Les choix thématiques et les « leçons du passé » 19/02/2017

0
779

Les choix thématiques et les « leçons du passé »                                                                             19/02/2017

Le nouveau regroupement se propose de fonctionner sur la base de choix thématiques. Les deux thématiques retenues dans cet esprit sont les « réformes » et la décentralisation. Le groupe en fait les thématiques prioritaires. La priorité ainsi donnée à ces deux problèmes, qui sont réels et importants, montre bien que la formation du groupe et les propositions de ralliement dont il accompagne son projet sont déterminées par les échéances électorales à venir, à savoir les législatives de 2018 et les élections locales.

De ces points de vue, la démarche ne diffère pas de celle du CST, dont les conditions de la création en avril 2012 ont provoqué la formation de la Coalition Arc-en-ciel la même année. La remarque n’est pas superflue pour la réflexion.

Il n’est pas inutile de revenir sur ces deux thématiques. Le problème des « réformes » ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte à 2002, date à laquelle le régime avait arbitrairement procédé à la réécriture de la constitution de 1992 pour y supprimer la limitation du mandat présidentiel, tout en maintenant de force le scrutin à un tour.

La question de la décentralisation ne date pas non plus d’aujourd’hui ; le régime avait fini par lancer le projet quand il a compris que l’état du rapport des forces qui prévalait en sa faveur, lui permettait de le faire pour mieux consolider ses assises politiques et barrer efficacement la route à toute forme possible d’alternance politique. Il va ainsi créer un ministère de la décentralisation en 2005. Il s’agissait en réalité de flouer l’opinion pour faire du dilatoire sur les problèmes les plus brûlants de l’époque.

Ce qui est par contre nouveau, c’est la concentration extraordinaire de toute l’attention et de tous les efforts sur ces deux thématiques depuis 2010 ; les deux sujets font ainsi l’objet d’une polarisation sans précédent, surtout depuis la veille des présidentielles de 2015. Au point de les faire apparaître comme s’ils étaient devenus désormais les deux objectifs exclusivement poursuivis par la lutte d’opposition depuis 1990. Il se trouve que la revendication portée dans la rue le 5 octobre 1990 était « 24 ans, ça suffit ! ». De ce tout vont se détacher au cours de la marche, des problèmes comme les réformes institutionnelles et constitutionnelles, le scrutin à deux tours, l’impunité, les problèmes relatifs à la CENI, la décentralisation et bien d’autres encore.

Le nouveau regroupement accentue cette polarisation sur les « réformes » et la décentralisation. Dans son intervention au cours de la conférence de presse, Apévon fait de ces deux problèmes « les thèmes préoccupants aujourd’hui » (sic). Sans aucun doute, les « réformes » et la décentralisation au sens complet du terme font-elles partie des graves thématiques auxquelles le processus de démocratisation est confronté. Et il faut leur trouver des solutions. Mais il y a un risque certain à réduire l’objectif de la lutte d’opposition à des thématiques isolées du problème politique global porté dans la rue en 1990. Et un aspect de ce risque est la tendance des partis d’opposition à ancrer la lutte pour la démocratie dans le court terme, en empêchant ainsi l’opposition prise dans son ensemble d’aller au-delà pour une réflexion plus en profondeur sur la complexité du problème global du devenir du pays.

Dans la vision de la lutte d’opposition, les « réformes » et la décentralisation sont étroitement liées à la nature profonde du régime. Elles comptent parmi l’ensemble de ce qu’il faudra faire (ou refaire) pour reconstruire le pays, quand un système politique réellement démocratique sera institué à la place du vieux régime autocratique, et que le peuple pourra, grâce à ce changement fondamental, exercer désormais un contrôle politique légitime sur les mécanismes de la prise des décisions au sommet de l’Etat.

Nous avons commencé à nous battre pour la transparence des élections depuis au moins 1993. Si nous n’avons pas réussi à l’imposer jusqu’à présent, et des partis sentent encore la nécessité de se constituer en un nouveau regroupement pour en faire de nouveau un cheval de bataille aujourd’hui, c’est que le blocage est ailleurs. Il est dans la nature du régime politique, qu’il faut changer.

