L’HOMME ( suite ) : Entrez dans l’Espérance

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L’HOMME ( suite ) : Entrez dans l’Espérance

Il me faut commencer à rappeler que mon sous-titre n’est que le titre de l’ouvrage du Pape Jean-Paul II. Ce volume est la publication d’une interview réalisée avec Vittorio Messori, journaliste, spécialiste du Vatican, qui précise dans l’introduction :

« Ce titre résume parfaitement ce que le Pape tient à dire à l’homme d’aujourd’hui ».[i]

Tout de suite, avant d’aller plus loin, la question n’est pas de savoir si nous sommes catholiques, ni même chrétiens, mais de savoir si nous sommes des hommes d’aujourd’hui. Mais, comme cet homme qui dans l’Évangile selon Luc au chapitre 10 s’est approché de Jésus et, après lui avoir demandé ce qu’il doit faire pour hériter de la vie éternelle et après que le Maître lui a répondu d’aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme… et d’aimer son prochain comme lui-même a posé la question de savoir qui est son prochain, nous pouvons poser la question de savoir qui est l’homme d’aujourd’hui, notre contemporain.

Si je voulais raconter une version personnelle, contemporaine, récente et proche de nous de la parabole du Bon Samaritain, je pourrais commencer mon récit de la manière suivante :

« Il était une fois, quand le coronavirus sévissait dans le monde entier, un couvre-feu, décrété dans notre pays. Un homme qui, comme beaucoup de nos compatriotes n’a pas les toilettes chez lui, sortit dans la nuit obscure pour se soulager ; il tomba au milieu de brigands… ». Les nuances de mon histoire par rapport à la parabole biblique sont que d’une part, les brigands dont il est question ici, sans pitié, ne laissèrent aucune chance de survie à cet homme et que d’autre part, dans la nuit où tout dort dans le quartier, ou plutôt, parce que les habitants du quartier redoutant de se retrouver nez à nez avec les terribles agents du régime dont on connaît la brutalité, s’étaient terrés chez eux, tout tremblants, il ne se trouva aucun Bon Samaritain pour lui venir en aide au moment où, à l’agonie, il appelait au secours, râlant. Il ne fut retrouvé que le lendemain, raide mort, étendu au sol, sur le sentier, portant des traces de coups sur le corps, de même que du sang et des déchets, un petit pagne ceint autour de la taille pour tout vêtement. Cet homme, martyr parmi tant d’autres du régime Gnassingbé, nous allons l’appeler « Homme d’Adakpamé », du nom du quartier de Lomé où il a vécu, où il été martyrisé et où il est mort des coups des gangsters du régime nommés militaires.

Il me plaît, avant d’en arriver à l’Espérance à laquelle nous convie le Souverain Pontife, de parcourir quelques passages du livre. L’homme d’aujourd’hui à qui Jean-Paul II s’adresse est chrétien, comme il est musulman ou hindouiste. Jean-Paul II le reconnaît :

« …Aux alentours de l’an deux mille, les musulmans seront plus nombreux que les catholiques. Aujourd’hui déjà ( nous sommes dans les années 90), les hindouistes sont, à eux seuls, plus nombreux que les protestants et les orthodoxes grecs et salves tous ensemble » (p. 163 )

Et il n’exclut pas l’homme des religions africaines :

« …Il convient de ne pas oublier les religions animistes qui mettent au premier plan le culte des ancêtres…N’y a-t.il pas dans la vénération des ancêtres, une préparation en la Communion des saints, qui fait que tous les croyants, vivants et morts, forment une communauté unique, un seul corps ? » (p. 136 ).

Les notions sur lesquelles il faut insister, chez Jean-Paul II, ce n’est pas seulement celle de l’universalité humaine de la foi, mais aussi celle de l’universalité des valeurs, au-delà du pur matériel pour lequel certains hommes sont prêts à en sacrifier d’autres, cause des grandes tragédies humaines.

