La justice française vient de dérouler tapis rouge pour un imminent procès contre le Groupe Bolloré. Ceci, par son refus de classer le dossier dit d’affaire de corruption et de violation de la souveraineté nationale du Togo dans laquelle Vincent Bolloré, le milliardaire Breton et PDG du Groupe Bolloré a pourtant plaidé coupable. Une tournure des évènements non moins des plus intrigantes pour Lomé.
Au commencement était la concession du Port de Lomé
Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès, dit-on souvent. Mais visiblement pour Vincent Bolloré, cette approche n’aura qu’un goût amer. Et pour cause. À quelques jours seulement de la visite de Faure Gnassingbé en France, annoncée pour ce mois de mars, l’étau semble se resserrer autour du partenaire stratégique en logistique maritime du pouvoir de Lomé.
Ce dernier qui a remporté en 2009, quelques mois avant la réélection de Gnassingbé l’année suivante, la concession du Terminal à conteneurs du port de Lomé pour une durée de trente-cinq ans.
En effet, onze (11) ans après les faits, les dessous de l’affaire sont connus de l’opinion nationale et internationale. Vincent Bolloré, le PDG du groupe est poursuivi par la justice française pour atteinte à la souveraineté économique du Togo. Ceci, pour avoir plaidé coupable dans une affaire de corruption au travers du financement, à hauteur de 250 millions FCFA, la campagne du candidat Faure Gnassingbé pour sa réélection en 2010.
Le silence parlant de Lomé
Très attendue pour sa version des faits, «La position du Gouvernement togolais est de ne pas commenter une procédure en cours dans les juridictions d’un pays étranger», aura déclaré laconiquement Prof Akodah Ayewouadan, le porte-parole du Gouvernement togolais qui estime que c’est purement une affaire Franco-française.
Qui ne dit rien consent, bien évidemment. À défaut de sa part de vérité dans cette affaire qui fait grand bruit, le gouvernement togolais laisse ainsi libre cours aux supputations et analyses, des plus accablantes à son endroit. Qu’à cela ne tienne, il se lit que Vincent Bolloré n’est visiblement pas en odeur de sainteté avec Emmanuel Macron. Le dernier développement d’une situation vraisemblablement conflictuelle annonce, en effet, les couleurs d’une visite mouvementée du Président togolais à Paris. Ceci, même au point de se demander aujourd’hui si le tapis rouge du perron de l’Élysée sera finalement déroulé au fils à Eyadema comme prévue.
Bolloré… Dans la gueule du loup
En exposant l’affaire, malgré le fait que l’industriel ait pourtant plaidé coupable, la justice tend ainsi la perche aux grands groupes de médias de l’hexagone, avec lesquels Bolloré s’est mis en difficulté depuis quelques temps, d’en faire une récupération. On se rappelle qu’en décembre 2020, près de 150 journalistes et collaborateurs de Canal+, très indignés, ont dénoncé, dans un communiqué, le licenciement de leur collègue Sébastien Thoen. Ce dernier évincé par la chaîne cryptée après un sketch qui parodiait l’émission de Pascal Praud sur CNews, la chaîne d’info du groupe Canal Plus. «Nous revendiquons le droit d’exercer nos métiers sans craindre d’être licencié, écarté, inquiété si ce que nous disons, écrivons, déplaît à notre direction», indiquaient-ils.
Malheureusement, quelques jours plus tard, ce sera le tour de Stéphane Guy, le commentateur vedette de la chaîne cryptée et salarié du groupe depuis plus de 20 ans d’être licencié. Stéphane Guy semblait ainsi payer son soutien public à l’humoriste Sébastien Thoen. Mais avant, l’on ne passera pas sous silence, la censure en 2017 d’un documentaire de Canal + sur le pouvoir de Lomé et qui n’a pas plu à la direction du groupe. Les exemples sont légions. Aussi, l’actionnaire principal de Vivendi, propriétaire de la châine est-il également accusé en juillet 2015 d’avoir interdit la diffusion d’une enquête sur le crédit mutuel.
Une ambiance crispée et morose entre Bolloré et les hommes de médias qui expliquerait mieux la portée du traitement de l’information qui fait depuis le vendredi 26 février dernier, le chou gras de la Presse française et même sur le continent noir.
