Les 5 erreurs de l’opposition

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De l’assassinat du premier président, Sylvanus Olympio, père de l’indépendance en passant par Gnassingbé Eyadéma et à Faure Gnassingbé, le Togo se retrouve dans une impasse politique, une caricature d’un tunnel sans bout, où toutes réflexions muries et les tentatives de sortie des voies obstruées se soldent toujours par un fiasco. Plus de 50 ans que ça dure, l’opposition togolaise, avec les mêmes méthodes et autres procédés qui définissent le mythe de Sisyphe, cette opposition donc, peine à trouver le chemin du salut. Dans ces conditions, il importe de toucher du doigt à certaines réalités en vue de susciter l’éveil de conscience des uns et des autres pour un changement de mentalités.

La configuration actuelle du paysage politique togolais presque dessiné par les trois dernières élections (présidentielles de 2015, législatives de 2018 et les locales de 2019) que le Togo a connues, laisse transparaître le sort de l’opposition en 2020 sous réserve d’un impondérable qui brusquement, viendrait changer la scène politique au Togo. Car, du fait des pesanteurs actuels et les paramètres existants, même si le Togo est un État laïc, beaucoup reconnaîtront tout de même que la nouvelle situation procède d’un miracle. Mais, si les choses restent en l’état, la probabilité d’une alternance politique en 2020 est très faible et, ceux qui tentent de faire croire le contraire, devraient normalement souffrir d’une hérésie intellectuelle.

Qu’à cela ne tienne, s’agissant de l’impasse ou le statu quo politique qui obstrue toutes voies d’accès à l’alternance, plusieurs facteurs peuvent élucider la situation d’où la nécessité d’en citer quelques-uns pour une prise de conscience collective et un changement de mentalités.

Espérance d’un pouvoir gentil

Souvent après des décisions abjectes et autres mesures perfides prises par le pouvoir en place, les réactions des leaders de l’opposition donnent matière à réflexion. Ils semblent rester dans une dimension attendant du pouvoir togolais qu’il soit gentil avec eux. C’est inconcevable. Dans un pays où le parti au pouvoir rassemble tous les attributs qui définissent une dictature, attendre qu’un jour, ce parti deviendra subitement doux et clément avec ceux qui tentent de lui chiper tout privilège, c’est croire qu’un jour le chien et le chat deviendront de bons amis. Aux yeux du chat, le chien reste un prédateur et lui, se considère comme une proie. En clair le chien est une menace pour la sécurité du chat. Jamais ces deux espèces ne peuvent s’entendre.

Sur le plan politique, un pouvoir public qui se reconnait prédateur des libertés individuelles et des intérêts communs et source de nombreuses frustrations, ne peut en aucun cas dérouler un tapis rouge pour l’ascension d’une opposition qui elle, cherche à rétablir les normes et dont le pouvoir considère plutôt comme une menace, une entité qui cherchera l’occasion de se faire justice. Dans cette situation et du fait de la peur de l’inconnu, le pouvoir demeurera dans la logique d’étouffer toutes velléités de changement. Dans sa logique, c’est bien normal. « Les fascistes n’accepteront jamais cette mort programmée si un ouragan ne les emporte pas. Le réalisme consiste à anticiper leur attitude ; ils ne feront aucun cadeau à l’opposition. Tout ce qui ressemblera à un cadeau, sera un leurre… », a déclaré le Prof. Apedo-Amah.

Il revient alors à l’opposition de se battre pour inverser la tendance que d’espérer la gentillesse du régime. En politique, il n’y a pas d’état d’âme, il n’y a pas de morale. Jésus a dit : aimez-vous les uns les autres. C’est une croyance chrétienne qui devait être appliquée à l’Église. C’est la conception du politique. Malheureusement ! Pour preuve, le 19 octobre 1987, après l’assassinat du capitaine Thomas Sankara, son camarade révolutionnaire, Blaise Compaoré disait : « Lorsqu’il s’agit des questions politiques et surtout de la direction de la gestion de l’Etat, d’une nation, d’un peuple, nous nous devons d’aborder les questions sans excès de sentimentalisme ». L’opposition togolaise a intérêt à comprendre ces mots.


