Libre tribune / La peur de la prise de parole et de l’engagement, jusqu’à quand ?

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Roger Folikoue (Copyright / Image la Gazette du Togo)

« Qui dira ? » est le titre de la tribune hebdomadaire des deux universitaires et acteurs de la société civile togolaise, Roger Folikoue et Maryse Quashie, dont l’objectif n’est pas de devenir des vedettes de la presse écrite mais plutôt des pionniers d’une société démocratique dans laquelle prévaudra une parole libre et vraie, une société qui saura briser le silence et la peur du risque.

Cité au quotidien : « Qui dira ? »

Il y a moins d’un mois, un verbe avait retenu notre attention (Que faire ? ALTERNATIVES, n° 775 du 15 février 2019) et c’est pour la même raison que le verbe dire est au centre de notre réflexion d’aujourd’hui. En effet, c’est une préoccupation actuelle de nos concitoyens. Mais ici, avant même que de se préoccuper du contenu à communiquer, on s’interroge sur l’agent (ce mot aussi est employé exprès, car nous continuons ainsi notre analyse sur ce que pourrait être l’action du citoyen). Ainsi à Que faire ? succède Qui dira ?

Dans notre société traditionnelle, la prise de parole était plutôt réglementée : on savait qui pouvait parler, en telles ou telles circonstances. En famille, les enfants ne doivent pas se mêler de la conversation des adultes, et en général, on se tait lorsqu’un aîné parle… Lorsqu’on est dans une cérémonie protocolaire, on choisit un porte-parole, car il n’est pas de bon ton d’instaurer une conversation directe entre deux personnes… Les femmes n’élèvent pas la voix devant les hommes (même si dans l’intimité, il peut en être autrement…), etc.

Mais voilà, nous ne sommes plus au temps de la société traditionnelle : les groupes avec qui on est en contact sont bien plus larges que la communauté familiale ou villageoise, et avec le développement technologique actuel, toute parole peut être diffusée en temps réel à des millions de personnes.

Cependant ce qui nous préoccupe aujourd’hui, c’est la parole du citoyen. En effet, ce citoyen vit souvent des situations qui ne sont pas conformes aux règles adoptées ensemble, dans le monde du travail, de la politique, en l’occurrence. On constate des dysfonctionnements et il faudrait protester auprès de l’autorité…

C’est alors que résonne la phrase : qui dira ?

Alors, il y a toujours des prudents qui donnent leur avis : « C’est toi qui vas le dire maintenant ? » et la suite vient tout naturellement « Qui es-tu toi pour parler ? Toi l’enfant (manipulation à partir de nos valeurs traditionnelles), c’est toi qui vas te lever et prendre la parole quand les grands se taisent ? »

Viennent ensuite les défaitistes : « De toutes les façons, ça ne changera rien, ça ne servira à rien de parler, la preuve, tel a dit, et on ne voit toujours aucun changement …. »

Enfin quelqu’un instille la peur « Oui, ça n’a rien changé pour nous, mais lui, il a eu ensuite plein d’ennuis ! ».

Toutes les racines de l’autocensure sont ainsi plantées. L’autorité n’a même pas besoin de faire peur aux citoyens, eux-mêmes ont intériorisé qu’il vaut mieux ne pas parler.

Cependant, nous sommes en temps de crise, nous aspirons au changement social, nous espérons voir advenir une société qui n’existe pas encore. Et surtout nous avons en face de nous des personnes qui, elles résistent à ce changement. Il faut bien leur dire que nous ne sommes pas d’accord avec elles. Et comment aller de l’avant, comment savoir si nous sommes nombreux à penser la même chose si le silence règne ?

Alors qui dira ? Qui se jettera à l’eau pour parler ?

Pendant longtemps, nous avons cru qu’il revenait aux hommes politiques de le faire. Mais nous avons vite déchanté, ils parlent oui, mais est-ce toujours en vue de notre bien même s’ils prétendent que c’est en notre nom qu’ils le font ?

Alors, on se dit : « Où sont les universitaires, les intellectuels ? Eux doivent jouer leur rôle de veille en prenant la parole ». C’est vrai, il appartient aux intellectuels de prendre la parole.

Après d’autres tentatives dont nous ne ferons pas état ici, c’est ce que nous essayons de faire avec cette Tribune depuis novembre 2018 dans ce Journal. Un de nos objectifs et surtout de nos espoirs était de faire naître ainsi d’autres Tribunes, c’est l’appel que nous lancions en début d’année : « Oui nous sommes très heureux, lorsque des dizaines de lecteurs nous écrivent pour nous féliciter, se reconnaissent dans nos mots… Cela nous fait chaud au cœur, mais notre objectif n’est pas de devenir les vedettes de la presse écrite, notre objectif est d’ouvrir le débat car comment vivre dans une société démocratique sans qu’il n’y ait débat ? Le débat doit être pluriel, car c’est à ce prix que les citoyens pourront se faire une opinion personnelle et agir en fonction de cette opinion et non par conformisme ou par loyauté sociologique ». (Une tribune pour des tribunes, ALTERNATIVES, n°763 du 04 Janvier 2019).

Mais plus encore que la naissance d’autres tribunes ou écrits produits par des intellectuels, la réponse à la question « Qui dira ? » doit donner lieu à d’autres prises de paroles. En effet, nous écrivons en français. Un lecteur, qui a lu ce que nous avons écrit, peut le traduire en Ewe par exemple autour de lui, de manière que s’instaure dans son quartier un débat sur le sujet de la Tribune. Et de langue en langue, on commencera à discuter de sujets qui ne seront plus réservés à certains. On ne se posera plus la question de l’agent qui doit communiquer, mais du contenu de la communication.

Pourtant, il ne s’agit pas simplement de traduction d’une langue à l’autre, il s’agit de traduction comprise comme une adaptation à un public donné. Ainsi, il y a des organes de presse, ou de radio qui ont un public spécifique, pour qui par exemple, le niveau de langue de nos tribunes ne convient pas. Pourquoi les journalistes de ces organes ne font pas une traduction, un traitement spécifique de nos écrits à destination de tel ou tel public ? Il nous semble qu’ils sont formés pour cela et que leur maîtrise de la déontologie de leur profession les gardera de toute déformation volontaire.

Pouvons-nous compter sur vous, habitués et fidèles lecteurs de notre Tribune pour cela ? Encore une fois, nous vous remercions chaleureusement de votre soutien, exprimé de multiples manières à chaque publication. Pourtant nous n’aimerions pas être simplement poussés en avant pour dire ce que vous n’oseriez pas dire ; nous n’aimerions pas un jour, nous retrouver tous seuls, si jamais nos écrits posaient problème à quelqu’un…

Non, nous ne sommes plus en ces temps, n’est-ce pas ? Aujourd’hui lorsqu’on demande « Qui dira ? », des dizaines, des centaines de personnes se lèveront pour dire à leur manière, dans leur langue, clamer haut et fort, les préoccupations des Togolais, n’est-ce pas ?

Pour une société démocratique il faut une parole libre et vraie et la véracité de la parole ne provient pas forcement du statut du locuteur. C’est pourquoi la promotion et recherche de la parole rationnelle font partie de nos valeurs.

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