Les limites du système de santé au Togo : Réglementer les missions humanitaires

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L’enquête publiée ce vendredi 31 août 2018 sur l’usage des produits et implants périmés au service de la traumatologie du CHU-SO fait l’effet d’une bombe à fragmentation. Comme une boite de Pandore qui vient d’être ouverte, la Rédaction ne cesse de recevoir des témoignages des dizaines de victimes de ces pratiques tant dans les hôpitaux publics que dans les cliniques privées.

Nombreux sont ceux qui ont déjà perdu la vie dans l’anonymat et les familles ne savent même pas qu’elles peuvent se plaindre devant les tribunaux.

« J’ai été victime de ces pratiques qui ont abouti au décès de mon père il y a un an. On avait besoin de lui poser une prothèse. Lorsque l’ordonnance a été prescrite, le chirurgien m’a obligé à l’acheter chez un de ses amis, sans quoi il ne va pas opérer mon père. J’ai déboursé plus de 1 400 000 fcfa. On m’a indiqué une pharmacie en ville, je suis allé payer contre un reçu. Mais on a refusé de me remettre le matériel sous prétexte qu’il est sensible et qu’il sera directement livré au bloc. Jusqu’à l’opération de mon père, je n’ai jamais vu le matériel pour m’assurer s’il est de qualité ou non. Plus tard après l’opération, des complications ont surgi et un ami praticien m’a avoué que mon père n’avait pas reçu la prothèse que j’avais achetée. Je n’ai reçu aucun rapport sur le déroulement de l’opération. Quelques mois plus tard mon père décède. J’ai compris plus tard, que c’est un vaste réseau et chacun vend la prothèse selon son prix ». C’est le tout premier témoignage d’un cadre de l’administration qui est venu se confier à la Rédaction à la parution de l’article. Un autre fait part d’une clinique réputée de la place qui s’est permis de faire faire une chirurgie esthétique à trois femmes par des jeunes stagiaires européens. Une de ces dames à qui ils ont pris la peau au niveau de l’omoplate ne peut pas cicatriser du fait de son diabète avancé et de la tension. Elle était à priori disqualifiée pour une chirurgie. La seconde s’était vu abandonner un morceau de carton dans le corps et il fallait la tempérer des mois après.

Tous ces témoignages que nous ne pouvons passer ici eb totalité nous obligent à poursuivre nos investigations et à consacrer d’autres articles au secteur de la santé qui est devenu au Togo un véritable fonds de commerce de certains praticiens.

Nécessité de réglementer les missions humanitaires

Les missions dites humanitaires dans le secteur de la santé au Togo sont devenues une véritable brocante du dimanche. Chaque aventurier vient faire son marché, et c’est la vie des Togolais qui est le prix de marchandage. L’absence d’un système de santé moderne compétitif, rigoureux et performant fait le lit à la prolifération de marchands d’illusions et d’hommes d’affaires qui usent de ces failles pour arnaquer aussi bien les généreux mécènes que les naïfs citoyens nécessitant des soins pour guérir de leurs maladies. Ces derniers sont les premiers à se présenter dans ces missions humanitaires pour se faire soigner à zéro franc, s’offrant aussi en parfaites bêtes de somme et cobayes expérimentaux.

La santé est un secteur régalien et elle ne peut pas être livrée à un libéralisme irréfléchi ; preuve en est de ces ONG qui créent en désordre des centre de santé où initient à tour de bras des campagnes de bilan d’analyse à des coûts soi-disant « réduits ». Quelles sont les qualités des réactifs que ces centres privés utilisent ? Quelle structure de l’Etat a certifié ces réactifs ? Quels appareils donnent les résultats et quelle est la qualification des manipulateurs de ces réactifs et appareils. Autant de préoccupations quotidiennes sans réponses. Parlant de certification, depuis quelques années, des produits venant des USA et d’ailleurs appelés « compléments alimentaires » sont déversés en quantités dans le pays et font souvent l’objet d’un marketing agressif. Quel laboratoire de l’Etat a-t-il certifié la qualité de ces produits avant leur mise en vente sur le marché ?

Revenons aux missions humanitaires. Quelles sont les dispositions juridiques qui sous-tendent ces missions menées par des ONG nationales et internationales pour garantir aux Togolais déjà meurtris par la qualité des soins et non en faire des cobayes expérimentaux pour les uns et des vaches à lait pour les cupides qui, selon des témoignages, se livrent à des trafics d’organes ? Le ministère de la Santé et les ordres professionnels ont-ils connaissance des diplômes et compétences de tous les acteurs de ces missions qui viennent soigner des Togolais ? Le ministère de la Santé a-t-il le contrôle de la qualité des dispositifs médicaux que ces missions humanitaires utilisent pour les soins ?

Au regard du scandale gravissime qui se déroule depuis trois ans au CHU-SO, il est donc nécessaire de situer les responsabilités du ministère en passant par les directeurs des structures de santé, les soignants et les ordres professionnels, surtout l’ordre national des médecins. La déconfiture totale de notre pays, résultat de plusieurs décennies de gestion calamiteuse, de copinage, de corruption, de népotisme, n’épargne pas le secteur de la santé qui traverse une crise structurelle.

Il faut une refonte totale du système et non des réformettes ou mesures conjoncturelles en cours d’application par le ministère de la Santé. Nous reviendrons dans une série d’articles sur d’autres aspects et anomalies dans le secteur de la santé aussi bien dans les hôpitaux publics que les cliniques privées.

Source : L’Alternative No.732 du 04 septembre 2018

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