Libre tribune / « D’élections truquées en fausse alternance », Roger Folikoue

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Roger Folikoue (Copyright / Image la Gazette du Togo)

Enseignant au département de Philosophie à l’Université de Lomé, Roger Folikoue établit une corrélation entre « esclavage, colonisation, dictature » dans l’histoire de l’Afrique. Le désir de domination est-il, en Afrique, le fondement de notre vivre ensemble ?, s’interroge-t-il. Pour cet acteur de la société civile, membre du Front Citoyen Togo Debout (FCTD), sous des dehors de démocratie dans la plupart des pays africains dont le Togo, c’est plutôt une équation complexe qui s’applique : Démocratie = élections = parodie d’élections = trucage des résultats des urnes. Lecture !

METAMORPHOSES…

Esclavage, Colonisation, Dictature : la liberté n’a guère pu s’épanouir en Afrique, au cours des derniers siècles. La question qui se pose est de savoir si de l’une à l’autre de ces situations, il y a eu amélioration de la condition du citoyen. Le désir de domination est-il, en Afrique, le fondement de notre vivre ensemble?

L’analyse historique et phénoménologique, de façon superficielle, pourrait nous pousser à répondre par l’affirmative. En effet, à chaque fois que l’homme africain tente de sortir d’un système oppressif, il s’en forge aussitôt un autre qui semble plus raffiné, plus subtil et donc plus difficile à combattre. Ainsi, alors que la brutalité de l’esclavage était relativement facile à démontrer et par conséquent à attaquer, les moyens mis en œuvre au moment de la colonisation ont été d’une autre envergure, à tel point qu’il en reste de graves séquelles : « la néantisation et l’imbécilisation » de l’homme africain, pour reprendre les mots du philosophe KA Mana. Au lieu d’utiliser simplement la force de travail des hommes, leur niant toute dignité humaine, le colon après avoir assis sa domination militaire, a entrepris de montrer au colonisé que sa seule voie de salut se trouvait dans l’abandon de sa propre culture au profit de celle de l’Occident. Et ainsi nous sommes arrivés à une aliénation telle que l’ancien colon n’a guère plus besoin d’exercer lui-même l’oppression ; il a des alliés sur place : une bonne partie de ceux qui ont été formés à l’école. C’est pourquoi les dictatures militaires installées dans les années 1970, se sont largement appuyées sur la classe des intellectuels qui leur ont forgé des idéologies et des moyens d’oppression plus raffinés que la force brute; sont alors nés les partis uniques qui ont embrigadé et étouffé les populations africaines. C’est la période de l’embastillement de la pensée. Ces mêmes intellectuels ont orchestré la propagande, officiellement en faveur de l’unité nationale et de la paix sociale, mais en fait cette propagande est destinée à maintenir en place le dictateur grâce à des messages et des pratiques, tablant sur les tendances régionalistes et tribalistes des uns et des autres. En réalité, à part quelques miettes distribuées aux « frères, sœurs et cooptés » du dictateur, les décennies de confiscation de toutes les libertés ont servi à enrichir une poignée d’Africains, toutes ethnies confondues, et parmi eux, des intellectuels, ou du moins des diplômés, accumulant les signes extérieurs de richesse…

POUR QUE RIEN NE CHANGE ?

A l’orée des années 1980, les dictateurs au pouvoir en Afrique organisaient de temps à autres des élections qu’ils gagnaient avec des résultats « faramineux » de l’ordre souvent de 90% des suffrages… Ils étaient donc installés sans trop s’inquiéter, avec d’autant plus d’avenir que, participant aux combines des services secrets des puissances coloniales, ils pouvaient compter sur le soutien indéfectible de ces dernières…

Mais avec l’arrivée du mouvement sismique en provenance de la chute du mur de Berlin, ces présidents qui, ressemblaient à des rois qu’il fallait tout de même soutenir à cause d’intérêts économiques des Occidentaux, ont été secoué alors qu’ils se croyaient inexpugnables. Et le discours de La Baule aidant, dans les années 1990, on a gentiment invité les amis dictateurs à ravaler un peu la façade de leur régime, d’autant plus que les populations commençaient à secouer le dur et pesant joug des régimes autocratiques, dont les tenants ne se privaient guère de remplir des comptes en banque en Afrique et ailleurs. Des troubles sociaux récurrents paralysaient la vie sociale, des conférences nationales tentaient de redonner la parole aux peuples… Il fallait prendre des mesures avant qu’il ne soit trop tard avec une seule exigence, favoriser le plus possible la stabilité des régimes en place, et donc la préservation des intérêts en jeu.

