Les évêques du Togo ont appelé à des réformes constitutionnelles et institutionnelles avant les élections législatives prévues le 20 décembre, en accord avec la feuille de route de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao).
« Il est évident que la tenue des élections sans les réformes qui s’imposent, ne résoudra pas le problème togolais. Elle ne fera qu’exacerber les tensions et les violences », indique un communiqué de la conférence des évêques du Togo, abondamment relayé mercredi sur les réseaux sociaux.
Selon les évêques, le Togo a besoin d’ »un changement profond dans la manière de gouverner et de faire la politique, car quel que soit celui qui sera à la tête de notre nation, si le système ne change pas, les problèmes, à coup sûr, ne connaîtront pas de répit ».
« La préparation unilatérale des élections, en violation flagrante de certaines dispositions contenues dans la feuille de route des médiateurs de la Cédéao, risque de conduire de nouveau le pays vers le chaos », poursuit l’église cantholique dans une critique à peine voilée du pouvoir.
La principale coalition de l’opposition à l’origine des manifestations qui secouent le pays depuis plus d’un an, dénonce des irrégularités dans l’organisation de ces législatives et exige la recomposition du bureau de la Commission électorale nationale indépendante (Céni).
Ce regroupement de 14 partis a décidé de boycotter sa participation à la Céni au sein de laquelle elle est censée avoir des représentants, ainsi que le recensement électoral.
« Depuis des décennies, la lutte pour la liberté, la démocratie, l’alternance politique, ainsi que les processus de réconciliation dans notre pays, n’ont jamais abouti à cause de la mauvaise foi des acteurs politiques, plus soucieux de leurs intérêts personnels que du bien commun », dénoncent les évêques.
Le gouvernement a adopté le 9 novembre un projet de réforme constitutionnelle qui prévoit notamment un mode de scrutin à deux tours pour la présidentielle et la limitation à deux du nombre de mandats présidentiels.
En septembre 2017, l’opposition parlementaire avait rejeté un texte similaire qui n’est pas rétroactif et permettrait au président Faure Gnassingbé, de se représenter en 2020 et en 2025. Ce dernier est au pouvoir depuis 2005, après la mort de son père, qui avait dirigé le pays pendant 38 ans.
Message de la Conférence des Evêques du Togo: Pour l’amour de ma Patrie
«Pour l’amour de Sion je ne me tairai point, pour l’amour de Jérusalem je ne prendrai point de repos, jusqu’à ce que son salut paraisse comme l’aurore et sa délivrance comme un flambeau qui s’allume » (Isaïe 62, 1).
Chers fils et filles du Togo,
Au moment où le prophète Isaïe prononçait ces paroles pleines de compassion pour son peuple et d’espérance en Dieu, ses frères et sœurs traversaient une crise qui semblait insurmontable. Soumis à une éprouvante servitude suite à leurs infidélités répétées et à leurs choix politiques hasardeux, ils n’osaient plus rêver d’un lendemain meilleur car tout semblait définitivement perdu.
Mais Isaïe, faisant fi du silence qui lui était imposé, éleva la voix pour annoncer l’espérance en appelant tout le peuple à prendre conscience de ses égarements et de ses responsabilités en vue d’opérer la conversion salutaire.
L’horizon n’est pas serein
Réunie dans la prière et l’écoute de la Parole de Dieu pour sa 3ème Session ordinaire de l’année 2018, la Conférence des Evêques du Togo s’est laissé interpeler par cette déclaration du prophète Isaïe face aux menaces qui pèsent sur notre avenir commun. Les Evêques, citoyens togolais, vos Pasteurs, ne peuvent se résigner à garder le silence à l’heure où de nombreux signaux indiquent des dangers imminents pour notre Nation.
De fait, alors que se rapproche la date des élections législatives convoquées par le gouvernement, la tension ne cesse de monter et nous redoutons le pire si rien n’est fait à temps pour désamorcer la situation et apaiser le climat.
A juste raison, beaucoup de citoyens s’interrogent sur l’avenir de notre pays face à la radicalisation des positions des différents acteurs politiques. En effet, le peuple se trouve pris comme entre le marteau et l’enclume de deux groupes antagonistes (le pouvoir et l’opposition) qui l’utilisent, parfois inconsciemment ou à dessein, comme bouclier humain. Les uns et les autres s’en servent comme arme de conservation ou de conquête du pouvoir, à travers les marches de soutien et les manifestations de contestation souvent réprimées dans le sang. Jusqu’à quand va durer ce cycle infernal de violences ? Non ! notre pays, ‘‘l’or de l’humanité’’ ne mérite pas cela. Aucun Togolais n’est fier de ce spectacle désolant que nous imposent continuellement les acteurs politiques de notre pays.
Notre constat et nos appréhensions
Depuis des décennies, la lutte pour la liberté, la démocratie, l’alternance politique, ainsi que les processus de réconciliation dans notre pays n’ont jamais abouti à cause de la mauvaise foi des acteurs politiques, plus soucieux de leurs intérêts personnels que du bien commun.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’espoir suscité par l’implication de la CEDEAO dans la résolution de la crise qui secoue le pays depuis plus d’un an, à travers la désignation des facilitateurs, cède lentement le pas à la désillusion et à la déception. Le désespoir, une fois encore, s’est emparé du pays.
