Depuis 2013, les enseignants togolais débrayent régulièrement pour réclamer de meilleures situations d’exercice de fonction. Au-delà du droit humain et aussi du devoir de chaque travailleur d’agir convenablement pour améliorer ses conditions de travail, si celles-ci venaient bien sûr à se dégrader ou in-exister, parlant spécifiquement des mouvements sociaux des enseignants, une question centrale se pose : à qui profitent-ils ?
Pour répondre à cette question, passons en revue les faces de l’enseignement au Togo.
Avant les années 1990
Il serait bien évidemment présomptueux d’égrener dans cet article, tout le chapelet de l’enseignement d’un pays aussi petit soit-il, parlant bien naturellement du Togo.
Je vais donc aborder quelques points, en passant par la situation de l’enseignement au Togo, dès la prise de pouvoir par Feu Gnassingbé Eyadema, jusqu’aux mouvements populaires des années 1990.
Le système d’éducation des pays dominés d’Afrique est une falsification de celui du pays dominateur. Ce système ne forme pas des têtes bien faites et bien pleines mais plutôt, des têtes pleines, prêtes à réciter les leçons de ses maîtres et formatées à être des relais locaux d’un système de servitude.
On comprend donc pourquoi la pédagogie de la réflexion et de la critique manque à tous les niveaux d’enseignement, poussée des bancs par une pile de récitations et de mémorisations systématiques des enseignements.
Mémoriser et réciter, tel est le résumé d’un enseignement qui contribue à l’éducation des peuples colonisés.
Pour compléter ce schéma de domination, la prise en compte des éléments endogènes dans l’enseignement fait tabou, éléments profanés par ceux exogènes.
Brièvement, l’élève africain togolais ne peut ni parler, ni écrire sa langue maternelle. En lieu et place, récite-t-il la langue du colonisé à tout bout de champ ; la lycéenne togolaise ne connaît pas l’histoire du Togo et chante par cœur l’histoire de la France.
Diamétralement parlant, l’élève français ne peut placer le Togo sur une carte, quand l’élève togolais dessine la France même en somnolant.
Ce décor planté, le seul président qu’a connu toute une génération des Togolais, s’est attelé à entretenir à bon escient d’ailleurs, ce système d’enseignement.
« Tant vaut l’école, tant vaut la nation », aimait-il dire.
“Le père de la nation” joignait la parole à l’acte, quand depuis le coup d’état qui l’a porté au pouvoir jusqu’aux secousses qui ont fait vaciller son royaume, il a fait des élèves, des lycéens, des étudiants et des enseignants, une de ses priorités.
Ainsi, de l’école primaire à l’université, les bourses étaient-elles octroyées ; les universitaires étaient envoyés dans des pays dits développés pour poursuivre les études, certains leaders actuels de l’opposition faisant partie des bénéficiaires ; les enseignants touchaient régulièrement leurs salaires et pouvaient même compter sur un treizième et plus encore, un quatorzième mis sur le compte d’une très discutée et disputée fête du 13 janvier.
L’école était aussi un cadre de discipline voir de redressement.
On peut tout reprocher au Timonier national. Au niveau de l’éducation néanmoins, on ne peut rien lui reprocher. Il a réussi sa tâche, celle de former une élite nationale qui aliène un peuple, réalisant ainsi et parfaitement le projet du pays colonisateur.
Les années 90
Avec le vent de l’Est et les soubresauts politiques, sociaux et économiques qu’il a agités, l’embonpoint de l’enseignement colonial est mis en fellation, sucé complètement par d’interminables grèves pour finir émacié.
On a souvenance de deux étudiants qui ont été le fer de lance d’une rébellion sociale qui a failli emporter une imprenable citadelle d’acier.
Pistonnée par une élite traitresse, les étudiants parties à part entière d’un système scolaire et universitaire, c’est finalement d’une logique que de l’école primaire jusqu’à l’université, le Feu Général des Armées ait trouvé un contestataire à sa taille.
Les années d’après et la politisation de l’éducation
Après les échecs des mouvements populaires et la reprise de main par les tenants du pouvoir, l’enfant chérie est devenu l’enfant bâtard.