L’homme, quel qu’il soit, d’où qu’il vienne, de quelque appartenance qu’il se réclame, quelque pouvoir et puissance qu’il ait pu exercer en ce bas monde, quels que soient les biens matériels qu’il possède aujourd’hui , n’échappe pas à la conscience de la mort et à la suite…
« Après l’expérience des camps de concentration, du goulag, des bombardements…reste-t-il encore à l’homme quelque chose à redouter dans l’au-delà ?…Les atrocités de notre temps n’ont pas été capables d’éliminer cette intuition :

« Le sort des hommes est de mourir une seule fois, puis comparaître pour le jugement. » ( p.270 )

Le Pape évoque les camps de concentration. Césaire, de loin, semble lui répondre, mais ayant sa propre cause à défendre, celle des esclaves nègres. Au centre de la préoccupation de l’un et de l’autre, se trouve l’homme qui a souffert et certainement, l’homme qui souffre encore.

« Oui, Il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien, bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’un Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme ,de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. »[ii]

Je soulignerai tout particulièrement ces expressions chez Césaire : « étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler » : en clair, c’est une humanité malade de sa soif de grandeur qui s’est développée chez Hitler comme elle a pu se développer chez d’autres dictateurs de l’histoire. A-t-on besoin d’en citer quelques-uns ? Je ne prendrai que ceux qui sont proches de nous dans le temps et l’espace : Mobutu, les Gnassingbé, père et fils, H. Habré. Á propos de ce dernier, lors de son procès á Dakar, l’un des avocats conseils de la partie civile, n’a pas hésité devant la comparaison avec le dictateur nazi. Certains ont dit de Habré qu’il est un Pinochet africain.

Césaire voudrait « révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien, bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’un Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon ». Scandale ? Combien de nos dirigeants du monde d’aujourd’hui, portant le démon d’Hitler en eux, démon qui leur inspire toutes les atrocités qu’ils commettent, se piquent, non seulement de christianisme, mais aussi de toutes les religions bien pensantes, humanistes même. Vous les verrez à Rome, vous les verrez à Lourdes. Vous les verrez à La Mecque et dans tous les lieux célèbres de pèlerinage religieux. Vous les verrez dans les organisations de défense des Droits de l’Homme, puisque ce sont des humanistes. Vous les verrez dans les associations caritatives : ils pratiquent la charité. H. Habré, chassé du pouvoir, ayant emporté la caisse dans sa fuite, que voulez-vous qu’il fît de tout l’argent du contribuable tchadien ? Après s’être fait construire une luxueuse villa dans un quartier de Dakar pour se la couler douce comme il convient à un chef d’État déchu et après avoir assuré l’avenir de ses enfants, en « bon musulman », a financé la construction de mosquées, distribué des exemplaires du Saint Coran et des aumônes aux nécessiteux, dont des tapis et des chapelets pour la prière. Ainsi, le démon d’Hitler qu’il porte en lui, comme beaucoup d’hommes de son acabit, vous ne le verrez nullement, ce qui est normal, puisque ni Habré, ni les autres dictateurs ne le voient point eux-mêmes.

Césaire semble s’éloigner de Jean-Paul II. Là où le pape réunit les hommes et célèbre leur universalité, vivants et morts dans la communion, la croyance, dans l’angoisse des vivants de la mort et de ce qui adviendra après, l’écrivain antillais souligne plutôt la différence que certains hommes ont établie au sein de l’humanité, soumettant les autres à la souffrance et à l’exploitation, ne reculant pas devant les atrocités insupportables. Mais tout compte fait, les auteurs se rejoignent. Jean-Paul II a dit :

«Même ceux qui aujourd’hui critiquent le christianisme en conviennent : ils reconnaissent, eux aussi, que le Christ crucifié est une preuve de la solidarité de Dieu avec l’homme qui souffre. Dieu se met du côté de l‘homme. Et Il le fait radicalement : « Il s’est abaissé lui-même en devenant obéissant jusqu’à mourir, et à mourir sur la croix (IPh. 2, 7-8 ). Cela comprend tout : toute souffrance, qu’elle soit individuelle ou collective, les souffrances causées par les forces aveugles de la nature et celles qui sont délibérément provoquées par l’homme : les guerres, les goulags et les génocides. Je pense ici à l’holocauste des Juifs par exemple, mais aussi, à l’holocauste des esclaves noirs d’Afrique…. » ( p. 107-108 ).