C’est pourquoi on a commencé par le plus facile : instaurer le multipartisme. En effet, si les « opposants » peuvent légaliser leurs partis, les pouvoirs en place peuvent, eux aussi, créer des partis à leur solde. Des dizaines de partis sont donc nés dans ce contexte, sans que pour autant on en arrive au pluralisme fondateur de la démocratie : des tracasseries diverses sont mises en place sur le chemin des opposants mais il y a aussi une corruption active qui aide de nombreux opposants à retourner facilement leur veste. Toutes ces stratégies ont permis à la dictature de se maintenir en place, sous des dehors de démocratie. Démocratie = élections = parodie d’élections = trucage des résultats des urnes. On se sert ainsi des élections pour confirmer les régimes dictatoriaux (Gabon, Cameroun, Tchad, Burundi, Mali, Guinée Conakry, Rwanda, Congo Brazza, Togo, RDC etc…) Après avoir fait croire aux populations que les élections sont le nec plus ultra de la démocratie, il a suffi de mettre au point des techniques pour que gagne celui qui est « choisi » et non véritablement élu. Le « savoir truquer des élections » est donc devenu une compétence spécifique de certains régimes africains… Après de telles élections une reconnaissance du nouvel élu par quelques Etats africains, des institutions interafricaines et internationales, le tour est joué. Mais comment des pays dits démocratiques en Occident et des institutions internationales peuvent cautionner et continuer à cautionner cela sous le couvert de l’exigence diplomatique ou de la souveraineté des Etats ?

La normalisation peut commencer : on invite à la paix sociale, à un gouvernement d’unité nationale (alliance contre nature correspondant de fait au refus de la nécessité d’une opposition et surtout au refus de l’alternance), on distribue quelques cadeaux, usines clés en main, extension du réseau routier, etc. Tous s’habituent peu à peu, et la tranquillité revient, le régime peut rester encore quelques années, le pouvoir peut même être transmis, en quelque sorte par héritage, aux mains de la génération suivante…

Cette normalisation, n’est-ce pas ce qui est en train de s’organiser en RDC, avec la reconnaissance hypocrite et inacceptable (au vu des résultats donnés par la Conférence des Evêques du Congo) de la victoire de Félix TSISEKEDI par l’Union Africaine et l’Union Européenne ? Et n’est-ce pas ce qui s’est passé dans notre pays, le Togo, le 20 décembre dernier et se prépare pour les prochaines échéances électorales ?

LAISSER INSTALLER L’INJUSTE NORMALISATION ? Allons-nous encore assister à la normalisation, en disant de façon fataliste, qu’il en sera toujours ainsi ? Et finalement nous faire voler encore une fois, une chance d’alternance ? Oui, la lecture des événements de la RDC, fait un peu froid dans le dos… Au nom de quels intérêts, tout le monde s’est finalement résigné à adhérer à l’inacceptable sous d’autres cieux ? En effet, à quel européen, à quel américain refuserait-on de tenir compte de sa volonté exprimée à travers les urnes pour imposer une autre solution impunément et surtout sans se cacher, sans aucune décence? Sommes-nous donc si faibles en Afrique ? Où se trouve notre fierté ?

Si les forces anti-démocratiques peuvent ainsi s’unir et se mobiliser pour protéger leurs intérêts, pourquoi ceux qui luttent pour l’Etat de droit et l’équité, n’en font-ils pas de même alors qu’ils luttent pour l’intérêt de la majorité ? D’abord en Afrique où la solution congolaise aurait dû soulever une vague de protestations, et hors d’Afrique. Où sont les militants des Droits de l’Homme, les dénonciateurs des pratiques de la Françafrique, les altermondialistes, etc. ? Il n’est certainement pas trop tard pour dire non à la normalisation de l’inacceptable car si la dignité humaine est universelle, elle est valable aussi pour nous les descendants des Pharaons, pour nous qui vivons sur le continent berceau de l’humanité. Et ainsi nous avons l’obligation de quitter la médiocrité pour l’excellence et la recherche du mieux-être politique dans nos pays. La renaissance de notre continent est à ce prix : retrouver en nous la capacité d’innover afin d’être un des phares de l’humanité.

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