Comment arriver à changer de régime politique ? C’est en fonction de cette question que nous devons définir notre politique de mobilisation et penser la forme d’organisation la plus appropriée possible pour avancer. Il ne suffit pas de créer les conditions de la transparence et de l’équité des élections et/ou procéder à des élections locales dans les présentes conditions de la vie politique du pays, pour que le problème politique togolais, tel qu’il est porté dans la rue en 1990 soit résolu; et pour que le changement démocratique auquel aspire la masse de la population devienne une réalité pour le bonheur de tous.

Les leçons du passé

Les membres du nouveau regroupement déclarent avoir créé le groupe, parce qu’ils ont tiré des leçons des échecs successifs des regroupements passés. Ils estiment avoir mis six mois pour réfléchir ensemble avant de porter le groupe sur la place publique ce 9 janvier 2017. Cette démarche leur aurait permis de mieux se connaître entre eux. Et ils voient dans cette meilleure connaissance réciproque des uns et des autres une condition pour la cohésion et la longévité du groupe. Olympio Nathaniel fait même de cette réflexion commune le « socle du regroupement ». Il enchaîne en observant que si des gens travaillent pendant six mois et réussissent à produire un document rassemblant les conclusions de leur réflexion, c’est qu’ils ont adhéré tous à « une manière de faire, à une méthodologie, à une rigueur de travail »(sic).

Par ces affirmations pleines de sagesse, les partis membres du nouveau groupe laissent entendre que les regroupements passés se sont constitués dans la précipitation, et qu’ils n’ont, par conséquent, pas pris le temps de regarder dans le rétroviseur pour tirer des leçons pouvant leur permettre d’atteindre le but fixé avant de disparaître. Il ne fait aucun doute que les regroupements visés par ces affirmations sont le CST et la Coalition Arc-en-ciel.

On pourrait leur ajouter aussi le FRAC, constitué à moins de deux mois avant les élections présidentielles de 2010. D’autres partis avaient stigmatisé cette précipitation aussi bien pour ce qui concerne le FRAC que pour le CST et la Coalition constitués dans les mêmes conditions deux ans plus tard. Et ils avaient mis l’opinion en garde, en particulier la masse des opposants, en leur disant que « ça ne durera pas ». La suite a montré malheureusement que ces partis qui manifestaient ainsi le doute sur la viabilité de ces regroupements avaient raison trop tôt. Il faut le souligner une fois encore : comme le FRAC, le CST et la Coalition ont disparu de la scène, eux aussi, parce qu’ils se sont inscrits eux aussi dans une vision du court terme.

Tirer des leçons des échecs successifs des « rassemblements » passés est une démarche louable. Il faut en effet regarder dans le rétroviseur, si l’on veut avancer en toute sécurité vers le but fixé. Les échecs dont le nouveau regroupement fait état sont évidents. Voici des années que des partis d’opposition n’ont pas cessé de demander aux partis du courant dominant d’arrêter de continuer de créer à chaque fois les conditions de la reproduction de ces échecs.

Mais s’il est indispensable de tirer des leçons du passé pour mieux avancer, encore faut-il savoir quelles leçons de ce passé sont de nature à permettre à l’opposition d’avancer. En réalité, l’enseignement majeur qu’imposent ces échecs répétitifs et leurs désastreuses conséquences sur l’opposition n’est ni d’éviter de donner un nom aux regroupements, ni de laisser ouvert à tout vent leurs cadres de fonctionnement, pour faire foule.

L’enseignement majeur est que des regroupements circonstanciels montés autour de thématiques de court terme mises en exergue à un moment donné par l’évolution conjoncturelle du processus de démocratisation, ne sont pas de nature à régler le problème politique togolais. On a vu que les regroupements passés ont toujours disparu, une fois l’objectif du court terme proclamé au moment de leur création est dépassé par l’évolution de la situation, que cet objectif soit au demeurant réalisé ou non.