N’ayant jamais digéré qu’une partie de l’élite qu’il a nourrie, des élèves et étudiants qu’il a choyés, se sont dressés contre son royaume, Feu Président a tiré toutes les leçons de cette situation et fini le travail de politisation du monde scolaire et estudiantin.
L’embryon de cette politisation s’est formé au temps de l’embonpoint. Il s’est éclos au temps de l’émaciation et arrivé à maturité au temps la reprise d’érection du système en place.
Ce travail de polarisation politique se concrétise par l’explosion d’associations d’élèves, d’étudiants et de syndicats d’enseignants, situés à gauche et à droite de l’échiquier politique, la frontière entre la gauche et la droite étant très poreuse.
Dès lors, l’enseignement, le bon enseignement, qui tant soit peu était au milieu de la réflexion d’une éducation, devient un goudron complet de la politique.
Pour étayer cette thèse, rappelons simplement la chasse aux sorcières des étudiants togolais, qui accusés d’être politiquement instrumentalisés dans leur revendication, sont harcelés, chassés manu militari des cités universitaires et abonnés à la rue.
Les bourses sont systématiquement coupées et l’étudiant qui avant les années 1990 était le prince charmant de la fille togolaise est devenu aujourd’hui le fils esclave à la marâtre.
Pour compléter ce tableau abîmé, rappelons l’état dégénératif des écoles et lycées publiques au profit des écoles privées et instituts BTS tous coloris, souvent propriétés de citoyens bigarrés.
L’école et son enseignement se retrouvent au final laminés, lessivés par des partenaires aux intentions divergentes.
L’enseignement, une tombe qui creuse sa propre tombe
Il est exagéré d’affirmer que l’enseignement au Togo contribue lui-même à la dégradation de sa propre qualité.
Il est raisonnable néanmoins de dire que son premier allié, c’est-à-dire l’enseignant, dont le rôle est de tirer l’excellence vers le haut, se niche de plus en plus dans des malversations éthiques, morales et économiques.
À l’image d’un pays où toutes les structures sociales, culturelles, religieuses, économiques et politiques sont traversées par un système de mafia sans nom, l’éducation scolaire et universitaire ne reste pas bannie du sérail.
Dans les écoles du Togo, les enseignants délaissent les cours pour s’adonner aux répétitions porteuses de gains supplémentaires. Ils n’enseignent pas qualitativement dans les classes, réservant le meilleur pour les élèves répétés.
Certains se spécialisent dans la pédophilie, quand d’autres incitent au commerce sexualisé dont le troc s’avère être les notes d’examens.
Dans les villages éloignés, les élèves sont devenus des esclaves de ménages et de travaux champêtres au profit du puissant maître d’école.
Dans les villes, les collèges et lycées privés se reproduisent comme de petits lapins, couple d’un personnel médiocre exerçant dans un cadre tout aussi médiocre.
Les mêmes enseignants peuvent travailler dans une école publique avec un taux de 100% et trouver encore le courage et l’énergie d’enseigner en même temps dans une école privée.
La plupart du temps, ce va-et-vient se fait au désavantage de la qualité de l’enseignement.
C’est dans ce pêle-mêle systémique et structurel, que les enseignants trouvent encore une certaine clarté pour réclamer de meilleures conditions de travail.
Les meilleures conditions des enseignants pas de l’enseignement
En se référant à La Tribune Afrique du 11.12.16, les enseignants réclament “ l’octroi de l’indemnité de logement pour le personnel de l’éducation et pour toute la carrière, la prime de travail de nuit et prime de salissure, à intégrer au budget 2017. Ces enseignant réclament l’adoption du statut particulier, le reversement des enseignants auxiliaires dans le corps des fonctionnaires de l’enseignement conformément au statut général de la fonction publique, la résolution définitive du problème de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et du dossier des normaliens ainsi que l’intégration des enseignants volontaires restants dans la fonction publique et enfin l’annulation des affectations punitives des représentants d’enseignants et des délégués syndicaux.”
Avant de revenir à ces revendications, faisons un détour par les conditions actuelles de travail des enseignants, le salaire minimum et le revenu moyen par habitant.
