Les délégués du Comité d’action pour le renouveau (CAR) ont, lors du congrès de ce parti le weekend dernier, fait l’état des lieux de la situation sociopolitique au Togo. Voici leur déclaration!
Déclaration solennelle du congrès extraordinaire des 13 et 14 janvier 2017 à Lomé
Nous, Présidents et délégués des différentes fédérations du Comité d’Action pour le Renouveau (CAR) et des Organisations de couches sociales affiliées au CAR,
Réunis à Lomé les 13 et 14 janvier 2017, en congrès extraordinaire,
Déclarons solennellement à l’issue de nos travaux ce qui suit :
Honorables invités, pris en vos rangs respectifs,
Distingués délégués, venus des différentes fédérations,
Je voudrais, en ma qualité de porte-parole des délégations du parti, m’associer avant toute chose, aux remerciements qui vous ont été adressés par les intervenants qui m’ont précédé.
Etat des Lieux
Mesdames et Messieurs,
Notre congrès extraordinaire se tient à un moment où notre pays le Togo, est confronté à d’énormes problèmes socio-économiques et à de sérieux défis politiques concernant notamment le déverrouillage des institutions et l’alternance.
La population du Togo, selon un rapport récent du PNUD, est classée parmi les plus misérables au monde et notre pays figure sur plusieurs plans, au rang des derniers de la sous-région.
Nos populations ont du mal à manger à leur faim, à avoir des logements décents, à accéder à des soins de santé appropriés, à être en mesure de donner une éducation adéquate à leurs progénitures.
Les jeunes venant des milieux déshérités sont en plein désarroi à cause des réticences de l’Etat à leur assurer l’assistance dont ils ont besoin pour faire des études supérieures de qualité. D’autres jeunes qui tentent de suppléer au déficit d’emplois salariés en s’installant pour leur propre compte, ne parviennent pas à bénéficier de l’accompagnement qu’il leur faut de la part de l’Etat et à accéder aux marchés publics. Les jeunes qui se sont endettés pour s’installer sont contraints d’arrêter leurs affaires, faute de pouvoir résister à l’accentuation de la pression fiscale.
Le nombre des localités en attente d’être pourvues en eau potable, en éclairage public et domestique, en infrastructures routières, sanitaires, scolaires, culturelles s’accroit d’année en année, etc.
Et pourtant le pays regorge de multiples atouts dont l’exploitation judicieuse devrait permettre de résoudre les problèmes qui viennent d’être cités entre autres.
De nombreuses et vastes terres fertiles demeurent inexploitées. Les recettes financières provenant des impôts et des douanes montent en flèche. Les flux financiers venant chaque année des pays et organismes amis sont impressionnants. Tout le monde se pose des questions au sujet de l’utilisation de ces diverses ressources financières. Pourquoi l’argent ne circule pas ? Pourquoi les populations continuent à s’appauvrir d’année en année ? Comment peut-on expliquer que les diverses villes et campagnes continuent à souffrir cruellement du manque d’infrastructures et d’équipements élémentaires ? Pourquoi la dette publique a recommencé de grimper au point d’hypothéquer à nouveau les lendemains de nos populations comme ce fut le cas dans les années 80 ?
A ces diverses questions les gouvernants s’abritent derrière une réponse que personne ne prend au sérieux. Ils déclarent en effet que si les fonds publics générés à l’intérieur du pays ou venant de l’extérieur ne circulent pas, c’est parce qu’ils vont plutôt dans les poches d’une minorité de privilégiés à travers la corruption, les surfacturations, les détournements, les manœuvres de préfinancement des marchés publics et autres canaux d’évasion financière.
Et le drame, c’est qu’au fil du temps, ces pratiques ont pris l’allure d’un véritable cancer par la façon dont la minorité utilise les fonds accaparés et les autres ressources publiques pour réduire les populations à la mendicité dans le but de les asservir politiquement.
Nul n’ignore en effet qu’il est difficile, voire impossible aujourd’hui d’avoir accès aux emplois et aux marchés de l’Etat, des sociétés d’Etat et des collectivités locales sans se prêter aux sollicitations de ralliement au bord politique incarné par la minorité. Il en va de même des paysans, des artisans, des femmes, des jeunes désireux de bénéficier des aides de l’Etat.
C’est par ce processus que dans le passé, la quasi-totalité de nos populations se sont retrouvées dans un même creuset, le RPT. Ces dérives de la minorité sont à l’origine de la misère sociale et du mécontentement populaire qui ont débouché sur les soulèvements populaires du 05 octobre 1990 et du 16 mars 1991.
Le Togo est aujourd’hui en train d’évoluer graduellement vers le même scénario. Nous voudrions citer en illustration de ce constat un témoignage éloquent venu d’un organe de presse proche du pouvoir.