Comme tant de concitoyens et d’observateurs étrangers de notre crise, la Conférence des Evêques du Togo estime que la préparation unilatérale des élections, en violation fragrante de certaines dispositions contenues dans la feuille de route des médiateurs de la CEDEAO, risque de conduire de nouveau le pays vers le chaos. Il est, en effet, évident que la tenue des élections sans les réformes qui s’imposent ne résoudra pas le problème togolais. Elle ne fera qu’exacerber les tensions et les violences. Nous appelons donc tous les acteurs et tous les protagonistes de la crise sociopolitique de notre Pays à la raison, à un sursaut patriotique, à l’amour, à la prise de conscience de la valeur inestimable et sacrée de chaque vie humaine. Il faut que, sur ‘’la terre de nos aïeux’’, cessent la culture de l’impunité, les violences meurtrières, les atrocités que des Togolais infligent à leurs propres frères et sœurs.
En définitive, ce dont le Togo a fondamentalement besoin, c’est un changement profond dans la manière de gouverner et de faire la politique car, quel que soit celui qui sera à la tête de notre nation, si le système ne change pas, les problèmes, à coup sûr, ne connaîtront pas de répit.
Pour en finir avec les violences post-électorales qui ensanglantent la ‘‘terre de nos aïeux’’ avec leur cortège de morts, d’orphelins, de blessés et de réfugiés, il faut absolument opérer les réformes. En effet, tous les observateurs de la vie politique togolaise se demandent pourquoi les réformes constitutionnelles et institutionnelles réclamées par l’opposition, promises par le gouvernement et recommandées par les facilitateurs de la CEDEAO tardent à se faire. Il en est de même pour la révision du cadre électoral, notamment celle du fichier électoral et du découpage électoral. Tout cela est indispensable pour des élections vraiment équitables et conformes aux standards internationaux. Sinon, elles provoqueraient de nouvelles contestations et violences qui enfonceront davantage le pays dans la misère et le désarroi. Epargnons notre pays de ces souffrances inutiles !
Notre mission
L’Eglise, fidèle à sa vocation et à sa mission prophétique d’encourager le bien, d’exhorter à opérer des choix porteurs d’espérance, mais aussi de dénoncer, de condamner, d’avertir et d’annoncer, ne peut pas se taire face à ces manquements aux principes élémentaires de tout Etat de droit et de tout processus de démocratisation. Voilà pourquoi, la Conférence des Evêques du Togo n’a cessé et ne cessera de tirer la sonnette d’alarme sur la gravité des maux infligés aux concitoyens par leurs propres frères et sœurs, faisant de nous ‘‘la risée de nos voisins’’, et de notre Pays une République atypique dont le mode de fonctionnement des Institutions frise parfois le ridicule.
Notre appel
Vos Evêques prennent donc encore la parole pour en appeler à la conscience et à la raison des uns et des autres, à l’arrêt de tout calcul politicien et de toute violence d’où qu’ils viennent, au respect des engagements et de la parole donnée, des libertés, des règles démocratiques, à la mise en œuvre des réformes constitutionnelles, institutionnelles et électorales, seules susceptibles de garantir des élections libres, transparentes et crédibles, gages d’une paix durable. Nous invitons également à la mise en œuvre des mesures d’apaisement annoncées qui contribuerait énormément à la décrispation de la situation sociopolitique que nous appelons de tous nos vœux. Il est encore temps de nous ressaisir pour éviter le désastre.
Conclusion
En terminant notre message, nous évoquons de nouveau le prophète Isaïe dont le vibrant appel a suscité le nôtre. L’histoire lui a donné raison : le peuple d’alors a retrouvé son espérance après avoir traversé les affres de l’esclavage qu’il aurait pu éviter en accueillant humblement la parole de son prophète.
En cette veille du temps de l’Avent, prenons résolument la décision de nous engager sur le chemin de la paix et laissons résonner dans nos cœurs ces paroles pleines d’espérance : « Alors les nations verront ta justice, et tous les rois ta gloire. Alors on t’appellera d’un nouveau nom que la bouche du Seigneur dictera. Tu seras une couronne de splendeur dans la main du Seigneur, un diadème royal dans la main de ton Dieu » (62, 2). La réalisation de cette annonce prophétique est aussi possible pour notre pays. Il suffit de le vouloir sincèrement et de s’engager avec détermination dans la voie du redressement de notre société.
Que Dieu nous éclaire et nous guide ! Que sa paix s’établisse dans nos cœurs pour se répandre sur notre pays !
Fait à Aného, le 15 novembre 2018
En la mémoire de Saint Albert le Grand
Ont signé
S.E. Mgr Benoît Alowonou
Evêque de Kpalimé
Président de la C.E.T
S.E. Mgr Denis Amuzu-Dzakpah
Archevêque de Lomé
Vice-Président de la C.E.T.
S.E. Mgr Isaac Jogues Gaglo
Evêque d’Aného
S.E. Mgr Nicodème Barrigah-Benissan
Evêque d’Atakpamé
S.E. Mgr Jacques Longa
Evêque de Kara
S.E Mgr Célestin-Marie Gaoua
Evêque de Sokodé
S.E. Mgr Dominique Guigbile
Evêque de Dapaong
S.E. Mgr Philippe Kpodzro
Archevêque Emérite de Lomé
S E. Mgr Jacques N.T. Anyilunda
Evêque Emérite de Dapaong
S.E. Mgr Ambroise Djoliba
Evêque Emérite de Sokodé
Source : VOA + AFP + 27avril.com
27Avril.com