes ces richesses ont été repérées et même potentiellement partagées lors de la Conférence de Berlin (1885), et plus de soixante années après les indépendances, on ne recule devant rien pour préserver cette situation. Cela est d’autant plus facile que l’OUA, dès sa création, s’est engouffrée dans le piège en déclarant l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. Les puissances occidentales n’ont donc pas eu grand-chose à faire pour sauvegarder leurs intérêts sur le territoire de leurs anciennes colonies. Et quand ces richesses sont dans deux pays différents, une petite guerre entre les deux pays permet de les occuper, et de vendre quelques armes, pendant que les ressources minières et autres continuent à être exploitées. La situation ne change pas trop même si de nouveaux appétits se font jour avec les Etats-Unis dans la région des Grands Lacs, ou la Chine ailleurs sur le continent. Et que recèle le nouvel intérêt des Européens pour la question du franc CFA ?

En tous les cas, pour que rien ne bouge vraiment, les régimes dictatoriaux sont soutenus ou parés de neuf. Ainsi, au nom d’une prétendue souveraineté, chaque pouvoir s’occupe au mieux, à sa manière, des dérangeurs que sont les opposants, les défenseurs des Droits de l’Homme, etc. Ce sont les sociétés civiles, prenant conscience de leur force dans le jeu politique qui sont devenues les cibles actuelles des pouvoirs en place.

Pourtant ces sociétés civiles courent un danger qui ne vient pas d’abord de ces pouvoirs. En effet, si elles se mettent elles aussi à respecter avant tout les frontières héritées de la colonisation, menant chacune une lutte strictement nationale, elles s’affaibliront car elles sont faciles à décapiter lorsque la répression s’abat, faciles aussi à museler par la corruption, mais aussi faciles à paralyser par une idéologie semant la confusion à propos de neutralité et d’apolitisme… Et l’ordre colonial aura alors toutes les chances de se pérenniser.

Il est donc venu le temps où chaque société civile devra prendre conscience que sa lutte n’est pas que nationale. D’abord parce que les pays africains partagent les mêmes difficultés à se développer mais aussi parce que la lutte de chacune des sociétés civiles n’aura de chances d’aboutir véritablement que si le mouvement devient continental. En effet, les puissances de la finance ne pourront plus facilement déplacer d’un pays à l’autre leurs structures : elles trouveront les mêmes résistances dans les différents pays. Or aujourd’hui, il est facile lorsqu’un pays se « démocratise » trop, lorsque le jeu des intérêts financiers est trop remis en question, de se replier dans un pays plus « accueillant », ou de soutenir (et même d’imposer) des gouvernants qui montrent plus de « compréhension ».

De plus les sociétés civiles seront moins fragiles face à la répression des pouvoirs en place. En effet, Paul BIYA aura beau jeu de museler l’opposition, mais que pourra-t-il contre des Burkinabè qui font une marche chez eux pour la libération de Maurice KAMTO ? Et pour quelle raison empêcherait-on les Togolais de manifester en vue de la vérité des urnes au Congo ? Cela permettrait également de faire face à des situations similaires à ce qui s’est passé lorsque des membres de la société civile sénégalaise ont voulu aller apporter leur soutien à leurs frères Congolais et qu’ils en ont été empêchés.

Et s’il ne s’agissait pas pour les Africains à l’étranger, notamment en France et aux EtatsUnis, d’être quelques centaines seulement à aller manifester devant l’ambassade de leur pays, mais pour l’ensemble de la diaspora africaine de se faire remarquer dans les rues de Paris, cela n’aurait-il pas un impact plus important ?

Pour arriver à cela, il faudrait un mouvement au sein même des sociétés civiles : il faudrait non pas seulement regarder, de temps à autres, ce qui se passe dans tel ou tel pays pour s’en inspirer mais de considérer la lutte des peuples africains comme une et non diverse, malgré les spécificités de chaque pays. Il faudrait un mouvement pour aller plus loin que le simple soutien fraternel à tels ou tels citoyens en lutte ou en butte à une répression sans pitié. Non il ne s’agirait pas de débordements sentimentaux ou d’action de solidarité en quelque sorte humanitaire, mais d’un véritable tournant politique dans les choix des sociétés civiles. Il faudrait commencer par inscrire la communauté de vision dans les textes fondateurs des organisations de la société civile. Cela permettrait de sensibiliser les populations à ce sujet.  Cela est très important alors que dans nombre de pays africains, on instrumentalise les appartenances sociologiques des uns et des autres en déclinant des thèmes ethnicistes, régionalistes ou faussement nationalistes, mais aussi religieux pour diviser les sociétés civiles et nuire ainsi à leur action. Or les peuples sont prêts à s’entendre, puisqu’ils ont appris bien avant la colonisation à vivre ensemble malgré les conflits inévitables et que les liens qui ont été tissés entre eux ont survécu aux frontières érigées par les colons.

La communauté de vision doit ensuite déboucher sur des actions communes et concertées, qui, à n’en point douter, donneront bien du fil à retordre aux tenants des intérêts financiers mondiaux et à leurs fidèles serviteurs installés sur le continent africain… Des pistes s’ouvrent donc pour briser les murailles érigées par ceux qui, pour protéger les intérêts financiers, pensent pouvoir tirer les ficelles dans l’ombre longtemps encore : la solidarité entre les peuples africains est à l’œuvre.

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