Dans son article “Enseignants : Combien gagnent-ils vraiment ?” du 19 janvier 2017 publié sur le site www.icilome.com, Focus Info détaille les conditions actuelles des enseignants de la fonction publique.
En reprenant les informations contenues dans cette publication, un enseignant de maîtrise touche FCFA 195’000.00 au début de sa carrière et termine sa carrière avec FCFA 442’000.00 ; un titulaire de la licence, FCFA 172’160.00 et FCFA 337’440.00 ; un titulaire du BEPC, FCFA 103’090.00 et FCFA 185’730.00 ; un titulaire du CEPD, FCFA 72’237.00 et FCFA 138. 349.00.
À ce salaire de base, s’ajoutent différentes primes dont celles de rentrée, de bibliothèque ou encore d’incitation à la fonction enseignante.
Le salaire minimum au Togo est de FCFA 35’00.00 et selon la Banque mondiale, le revenu moyen par habitant est d’environ FCFA 29’000.00.
Le seuil de pauvreté se situe moyennement à FCFA 20’00.00 selon Actualitix et le taux de pauvreté environ 62% selon le site www.ufctgo.com.
Sans faire perdre le lecteur dans les méandres de chiffres, disons tout simplement qu’à l’éclairage de ces différentes données, les conditions de travail des enseignants, du moins pour ce qui est de la rémunération et ajoutée au prime, reste acceptables.
Si ces conditions sont jugées bonnes, les revendications actuelles dans leur ensemble, vont-elles aussi dans le bon sens d’une éducation de qualité.
Dans leur ensemble et un enseignement de qualité dis-je ?
Trois revendications que sont l’indemnité au logement, la prime de salissure, la prime de nuit pour la préparation des cours, force le togolais survivant sous le seuil de pauvreté à poser des questions légitimes dont :
À quoi sert une partie d’un salaire de base, si celle-ci ne va pas dans les dépenses de besoins au logement ?
Un maçon qui travaille avec la boue, doit-il demander une prime de salissure à son employeur ?
Une infirmière ira-t-elle demander un prime de temps pour préparer sa seringue ?
Si ces questions restent ouvertes, elles ne peuvent pas éclipser une question fermée, celle de la place de l’élève et du cadre de l’enseignement dans les revendications.
L’élève, le centre décalé
L’élève est au centre de l’enseignement. Il droit à une meilleure qualité de l’enseignement.
La qualité de l’enseignement rime avec la qualité du cadre, des bonnes conditions d’études de l’étudiant et de bonnes conditions de travail des enseignants.
L’élève togolais, conscient du bien-fondé de cette relation triangulaire, soutient l’enseignant dans ses mouvements de grève.
Or, cet élève se re-trouve dans un conflit social où il est finalement le dindon de la farce.
Il étudie dans un cadre dégradé avec de véritables enclos sans toiture, évoluant parfois à une centaine par classes, suivant des cours d’une qualité approximative, soumis au harcèlement sexuel et psychologique de certains enseignants, étudiant la proche et le ventre vides, rentrant à la maison avec le souci de réviser ses cours dans l’obscurité, éclairé par les yeux pensifs et poussifs de parents qui manquent les moyens de payer l’écolage et d’acheter les fournitures à la rentrée prochaine.
Il devient de plus en plus évident que les enseignants, en manifestant pour des objectifs qui ne tournent qu’autour de la question salariale, faisant même fi du cadre dans lequel ils accomplissent leur fonction, oublient l’essentiel qui est la qualité de l’éducation d’un pays.
Les partenaires publiques qui, dans les négociations et plus encore dans la gestion de l’enseignement, ne mettent pas en avant, l’amélioration des conditions d’études et du cadre d’études, tombent dans une politique publique top down qui au final, est ineffective, inefficace et inefficiente.
Finalement, les grèves profitent à tous sauf au citoyen qui a le droit légitime d’en tirer le plus de profit nommément l’enseigné.
Pour changer cette donne, l’enseignement doit être dépolitisé. Il doit nécessairement être repensé en termes de contenue, de cadre, de conditions d’études et d’enseignement avec comme but final, l’éducation d’une population à la tête bien faite et à l’esprit critique qui refonde le Togo.
Se Togoata Asafo
www.icilome.com