Il y a dans ce passage un certain nombre de notions pertinentes sur lesquelles toutes les croyances devraient être d’accord et même par-delà les croyances, les pensées différentes des éventuels athées et agnostiques. Césaire parle d’Hitler et d’hitlérisme. Jean-Paul II fait allusion à l’holocauste juif. Les deux auteurs sont d’accord sur l’esclavage des nègres d’Afrique. Hitler, hitlérisme, holocauste, esclavage évoquent des périodes d’intenses douleurs et souffrances pour des catégories d’hommes. À la croisée des chemins, se trouve la charité de Dieu avec l’homme qui souffre, dont l’emblème dans le christianisme est le crucifié Jésus.

L’homme qui souffre, les hommes n’ont pas à aller le chercher bien loin. Les Africains non plus. Les Togolais non plus. Dans les prisons tchadiennes de Habré, il est celui à qui ses tortionnaires, armés d’instruments spéciaux, arrachent les ongles des dix doigts, avec interdiction au supplicié de se plaindre, font subir le supplice du pot d’échappement qui consiste à lui envoyer dans les poumons, l’embout du tuyau introduit dans la bouche, l’air brûlant d’un moteur de voiture chauffé ou encore la torture appelée en arabe tchadien arbatachar : le supplicié est attaché, la main droite au pied gauche et la main gauche au pied droit dans le dos, puis dans cette position, roué de coups. L’homme qui souffre, semblable au crucifié Jésus, les Togolais l’ont vu ces jours dans les rues de Lomé, à qui les militaires ont écrasé, à l’aide de leurs lourdes bottes, les testicules jusqu’à la mort, ou encore celui qu’ils ont tabassé jusqu’ à trépas, parce qu’il était allé se soulager la nuit dans une chiotte en dehors de sa maison, l’Homme d’Adakpamé, alors qu’il y avait couvre-feu. Je ne parle plus des souffrances imposées aux détenus, surtout politiques, des geôles des Gnassingbé.

L’homme qui souffre, notre prochain, qu’un lien de solidarité unit à son Créateur, ce n‘est plus dans la figure de la parabole du Christ, « l’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho et est tombé aux mains des brigands qui l’ont dépouillé, rassasié de coups, le laissant à demi mort[i] ». Ce n’est plus dans l’image de l’esclave lynché, brûlé vif, ce n’est plus dans le Juif, victime de l’holocauste, plus dans le Christ lui-même sur la Croix meurtri, ensanglanté…mais plus proche de nous dans le temps et dans l’espace.

La cristallisation de la souffrance humaine, individuelle ou collective qui créé la charité entre Dieu et l’homme est simplement fondée sur le principe biblique selon lequel l’homme est créé selon l’image de Dieu et donc que quiconque fait subir une souffrance à un autre ne manquera pas d’en rendre compte, un jour.
Françoise Giroud écrit :

« Si Dieu n’existe pas, tout est permis. Commentez cette phrase de Dostoïevski…Ivan Karamazov se trompait, j’en étais sûre. Si Dieu n’existe pas, rien n’est permis. »[iii]

Certains hommes, surtout parmi ceux qui, en ce bas-monde, ont puissance et richesse, auraient souhaité que Dieu n’existât pas, conscients qu’un jour ils mourront, pour ne pas avoir à se retrouver devant un quelconque tribunal. Si Dieu n’existait pas, ces hommes emploieraient volontiers leur puissance et leur richesse à faire tout ce qu’ils veulent, surtout à accroître leur puissance et leur richesse, la nature de l’homme, surtout de l’homme sans éthique, étant d’être insatiable dans tous les domaines. Au procès d’Hissein Habré, l’une de ses victimes a déclaré que dans les années du règne du dictateur, elle ne pouvait pas s’imaginer qu’elle verrait un jour cet homme puissant, réduit juste aux dimensions d’une chaise, silencieux, se cachant derrière un turban et des lunettes de soleil, battant des pieds posés l’un sur l’autre, ses doigts , d’ennuie ou ne sachant à quoi s’occuper, se triturant ou pianotant sur les bras de la chaise. Or, le slogan descriptif de l’omnipotence et de l’omniprésence supposées du dictateur tchadien, du temps de son règne disait : « Hissein Habré ici, Hissein Habré là-bas, Hissein Habré au Nord, Hissein Habré au Sud, Hissein Habré partout. »

