Les enfants de la rue : De la délinquance infantile à l’irresponsabilité parentale

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L’enfant est l’avenir de la nation et qui dit enfant dit adulte. Un avenir radieux et une vie réussie est le fruit d’une enfance réussie. Comme le dirait Heidegger, « l’enfant est le père de l’homme ». Vendredi 16 juin dernier, le monde commémorait la journée internationale de l’enfant africain. Chaque enfant a droit à une éducation de qualité, appropriée, selon les dispositions contenues dans la charte des droits des enfants. Paradoxalement, des milliers d’enfants, laissés à eux-mêmes, « s’éduquent » dans la rue. Entre délinquance des enfants, irresponsabilité parentale et démission de l’Etat, des actions urgentes méritent d’être prises et mises en application pour freiner ce phénomène.

Pour la petite histoire, le 16 juin est institué en mémoire du massacre des enfants de Sowéto (Afrique du Sud) en 1976 par le régime de l’Apartheid. Ceux-ci ne réclamaient qu’une seule chose : le droit à une éducation de qualité. De l’Afrique du Sud, des actions ont gagné le continent africain. En ce jour, des rassemblements ont lieu pour des plaidoyers auprès des dirigeants africains, afin d’aider les orphelins et les enfants vulnérables. Au Togo, selon les dernières enquêtes, ils sont 6 000 enfants à vivre dans la rue, contre 300 dans les années 80.

Jeudi 15 juin au Carrefour GTA (Lomé). Il est à peine six heures, mais Lomé grouille déjà du monde. Chacun, pressé de rejoindre son lieu de travail sous la petite pluie qui mouille la ville. Dans la longue file de voitures stationnées aux feux tricolores, des enfants se faufilent entre les véhicules, des cartons coupés dans lesquels sont empilés des papiers mouchoirs et d’autres accessoires qui pourraient intéresser les usagers. Ils ne s’inquiètent guère des motos qui se fraient une voie au milieu des voitures. L’un d’eux s’approche d’un véhicule, propose sa marchandise, et face à l’indifférence de son potentiel client, revient déconcerté s’asseoir sur un morceau de plaque où l’attendent quatre autres enfants, également des vendeurs ambulants. Ils espèrent tous pouvoir écouler leurs marchandises dans la journée.

Des parents complices de cette vie

« Je suis renvoyé de l’école pour les frais de scolarité. Mon père n’exerce aucune activité. Ma mère, quant à elle, étudie le Coran », explique Djibril, dix ans, qui dit être en classe de CM1 mais n’est plus à l’école depuis près de trois mois. Il est vendeur ambulant au carrefour GTA.

Et de présenter son frère : « Lui, c’est mon frère Mohamed. Il est malentendant, mais comme il n’est pas scolarisé, il me suit dans ce commerce », explique-t-il en indiquant son frère qui regarde et acquiesce de la tête comme approuvant ce que dit son puiné.

Pourquoi sont-ils dans la rue ? La réponse à cette question est simple, mais doit interpeller tous. « Je cherche de l’argent pour ma scolarité et pour la fête », explique un enfant, réticent à décliner son identité. Ils sont visiblement des enfants livrés à eux-mêmes. Le commerce, selon leur explication, est bel et bien pratiqué au su des parents. La preuve, les cinq enfants relatent qu’ils habitent à Agoè Somayaf, mais très tôt le matin, ils négocient avec des grands frères vendant à Assiganmé qui les déposent chaque matin au carrefour GTA.

Le cas des enfants vivants au grand marché

La situation de ces enfants est plus inquiétante. Contrairement aux premiers, ils n’ont pas de demeure. Ils sont des centaines d’enfants à arpenter les ruelles du grand marché de Lomé et ses environs, attendant la tombée de la nuit pour trouver où poser leurs têtes. Ils guettent la fermeture des magasins, boutiques, bars et autres pour dormir à la devanture, en attendant le premier chant du coq pour aller où le « destin » voudra les mener dans la journée.

Espoir, rencontré à la plage de Lomé, raconte son histoire : « Je vis à Assiganmé depuis près de deux ans. J’ai perdu ma mère en 2015 et depuis ce temps, je me débrouille avec mon frère. Mon père est devenu alcoolique et nous bat chaque fois à la maison. Nous ne le supportons plus. C’est pourquoi nous avons décidé de quitter la maison ».