Paroles sans actes

« Vous croyez toujours empêcher le scrutin ? Oui, nous le croyons ». Pour ceux qui ont peut-être oublié, c’est un extrait des dernières interviews de Mme Adjamagbo avant la tenue des élections législatives de 2018. La coordinatrice de la C14, version originelle, rassurait les Togolais que les élections seront empêchées le 20 décembre 2018. De cette position tranchée, la coordinatrice de la C14 savait en son âme et conscience que l’opposition et le peuple soudé derrière elle, n’a véritablement pas de moyens pour rivaliser avec ceux qui ont les armes et qui en font l’usage sans coup férir et sans excès de sentimentalisme.

Le passé a suffisamment instruit les Togolais sur les attitudes d’un régime sans foi ni loi. Pourtant, dans ces conditions, dame Brigitte Kafui Adjamagbo s’est fondée sur des formules incantatoires sans autre résultat espéré qu’une parole qui s’envole. Rien de plus. Cependant, son attitude n’est que la suite logique du comportement de ceux qui, au plus fort temps de la crise, vendaient cette illusion au peuple : « Il est trop tard pour discuter avec le régime. Si discussion, il doit y avoir, ce sera sur les conditions de départ du chef de l’Etat ».

À l’époque des faits, l’opposition avait-elle réellement les moyens pour réaliser un tel projet ? La réponse est sans ambages : NON. Et pourtant ! Ce schéma renvoie aussi à la présidentielle de 2005. Gilchrist Olympio avait lancé lors de la campagne présidentielle au stade de Béniglato : « S’ils osent voler cette fois-ci les élections, il y aura trois grandes choses ».

Les militants l’ont applaudi à tout rompre. Mais comme on pouvait s’y attendre, puisqu’il n’y a jamais de pire aveugle que celui qui refuse délibérément de voir, le 26 avril 2005, Faure Gnassingbé est déclaré vainqueur du scrutin du 24 avril par la CENI avec plus de (60 %) des voix. Il demeure au pouvoir sans jamais subir ces « trois grandes choses ». Pis, Gilchrist Olympio est devenu son allié.

D’ailleurs, celui-ci se plaît dans son nouveau rôle de chef de file de l’opposition. Une autre aberration de titre de chef de l’opposition, un piège tendu par le pouvoir pour avoir opposition et la maintenir dans la division. Puisque la crise de leadership a toujours rongé l’opposition en son sein. Chacun se croyant plus opposant que l’autre.

Au demeurant, il ne sert à rien à l’opposition de vouloir jouer sur le terrain de prédilection du pouvoir togolais en sachant pertinemment qu’elle n’a pas les moyens de cette politique. Car, la conséquence de cette prise de position risquée, c’est le découragement, c’est la déception, c’est le taux d’abstention qui monte en flèche à chaque élection mettant en mal la réalisation du projet d’alternance.


Suivisme aveugle de la rue

Un peuple martyrisé, des employés assujettis à la servitude. De jeunes diplômés sans emploi, partagent aussi le quotidien d’une majeure partie de leurs compatriotes qui veulent depuis des lustres expérimenter l’alternance. Tout ce beau monde dans la rue contre le dénominateur commun, ne peut qu’exiger le départ, la croix, la pendaison, la mort, etc. pour leur malfaiteur du fait de leur différent degré de frustrations. Devant une telle situation, il revient donc au leader d’apprécier la demande des frustrés et de savoir ce qu’il y a lieu de faire en fonction des moyens dont il dispose.

Tout cela ramené aux réalités politiques togolaises veut tout simplement dire que ce n’est pas parce qu’un peuple frustré dans la rue demande le départ du Président que l’opposition doit s’évertuer à réaliser un tel projet sans prendre du recul pour évaluer sa capacité à assumer une telle mission. A défaut, il faut apprendre à contenir les ambitions du peuple pour mieux l’orienter.

Mais au Togo, les leaders de l’opposition donnent l’impression de ne suivre que les injonctions du peuple frustré dans la rue. Un leader ne doit pas être le mouton, mais plutôt le berger.