À supposer que Dieu n’existât pas, il a bien existé un jour où l’homme qui avait droit de vie et de mort sur ses concitoyens fût mis devant la réalité qu’il était, comme les autres hommes, un être de limites. Et, que cachait-il derrière le turban et les lunettes de soleil ? Ses sentiments, ses aveux muets, sa honte, puisqu’il avait choisi, en guise de stratégie de défense, de ne pas ouvrir la bouche pendant le procès, voulant montrer qu’il ne reconnaissait pas au tribunal, le droit de le juger. Mais le Président de la Chambre, serein et calme, lui avait déclaré : « C’est pourtant cette Chambre qui va vous juger. » Hissein Habré, homme comme tous les hommes, être éprouvant des sentiments et ayant un corps, bien qu’ayant récusé le tribunal, réfugié dans son mutisme, paradoxalement, parlait, réagissant devant chacun des nombreux témoignages qui l’accusaient : ces pieds battants en l’air parlaient, ses lèvres remuant derrière son turban parlaient, ses paupières frémissant derrière ses lunettes parlaient. Et il avait été bel et bien jugé et condamné à perpétuité.

« Il n’est jamais trop tard pour apprendre à rire de soi[iv] », écrit encore Françoise Giroud. Hissein Habré, qui n’est pas un homme sans culture, du moins sur le plan livresque, a-t-il eu l’intelligence et aura-t-il jamais l’intelligence de rire de lui-même ? Sa prétention d’hier à la toute-puissance et à l’omniprésence explique-t-elle aujourd’hui sa comédie du silence au tribunal pour cacher ses aveux et sa honte ? Et les autres dictateurs, comme Faure Gnassingbé (puisque celui-ci nous intéresse tout particulièrement) ?

Au moment où j’écrivais ces lignes, un compatriote m’a dit son désarroi : « Le « petit », m’a-t-il dit, va prêter serment dimanche. Je n’arrive pas à en dormir. » Je lui ai d’abord répondu en ironisant : « S’il est petit, il est d’abord « petit d’esprit ».

Un parjure ajouté à d’autres, tous parfaitement inutiles et qui cause à certains de nos concitoyens, peut-être à la majorité, un cauchemar !
Comment un être capable d’autodérision, peut-il se livrer à une telle comédie, sans ciller, gravement, comme s’il s’agissait de l’acte le plus important qui engage la vie de plus de huit millions de ses concitoyens ? Comment peut-il croire lui-même, que la majorité de ces huit millions d’hommes et de femmes entreraient dans cette comédie avec lui ? D’abord, sans serment, puis sur la base de parjure, son père Gnassingbé Eyadema avait régné, avait ordonné des tueries, des pillages de richesses, des arrestations arbitraires et des enlèvements de citoyens, des violations de textes constitutionnels…Puis lui-même, à la suite de son père, sur la base du parjure a commis les mêmes actes. Il sait donc qu’un parjure de plus ne changerait rien à la donne…pour les huit millions d’hommes et de femmes. Alors, à quoi bon ?

Parlons de choses plus sérieuses. Parlons de l’homme d’après Jean-Paul II. Celui-ci se reconnaît en tant qu’être éthique. Contre quoi devait lutter, en nous la morale, l’éthique prônée par l’ancien Pape ? Ce n’est pas, absolument, contre le profit et le plaisir. Nous y avons tous droit, en tant qu’humains. Nous avons même le droit d’aspirer à plus.

C’est encore à Françoise Giroud que je vais faire appel pour nous dire à quoi une réflexion éthique et lucide nous indiquerait la voie à suivre :

« J’ai eu, j’ai, je veux davantage…
C’est l’objet du désir qui est discutable, non le désir en soi, le désir considéré comme carburant, le vouloir plus…
Peut-on, loin du sacré et de ses valeurs absolues, trouver la règle d’une conduite ? [v]»

L’homme qui, au Togo, prêtait serment le dimanche 3 mai est un de ces hommes à qui on peut appliquer ces propos de Françoise Giroud, un de ces hommes dont le désir, s’il peut être compris, quelque peu compris, est fondé sur un objet très discutable, loin des valeurs absolues. Nous avons un homme, dont le père s’est emparé du pouvoir sans respecter les règles de la République, qui a régné sans partage et sans autre loi à respecter que son propre bon vouloir, pendant trente-huit ans, un homme qui a hérité ce pouvoir de ce père à sa mort, a exercé, toujours sans règles, c’est-à-dire sans respect d’une vraie Constitution, un, puis deux, puis trois mandats et en veut un quatrième, toujours piétinant la loi et la volonté du peuple. Et ce mandat qui ressemble aux autres exercés par son père, puis par lui-même, en crimes, meurtres, pillage des deniers publics, comment voulez-vous que les huit millions de citoyens y adhérent sans que cela soit considéré comme l’acceptation d’une insulte à leur intelligence ?