Dans un article publié dans sa parution du 17 avril 2012, soit trois jours après la création d’UNIR, ‘’L’Union pour la Patrie’’ écrit en effet ce qui suit : « Ce n’est pas un secret, le RPT a en mains tous les rouages de l’appareil d’Etat, de l’Administration publique… Mais la mayonnaise ne prend pas. Le bas-peuple n’est pas seul à ne rien sentir dans son panier. Il faut suivre les séminaires sur l’avancée des réformes pour s’en convaincre. Ça traîne… Les bailleurs de fonds s’en plaignent. Par endroits, on ne veut pas fermer les circuits d’évasion des recettes publiques dans un contexte international de rareté de ressources. Comme le flatteur, le voleur vit aux dépens de la faiblesse des outils de contrôle, le corrupteur vit aux dépens des corrompus… »
Après avoir pris connaissance de ce témoignage venant des proches du régime, nous nous sommes posé une question cruciale : Comment la minorité parvient-elle à s’accaparer à ce point des richesses nationales sans craindre d’être inquiétée ?
Les racines du mal togolais
Mesdames, Messieurs,
Nous, congressistes, nous nous sommes aperçu, à la suite de nos échanges, que tout comme à l’époque du RPT originaire, la situation qui prévaut dans notre pays sous le régime UNIR repose sur le même système qui n’a pas varié depuis 50 ans. Les causes sont demeurées les mêmes.
Les racines du mal dont souffre notre pays remontent au 26 septembre 1976, date à laquelle le RPT a tenu son deuxième congrès statutaire au cours duquel il a été décidé que « désormais la volonté du Président doit avoir la primauté sur toutes les institutions du pays : bureau politique, comité central, organisations des jeunes, des femmes, des travailleurs, des chefs traditionnels, gouvernement, tribunaux, … même l’Assemblée Nationale ne peut se permettre d’adopter une position contraire au point de vue du chef du parti».
C’est en application de cette doctrine dite de ‘’l’unicité des points de vue’’ qu’il a été institué le système totalitaire en vertu duquel les dispositions régissant la composition et le fonctionnement de toutes les institutions politiques, économiques ou sociales relèvent de la seule volonté du Chef de l’Etat.
Que faire pour sortir du tunnel ?
Dans la recherche de solutions à cette question, nous nous sommes penchés sur les mesures à promouvoir pour assurer le libre fonctionnement des institutions chargées de veiller à la bonne gouvernance des divers domaines de la République, notamment la CENI, la Cour Constitutionnelle, la Cour suprême, la HAAC, la Cour des Comptes, l’Autorité de Régulation des Marchés Publics, la Commission Nationale des Droits de l’Homme, etc.
A la lumière de nos échanges, nous sommes tous tombés d’accord sur l’idée qu’il revient avant tout, au Peuple Togolais, pris à travers l’ensemble de ses composantes incarnées par les partis politiques, les sociétés civiles et confessions religieuses de se déterminer à apporter les réponses appropriées au déverrouillage des institutions.
Les Togolais ne peuvent pas bien entendu en la matière se passer du concours de tierces personnes notamment des pays et organismes.
Mais c’est à nous-mêmes Togolais qu’incombe l’essentiel. Et le Seigneur lui-même ne viendra à notre secours que si nous commençons nous-mêmes par nous assumer. Nous devons poser le premier pas : celui de l’engagement à résister individuellement et collectivement pour relever le défi de déverrouillage des institutions.
Il n’y a pas de marge de choix possible entre la résistance et la résignation. La résignation c’est le drame.
On s’étonne bien des fois que le peuple Togolais ait laissé tant d’espace à la résignation sur son parcours. Les épreuves endurées y sont certainement pour beaucoup. Il suffit de jeter un regard rétrospectif sur les obstacles auxquels notre peuple s’est heurté le long de son processus démocratique pour s’en rendre compte.
Nombreux sont ceux qui ont péri dans le pays ou à l’étranger, pour la cause. D’autres sont devenus des invalides. Et c’est par milliers que nos concitoyens sont contraints à l’exil. Ce sont là autant de faits à prendre en considération dans les jugements à porter à l’endroit des compatriotes qui ont arrêté en cours de chemin leur engagement pour le changement politique.
Mais cela dit, nous tenons à affirmer haut et fort que la résignation n’est pas la solution à l’oppression. Bien au contraire. Elle l’a nourrit et aggrave sa longévité.
Les leçons tirées des expériences vécues ailleurs nous enseignent qu’il existe des solutions alternatives à la résignation. Nous avons nous-mêmes fait au Togo l’expérience d’autres modèles de recherche de solutions à l’oppression. Il en est ainsi de la pratique politique de la haine consistant à rejeter l’adversaire, à refuser de le rencontrer pour dialoguer avec lui.