De ce point de vue, le cas du CST est encore plus exemplaire que celui de la Coalition Arc-en-ciel, ou celui du FRAC. Le Collectif était étroitement lié aux élections législatives de 2013 ; le but tenu caché à l’opinion par les initiateurs étant la compétition pour des postes de députation, le CST avait commencé à avoir des difficultés en son sein avant même le début des élections. Certains membres du collectif avaient claqué la porte avant le scrutin ; d’autres ont prolongé les querelles jusqu’au cœur de la campagne électorale, en s’en prenant à certains partis du groupe d’avoir mené campagne contre eux dans certaines circonscriptions électorales.

Une cacophonie qui n’a pas arrangé l’image de l’opposition togolaise. Si le CST a disparu au lendemain des urnes, les querelles créées par les conditions du montage du regroupement ne se sont pas tues pour autant. Elles vont resurgir sous d’autres formes dans la nouvelle Assemblée, comme un feu de brousse mal éteint. Au détriment bien entendu de la cohésion de l’opposition parlementaire.

Il faut regarder encore plus loin dans le rétroviseur

Le principe du parti unique et sa traduction dans les faits sous la forme du RPT en 1969 est étroitement lié à la nature profonde du régime autocratique, tout comme les « réformes », la décentralisation, l’impunité et la suite des autres obstacles institutionnels ou non au processus de démocratisation. Le principe fut heureusement aboli en avril 1991, et celui du multipartisme lui fut substitué depuis cette date. L’abolition du parti unique et l’institution du multipartisme sont les premières victoires du peuple sur l’autocratie, et les seules conquêtes démocratiques obtenues par le Peuple depuis que la lutte d’opposition fut portée sur la place publique par l’insurrection populaire d’octobre 1990.

Lorsqu’on regarde encore plus loin dans le rétroviseur, on constate que ces conquêtes démocratiques ne sont pas le fruit de l’action d’un parti politique ou d’un regroupement de partis, pas plus qu’elles ne sont l’action d’un opposant historique ou charismatique. Pour la simple raison que ces partis ou regroupements de partis n’existaient pas à l’époque ; et l’action des formations politiques, qui avaient opéré dans la clandestinité jusque-là, était forcément limitée dans le contexte de cette dictature dure. Ce qui est compréhensible.

La proclamation du multipartisme est ainsi le résultat de la pression de la masse de la population descendue dans la rue pour clamer la fin du régime militaire totalitaire. Ce fait de notre histoire impose deux leçons majeures : En premier lieu, la proclamation du multipartisme a été possible grâce à la pression populaire résultant de l’irruption massive du peuple dans le processus politique. En second lieu, cette avancée démocratique fut possible seulement quand la pression a pu atteindre le point où le peuple insurgé pouvait renverser le rapport des forces politiques en sa faveur. Ce qu’il a fait. Malheureusement, parce que l’insurrection populaire était quasiment spontanée, le peuple opposant ainsi descendu dans la rue ne pouvait pas tirer de ces premières conquêtes démocratiques toutes les conséquences requises pour une poursuite normale du processus de démocratisation.

Qu’on le veuille ou non, le problème de fond de l’opposition tient en réalité dans l’état du rapport de force opposition/régime. Le rapport était devenu favorable à l’opposition avant la conférence nationale grâce à l’insurrection populaire d’octobre 1990. Il lui est redevenu défavorable après les assises, surtout depuis le 2 décembre 1991. Et il l’est resté jusqu’à présent. Par quelle forme d’organisation arriver à remettre le rapport des forces en faveur de l’opposition ?

C’est la question centrale. En ce moment où un nouveau regroupement vient s’ajouter à la longue liste de ceux qui ont disparu du champ politique, il n’est pas inutile de rappeler ces faits et de recentrer la réflexion sur cette interrogation.

Fait à Lomé le 18 Février 2017
Pour la CDPA-BT
Son Premier Secrétaire
E.GU-KONU

Togo-Online.co.uk