Les quarante mille cinq cents morts du bilan d’Hissein Habré n’ont pas été exécutés en une seule année. Ce macabre bilan aurait été moins lourd si le dictateur tchadien avait rencontré sur son chemin, des circonstances qui auraient pu le freiner à temps, dans son désir d’en vouloir plus, toujours plus de jouissance de sa puissance. Un aspect de son appareil de répression, donc de pouvoir, qui nous fait réfléchir, est l’érection des lieux de détention de ses adversaires politiques ou des simples citoyens supposés tels. Leur nombre croissait, à mesure que durait le règne, dans plusieurs localités du Tchad, dont sept à Ndjamena. Et, parmi ces prisons politiques, une particulièrement célèbre sous le nom de « La piscine » qui était effectivement, du temps de la colonisation, une piscine réaménagée en prison pour les besoin de la cause. Ainsi, ce qui était un lieu d’agrément et de jouissance du temps de ceux que nous accusons de nous avoir opprimés, est devenu un lieu de torture et de souffrance pour les concitoyens après l’indépendance. Y a-t-il un meilleur emblème de l’indépendance dévoyée dans les pays africains, à cause de l’Avoir-plus (l’expression est de F. Giroud) de certains Africains ? Et, à combien de situations au Tchad, au Togo et dans d’autres pays africains, peut-on appliquer des dévoiements de ce type ?
L’éthique à laquelle se reconnaît l’homme est avant tout nourrie par la raison.

Je reviens à Jean-Paul II :
« C’est en l’homme lui-même que de nombreux éléments se combattent. D’une part, comme créature, il fait l’expérience de ses multiples limites ; d’autre part, il se sent illimité dans ses désirs et appelé à une vie supérieure. Sollicité de tant de façons, il est sans cesse contraint de choisir et de renoncer. » ( p. 59).

Deux mots, dans cette citation sont pertinents : ceux de choisir et de renoncer. Sans ces deux notions guidées par l’éthique qui est raison, l’homme n’est plus reconnaissable.

Et c’est par des hommes reconnus comme tels par leur éthique, que les sociétés humaines aspirent à être gouvernées. Des hommes qui savent discerner entre le mal et le bien, et choisir ce dernier non pas en fonction de leur profit et de leurs plaisirs égoïstes et exclusifs, mais en faveur de la société à laquelle ils appartiennent. Et, à l’heure où il le faut, savoir renoncer au profit et au plaisir. Ce sont là les conditions primordiales pour entrer dans l’Espérance.

Il importe de noter que Jean-Paul II, lui le chef de l’Église catholique, termine son livre-interview en citant un laïque, un écrivain, André Malraux :

« André Malraux avait certainement raison de dire que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas. »

Qu’est-ce à dire ? Nous avons vu, d’une part que Jean-Paul II inclut toutes les religions humaines dans son Espérance, sa Communion des Saints, si j’ose interpréter. Nous avons vu aussi que les vraies religions ne sont pas, ne pourront pas être celles que les hommes prétendent pratiquer en piétinant les valeurs humaines pour le pouvoir, la puissance et l’argent. Il faudra retrouver le sens du sacré, retrouver le sens des valeurs, à commencer par la vie humaine qui est la Valeur au-dessus de toutes les valeurs : ni l’esclavage, ni les atrocités de la colonisation, ni les holocaustes des Juifs, ni les goulags, ni les ignominies des prisons des régimes totalitaires, ni les actes tels que ceux pratiqués sur l’Homme d’Adakapmé n’entreront dans l’Espérance.

Sénouvo Agbota Zinsou.

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[i] Jean-Paul II, Entrez dans l’Espérance, Plon/Mame, 1994. P. 13
[ii] Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, éd Présence Africain 1956. p. 13-14
[iii] Françoise Giroud, Ce que je crois, Grasset, 1978, p.23
[iv] Op.cit. p87
[v] Op.cit. p.81-82
Vi Luc 10, 29-36
Vii Op.cit. p. 331

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Source : icilome.com