Mais au fil du temps, on s’est rendu compte que l’incitation des instincts de haine à des fins politiques est une méthode inefficace et ne peut servir de base à l’édification d’une nation unie, paisible et prospère.
C’est pourquoi l’initiateur du CAR a très tôt mis en garde les militants du parti contre les dangers que comporte la haine comme arme politique.
Mesdames, Messieurs,
L’initiateur du CAR n’a cessé de répéter que pour venir à bout de l’oppression, il existe une méthode alternative qui n’est ni la résignation, ni la haine.
L’alternative, précise-t-il, c’est l’indignation, c’est-à-dire la colère qui ne se laisse pas évoluer en ressentiment dont l’étape chronique est la haine.
Ainsi comprise, l’indignation telle qu’elle est pratiquée au CAR comme support psychologique de l’action politique, se distingue de la haine en ce qu’elle ne se traduit pas par le refus de rencontrer l’adversaire et de rechercher avec lui une solution à l’oppression.
Pour lui, l’indignation est un devoir citoyen : « le devoir d’exprimer son mécontentement pour le faire entendre par l’oppresseur de façon à y trouver de solution ».
Nous voudrions préciser que le non rejet de l’adversaire n’est pas synonyme de disponibilité inconditionnelle à se prêter à n’importe quelle initiative de rencontre ou de discussion avec l’oppresseur. La méthode repose en effet dans son fonctionnement, sur le couplage des pressions et du dialogue à l’image d’une parabole chère à l’auteur : « Lorsque le fer résiste à une forme qu’on veut lui imprimer, il ne peut céder sans passer par l’épreuve des braises. Mais encore faut-il que le marteau entre en contact avec le fer rougi avant qu’il ne se refroidisse ». Les braises incarnent les populations indignées. Le marteau entrant en contact avec le fer rougi, symbolise le dialogue.
Et c’est parce qu’il ne bascule pas dans la haine, que l’indigné ressent en lui le courage d’affronter l’adversaire pour le détourner du mal et n’a pas peur d’être critiqué, d’être injurié, d’être calomnié, d’être persécuté, de perdre les avantages matériels, etc.
C’est dans cet état d’esprit qu’au retour de la participation en 1987 aux travaux de la Commission de l’ONU à Genève, l’initiateur du CAR a rencontré le feu Général Eyadema pour lui faire part de la perception négative que la Communauté internationale a du Togo et lui a proposé de doter le pays d’une Commission Nationale des Droits de l’Homme. Ses collaborateurs, présents à l’entretien, se sont farouchement opposés à l’initiative. Ils étaient scandalisés par l’idée qu’il puisse exister au Togo, une institution dont les membres ne soient pas désignés par le Chef de l’Etat.
La Commission installée le 21 octobre 1987 a œuvré à divers changements en matière des pratiques de torture, de détentions arbitraires, d’interdiction des libertés d’expression et de presse, de conscience de religion, de création des associations et bien d’ autres pratiques abusives, y compris les brimades des populations dans l’application des textes régissant la faune, la pêche, l’abatage des palmiers, etc.
C’est en faisant conscience à la méthode que les dirigeants des associations membres du FAR ont demandé à l’auteur d’en prendre la tête pour lancer l’appel au soulèvement populaire du 16 mars 1991 et d’engager 48 heures après, le 18 mars 1991, avec le feu Président Eyadema, des discussions qui ont conduit au rétablissement du multipartisme, au vote de la loi d’amnistie pour le retour de nos compatriotes contraints à l’exil et l’acceptation par le régime de la tenue d’une assise nationale avec pour objet de mettre en place une transition qui devrait définir les modalités de déverrouillage des institutions et l’organisation d’élections démocratiques pluralistes.
Mais à partir de la Conférence nationale de 1991, la méthode a été confrontée à de rudes épreuves avec l’entrée en scène des acteurs politiques d’un type nouveau qui ont inauguré une ère nouvelle de violence verbale à l’instar des pratiques d’injures que le pays a vécues au temps fort du parti RPT.
Le bilan est là. Nous n’en dirons pas plus.
Honorables invités,
Mesdames et Messieurs
Réitérant le constat de la situation socioéconomique dramatique que traverse le pays avec pour conséquence les conditions lamentables de vie de nos populations des villes et campagnes,
Réaffirmant la nécessité pour le peuple de se déterminer pour délivrer les institutions et poser les bases d’une véritable alternance au sommet de l’Etat à travers des actions plus réalistes, efficaces et porteuses,
Considérant les tribulations que les Togolais ont endurées le long du processus démocratique,
Tirant leçons de l’inefficacité du populisme haineux en tant que méthode de lutte politique,
Décidons que notre parti le CAR retourne à la méthode qui a fait ses preuves dans le passé et à chaque fois que son application s’est avérée nécessaire.
Fait à Lomé, le 14 janvier 2017
Le Congrès
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