A la question de savoir où il vit, il n’hésite pas. « Mon frère et moi dormons au grand marché parfois à la devanture des boutiques, ou sous les tables des bonnes dames », dit-il, en baissant les yeux.

Et Ignace, 13 ans, de renchérir : « Je suis là depuis je ne sais plus combien de temps. Mes journées, je les passe au marché à transporter des marchandises des femmes qui me paient en retour ». Comme une tortue, il se déplace avec un petit sac qui contient quelques habits de rechange. « D’ailleurs, voici mon sac que je transporte partout », montre-t-il du doigt un sac noir à côté de lui.

L’Etat démissionnaire

« Nous avons en moyenne 300 appels par jour sur le cas des enfants en situation difficile et des équipes mobiles sont en place pour intervenir chaque fois qu’il y a des dénonciations. Les recommandations issues de la journée de réflexion sur le cas des enfants de la rue en 2014 sont en étude jusqu’à ce jour et les actions sont en cours », indique Mme Tchabinandi Kolani Yentcharé, ministre en charge de l’Action Sociale. Elle intervenait le 16 juin dernier sur les résultats de la ligne verte (Allo 1011) créée depuis 2009 et du Centre de référence et de prise en charge des enfants en situation difficile (Copresdi) en 2011.

Pour l’heure, c’est le Copresdi, un centre de transit et de « logement temporaire » où sont gardés et pris en charge les enfants en situation difficile avant leur réinsertion dans leur famille, dans une famille d’accueil ou dans une ONG spécialisée qui est mis sur pieds par le gouvernement. Les enfants y sont gardés pendant 72 heures avant d’être transités dans un centre d’accueil.

L’action des ONG appréciables même avec des moyens limités

Ange, Marem, Espace Fraternité, Halsa, Ucg et autres sont autant d’ONG qui sont à pieds d’œuvre pour baisser le nombre sans cesse croissant des enfants qui survivent dans la rue et ceux en conflit avec la loi.

Selon N’soukpoe Djédjé Jérôme, Chargé de projet et responsable du département socio-éducatives et Loisirs à l’ONG Amis pour une Nouvelle Génération des Enfants (ANGE), le rôle de cette structure créée depuis 2001 est la récupération et la réinsertion des enfants livrés à eux-mêmes.

« Mais nous ne les récupérons pas manu militari, sinon nous pouvons les ramener et ils vont retourner et le travail reviendrait à ce mythe de Sisyphe. Ce que nous faisons est un travail de collaboration, de proximité et de confiance avec ces enfants. Nous approchons ces enfants, les amenons à nous dire ce qui ou pour quoi ils sont dans la rue et les risques qu’ils courent. En le faisant, c’est pour les amener à faire cette distinction entre la vie de la rue et la vie en famille. Et c’est un travail de longue haleine », a-t-il expliqué.

Une fois dans le centre d’accueil, ces enfants sont directement inscrits à l’école. Et N’soukpoe Djédjé Jérôme de poursuivre : « Pendant ce temps, nous faisons ce qu’on appelle la recherche des parents. Même s’il n’a pas de parents biologiques, l’enfant a des proches-parents. Cela dans le but de concilier les deux parties, puisque si un enfant quitte la maison, c’est que l’endroit ne lui est plus propice. Même s’il pense a priori que la maison constitue une menace pour lui, on amène l’enfant à voir la maison du bon côté. Au même moment nous travaillons avec la maison pour que la stratégie d’éducation soit revue ».

Le souhait des ONG est le même. L’Etat doit mettre la main à la pâte et prendre la situation des enfants de la rue à bras le corps. « Ce phénomène peut prendre fin si le travail n’est pas laissé pour quelques-uns. Ils sont 6000, mais si les moyens sont mis en œuvre, il est possible d’éradiquer le phénomène. Il peut ne pas prendre fin parce que les ONG qui sont sur le terrain n’ont pas les moyens, l’Etat n’y met pas les moyens et les enfants de la rue semble être oubliés », a-t-il regretté.

Ces enfants sont une réelle menace pour l’avenir de toute la nation. On les appelle bandits ou voyous, s’ils sont là, demain ils vont braquer, pire prendre des armes contre l’injustice sociale. S’ils grandissent, ils feront des enfants dans la rue. Pour leur donner quelle éducation ? Les décideurs de ce pays devront se donner encore plus avec beaucoup plus de concret.

Magnim

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