Des jours mouvementés pour le régime de Lomé
Dans la démocratie américaine, une telle affaire conduirait directement à une impeachment. Mais il se trouve que dans la Constitution togolaise aucune disposition ne prévoit ce mécanisme d’éjection du président pour des faits si graves. Mais est-il que au delà de ce vide constitutionnel, l’affaire Bolloré semble poser une équation bien complexe et à divers niveaux. Elle apporte une nouvelle couche au climat de méfiance apparente entre Lomé et Paris comme nous l’avons révélé dans plusieurs de nos précédentes parutions. L’intrigue restera encore entière dans ce qui apparaît comme une guerre froide entre Macron et Faure quand Paris choisira de se taire sur les sorties tonitruantes, ces derniers temps, du député Sébastien Nadot qui revient avec insistance sur la vraie fausse signature de Macron apposée sur la lettre de félicitations de l’Elysée à Faure au lendemain de la présidentielle de 2020.
Fébrilité
Qu’a cela ne tienne, la réchauffe de la question Bolloré, quelques mois seulement après une première mise sur rampe, traduit à suffisance une fébrilité particulière dans la relation Faure-Macron. Le palais de Lomé s’est échiné à redresser la barre à coups d’achats d’arsenaux militaires, de zèle sur le front malien avec la mise généreuse à disposition de milliers d’hommes de troupes en appui à la force Barkhane. La plus-value obtenue a été la promesse d’ouvrir, dans ce mois, les portes de l’Élysée au «jeune-doyen» de l’Afrique de l’ouest. Il est plus que curieux, malgré cette promesse gravée, que l’affaire Bolloré soit ressuscitée en ce moment précis. Tout une intrigue avec tant d’énigmes. Et c’est ici qu’on dénote encore mieux les entre autres raisons qui auraient sous-tendu la mouture de l’article 75 de la modification constitutionnelle du 08 Mai 2019 qui dispose d’une immunité totale pour le Prince même en cas d’éjection du fauteuil présidentielle.
Il se révèle désormais que la galaxie Faure a certainement compris qu’elle n’a aucune garantie solide avec le pouvoir Macron. Une longue brèche que le camp d’en-face va évidemment tenter d’élargir pour ouvrir les portes du printemps togolais.
Les apetits civiles
Les tractations qui se font aujourd’hui pour la constitution en partie civile des Organisations de la société civile (Osc) togolaises pour participer au procès est d’une part, une véritable mauvaise publicité pour Faure auprès de Paris.
Et de l’autre part, l’affaire Bolloré repose, en soi, l’épineux débat sur la problématique de la gouvernance clanique dont se rendent coupables, bien de dirigeants du continent. Le cas de Faure Gnassingbé qui aura décidé de brader, sur 35 ans et sur des bases obscures, le poumon de l’économie togolaise à un investisseur étranger. Et le maintien du procès malgré le plaider coupable de Bolloré pourrait traduire une volonté de la part de Macron d’en finir avec les relations incestueuses du milliardaire Breton avec des pouvoirs africains, et de procéder à une redistribution des cartes en redorant au passage l’image de la France sur un continent où elle est désormais bousculée dans sa quiétude légendaire par d’autres puissances comme la Russie ,la Turquie et même l’Allemagne qui, elle, opère posément mais solidement son come-back dans le cœur des africains.
Il est à faire remarquer que les médias français ont choisi à côté du cas binôme de la guinéen, de mettre le focus sur le cas du Togo. Un fait hautement curieux à quelques jours de la visite annoncée du Prince togolais à l’Élysée.
C’est dire que le lobbying que le Prince est allé négocier en février dernier auprès de son mentor Congolais, Sassou N’guesso n’a point réussi à lui paver le chemin jusqu’ici. Et lorsqu’on sait qu’outre les Osc, la DMK prépare également son offensive par des visites en vue auprès des chancelleries et parlements français et allemands, il est donc fort à parier que même s’il a lieu, le prochain voyage de Faure auprès de Macron aura du plomb dans l’aile. Autrement, il sera à ne point douter, une visite au rabais bien loin de celles ordinaire des autres dirigeants du continent à l’Elysée.
Des signaux visiblement annonciateurs d’un avenir politiquement et diplomatiquement mouvementés pour le pouvoir de Lomé qui feint toujours de reconnaître l’évidence de la crise post électorale de février 2020.
Source : Fraternité
Source : 27Avril.com