Vincent Bolloré est mis en examen pour soupçons de corruption dans la concession des ports de Lomé au Togo et de Conakry en Guinée. Mais son groupe à d’autres concessions. Comment parvient-il à s’imposer ?
Le supposé scandale de corruption dans la concession des ports de Lomé au Togo et de Conakry en Guinée n’est peut-être pas un cas isolé en Afrique. Le groupe Bolloré, présents dans 46 pays sur le continent, a obtenu des concessions similaires dans d’autres ports au Cameroun, au Gabon, au Bénin ou en Côte d’Ivoire.
En Côte d’Ivoire, le deuxième port à containers d’Abidjan a été cédé au groupe Bolloré au détriment de l’homme d’affaire ivoirien Jean Louis Billon qui avait participé à un appel d’offre. Ange David Bayémé, de l’ONG internationale GRIN basée au Ghana, rappelle que dans ce genre de transaction, les investisseurs africains ne sont souvent pas, et de manière paradoxale, le premier choix des gouvernements. La signature du contrat allant au plus offrant et ceci dans la plus grande opacité. « Le fait que ce sont des intérêts économiques, des intérêts politiques qui sont en jeu, explique qu’il y ait une telle opacité », explique-t-il.
Pour lui cela s’explique par le grand niveau de corruption dans ces différents pays et beaucoup de violations des lois. « C’est ce qu’on voit clairement dans ce genre d’accord. C’est la vision, pour un certain nombre de dirigeants africains, de ce qu’ils appellent l’investissement. Et c’est un investissement qui n’est pas équitable ». Selon lui, la question du contrôle des ports, comme on le voit au Togo, en Guinée, et le silence de ces dirigeants « montre la connivence qu’il y a entre le milieu des affaires et le milieu politique ».
Problèmes de mal gouvernance
Au Bénin, l’opérateur local Petrolin, qui avait en charge la rénovation du chemin de fer reliant le Togo au Niger, s’est vu retirer le projet pour le confier à Bolloré. Lequel, à son tour, s’est vu spolié du chantier qui a été confié à un groupe chinois. Ces passations de marchés se font très souvent sans appel d’offre et au gré des dirigeants, soutient Sadikou Alao, président du GERDES-Afrique.
« Dans le cas particulier de Bolloré, ce n’est pas un cas unique », affirme-t-il. « Nous avons des problèmes de mal gouvernance en Afrique, surtout avec des chefs d’Etats autoritaires qui peuvent décider à eux tous seuls de donner tel ou tel marché à tel ou tel opérateur économique, même au détriment de leurs propres compatriotes et sans appel d’offre ». Pour lui, ce sont des occasions de corruption énormes. « Aucun pays n’échappe à ça. Même pas le Bénin. »
Sadikou Alao espère, sans y croire tout à fait, que la mise en examen de Vincent Bolloré pourra à l’avenir faire réfléchir les dirigeants africains dans l’attribution des marchés.
Cameroun, L’omniprésence du groupe Bolloré contestée
Dans le pays le groupe est présent dans la gestion du fret maritime et du fret aérien, dans l’agro-industrie, mais aussi l’audiovisuel ou le cinéma, via des salles de spectacle et la télédistribution par satellite.
Il est souvent critiqué pour l’occupation des terres, la gestion des ressources humaines et des contrats. Alors ici beaucoup estiment que ces poursuites judiciaires contre lui en France ne constituent qu’une mascarade.
Concurrence avec les entrepreneurs camerounais
« C’est juste pour voiler les yeux des Africains », réagit, par exemple, M.Ngassui, un importateur de voitures. « On ne parle pas de l’intérêt des Africains. C’est l’intérêt de l’Etat français qui est mis en jeu avec Vincent Bolloré qui est interpellé ». Pour lui, l’Etat français ne « va prendre la tête de celui qui lui sert de pallier en Afrique ».
Le groupe Bolloré avait livré une rude bataille pour la gestion du nouveau port de Kribi. Finalement, n’ayant pas pu directement obtenir la gestion du terminal, Bolloré est entré dans le capital chinois gagnant.
À cela s’ajoute une présence conflictuelle avec des entrepreneurs camerounais au port de Douala, aussi critiquée par la Banque Mondiale qui avait formulé des réserves en 2003. Vincent Bolloré est par ailleurs soupçonné d’intelligence avec des responsables publics nationaux indélicats.
Certains n’hésitent pas à parler « de deals » entre le groupe et le plus haut sommet de l’Etat.
Mauvaise gestion du chemin de fer ?
Au niveau du chemin de fer, le cahier des charges de la privatisation en 1999 prévoyait l’augmentation de l’écartement métrique des rails ou encore l’amélioration du transport des personnes.
Mais chacun a encore en mémoire la catastrophe ferroviaire du 21 octobre 2016 qui avait fait 79 morts selon les chiffres officiels, et des centaines de morts selon des sources indépendantes.
« Moi j’ai travaillé au chemin de fer dès 1972. Le cahier des charges que Bolloré a signé, quand moi je regarde en tant que spécialiste qui a travaillé sur le rail, même les voitures que nous avions laissé, c’est le même matériel qu’on utilise encore aujourd’hui », raconte Ferdinand Boula Ateba, le président du syndicat départemental des transporteurs du Wouri. Et d’interroger : « Qu’est-ce qui a changé ? Posez la question à ceux qui nous gouvernent. Est-ce positif, l’apport de Bolloré au Cameroun, ou ça profite à certaines personnes ? »
Source : DW
27Avril.com