Dans son récent ouvrage, De l’enfer, je reviendrai (Paris, 2016), le Général de la rue, l’ivoirien Charles Blé Goudé écrit : « Du fond de ma cellule, je continue de croire que c’est la voie de la patience qu’il faut adopter pour un changement vrai dans une Afrique en proie aux dictatures. Pour ce choix, beaucoup m’ont traité de faiblard. Je leur ai déjà dit que je préfère être un faiblard au milieu de personnes en vie, que de paraître un homme puissant au milieu de corps sans vie. C’est un devoir pour le leader d’indiquer avec courage la voix à son peuple, au risque même d’essuyer sa colère et ses injures. Le leadership doit souvent s’accommoder des injures et des moments d’incompréhension quant au bout du compte, la décision prise a pour enjeu des vies humaines.

Il vaut parfois mieux être lent, que de se précipiter dans le seul but de paraître un décideur. Ce n’est pas dans la rapidité que l’on trouve la valeur d’une décision, mais plutôt dans son objectif ultime et dans le résultat produit, nous enseigne encore Mandela. Que de leaders ont souvent conduit leurs peuples à la dérive par manque de courage de leur dire ce qu’ils devraient entendre.

Sous le sempiternel prétexte de suivre la voie et la voix du peuple, ils commettent l’erreur de dire à leurs partisans ce que ces derniers ont envie d’entendre. Le rôle d’un leader n’est-il pas d’indiquer la voie ? Je trouve très dangereux, voire irresponsable, un leader qui, dans le seul but de se faire applaudir, fait nourrir de faux espoirs à son peuple. Ne pas avoir le courage de dire « non » quand on est convaincu que la voie est sans lendemain, dire « oui » par peur d’essuyer des injures et de se faire rejeter est plus qu’une trahison.

À des moments cruciaux où l’on avait besoin de sang froid pour faire preuve de sagesse afin d’éviter l’implosion, j’ai souvent été déçu d’entendre certains de mes camarades me dire : « Charles, tu risques de compromettre ta carrière politique si tu ne soutiens pas la position du groupe ». Ainsi soutient-on une position, non pas parce qu’on la trouve juste, mais parce qu’on a peur de se voir marginaliser par le groupe. Voilà la pire des manières qui induit la plupart des leaders en erreur. Au nom de nos “carrières” et du “pouvoir”… »

Chantre de révolution

« Tout peuple debout arrive à bout de n’importe quel dictateur. Donc la balle est dans le camp du peuple. C’est à lui de décider, » déclarait Tikpi Atchadam. L’analyse du leader du PNP ne souffre d’aucune ambiguïté, puisque tout peuple conscient qui aspire à l’alternance n’abdique jamais quels que soient les obstacles dressés devant lui. L’image de la grande migration des gnous qui traversaient la rivière aux crocodiles de Masai Mara vers Serengeti, à la recherche de pâturages, est une illustration parfaite du courage et de la détermination de toute créature restée accrochée à l’instinct de survie.

Cependant, les chantres de la révolution doivent calmer leur ardeur. Une révolution est un renversement brusque d’un régime politique par la force. Son caractère « brusque » signifie que la révolution ne se décrète pas. Elle est subite et s’impose à tous. C’est dire que dans le cadre togolais, tous ceux qui demandent aux populations aux mains nues de sortir dans la rue pour faire une révolution doivent revoir leur thèse. Ils préparent plutôt le massacre d’un peuple sans défense parce que leur objectif est à l’avance connu de l’ennemi qui ne restera pas les bras croisés.

« L’objectif (de l’opposition), était de rééditer une sorte de scénario insurrectionnel. Ce à quoi nous avons assisté ensuite n’était rien d’autre qu’une tentative de prise du pouvoir par la rue. Elle a échoué… c’est pourquoi je suis déterminé à faire respecter l’état de droit ». Ces mots de Faure Gnassingbé expliquent pourquoi le pays est plus jamais que militarisé et les manifestations de l’opposition étouffées. « Il n’y aura plus jamais d’autres 19 août 2017, » dixit le Ministre Bawara avant d’ajouter que le gouvernement est préparé à toutes les éventualités. Une position qui confirme les propos de Karl Marx : « Une révolution inachevée, rend les conditions des populations plus dures voire plus cruelles ».

Ce vendredi du 31 octobre 2014 au Burkina Faso, le peuple burkinabé était juste sorti pour dire non au pouvoir à vie de Blaise Compaoré en refusant la modification de l’article 37 de la Constitution. Mais ce soulèvement s’est vite mué en une révolution ayant conduit à la chute du président Compaoré.

Encore une preuve que toute révolution dans le monde est spontanée, brusque. « Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore, » disait Wolé Soyinka. L’on n’a pas besoin de crier à tous les coins de rue : Révolution ! Révolution ! Car, le jour où l’opprimé sera révolté, il reviendra chez lui avec sa liberté.

Faiblesse d’une diplomatie

Le 12 mars 2018, en pleine crise politique au Togo, à l’initiative du président Muhammadu Buhari, une délégation de dix (10) personnes dont Jean-Pierre Fabre a rencontré et échangé avec un émissaire du président nigérian à Lomé, en la personne du Général Abdoul Salam Aboubacar qui a dirigé le Nigéria de 1998 à 1999. L’objectif de cette rencontre était de mieux connaître les revendications politiques de la coalition des 14 partis politiques. Plus tard, dans les confidences d’un leader politique, l’émissaire nigérian, le Général Aboubacar a trouvé que « l’opposition togolaise ne pèse pas ».

Cette phrase est révélatrice de l’une des faiblesses de l’opposition togolaise qui, pourtant, lutte pour l’alternance. Dans les moments forts de la crise politique, une délégation de la C14 a rencontré l’ancien président du Nigeria, le général Olusegu obasanjo, peu avant l’ouverture du dialogue. Et pas plus. Les leaders de l’opposition donnent l’impression de n’avoir pas un carnet d’adresses bien fourni dans le but d’impliquer des personnalités politiques influentes du continent et d’ailleurs dans leur lutte afin que celles-ci puissent impacter sur le cours de la situation politique en leur faveur.

L’on ne se lassera jamais de le dire, si Alassane Dramane Ouattara est aujourd’hui Président de la Côte d’Ivoire, c’est parce qu’il a su construire autour de lui, un réseau relationnel puissant ; de grands patrons des multinationales, des lobbies qui ont soutenu et soutiennent toujours ses actions. Si le régime Gnassingbé dure, c’est aussi grâce aux lobbies. Nous sommes dans un monde relationnel avec une loi qui oblige que tu aies quelqu’un avant d’être quelqu’un.

Les peuples en lutte qui l’ont vite compris, sont sortis victorieux. Car, tout le monde sait que partout ailleurs, la conquête du pouvoir nécessite de gros investissements humains et matériels, qui ne sont pas l’apanage des pauvres, dont le combat consiste à rechercher la pitance de tous les jours. Leur mission première consisterait à se remplir d’abord le ventre avant de passer à l’Alternance. Ce ventre pourrait les orienter sur la piste de sabotage de la lutte du peuple. C’est même une évidence.

Les exemples sont légion au Togo. Inutile de donner des noms. En définitive, en face d’un pouvoir cinquantenaire qui a des ramifications un peu partout, l’opposition togolaise a intérêt à créer et entretenir un réseau de relations qui puisse l’aider dans la conquête du pouvoir et de son exercice. « Notre talon d’Achille, c’est aussi le coté diplomatique », souligne Dr Georges Kouessan.

Aux cinq (05) erreurs majeures qui empêchent l’alternance, se greffent d’autres maux comme la crise de leadership au sein de l’opposition, l’appât de l’argent du pouvoir, l’absence d’une stratégie commune et rationnelle de conquête du pouvoir, puis cette tendance de certains à se mettre l’Armée à dos…

Il importe que l’opposition se redéfinisse et définisse de nouvelles visions pour l’alternance et le changement tant souhaités par le peuple. Ceci doit passer par des attitudes qui convoquent le changement des mentalités.

Journal La Manchette

Source : telegramme228.com